L’illusoire abrogation du statut des parlementaires en mission

Publié le 06/02/2017

Élaboré dans le courant du XIXe siècle, le statut des parlementaires en mission permet d’associer, selon des modalités définies par le Code électoral, des députés ou des sénateurs à l’action du Gouvernement. Contesté au motif qu’il porterait une atteinte disproportionnée au principe de séparation des pouvoirs, ce dispositif repose sur de solides fondements juridiques, qui font douter de sa prochaine abrogation.

Il a longtemps été reproché au Parlement français de constituer une institution « humiliée et affaiblie »1, sa mission se réduisant à celle d’un « tâcheron législatif »2. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui ambitionnait de revaloriser les prérogatives des députés et des sénateurs3, n’a semble-t-il pas été de nature à remettre totalement en cause ce constat. Alain Delcamp observe à cet égard que « si l’on veut se pencher sur l’équilibre général du système politique tel qu’il résulte de la révision de 2008 mais aussi de celle du quinquennat avec laquelle elle forme un couple indissociable, [se pose la question de] l’autonomie du Parlement dans son ensemble. Celle-ci doit être protégée face à une interprétation de la Constitution et une culture politique dominantes qui persistent à réaffirmer une conception des institutions des origines, protectrice vigilante du pouvoir gouvernemental, parfois au mépris des intentions pourtant clairement manifestées par le constituant »4.

Cette impression prend un relief particulier lorsque l’on examine les dispositions encadrant les missions pouvant être confiées par le Gouvernement à un ou plusieurs parlementaires. En autorisant les députés et les sénateurs à cumuler, à la demande et pour le compte du Gouvernement, une mission avec leur mandat électoral pendant une durée n’excédant pas six mois5, le Code électoral procéderait à un regrettable mélange « de la sphère administrative et de la sphère parlementaire »6. Ce dispositif serait par ailleurs à l’origine de difficultés dans le fonctionnement du Parlement. Le sénateur Hugues Portelli souligne ainsi que « son usage a pu récemment porter à contestation en séance publique à l’Assemblée nationale lors d’un scrutin public sur l’ensemble d’une proposition de loi inscrite à l’ordre du jour sur l’espace réservé d’un groupe minoritaire : face à des députés s’étonnant du nombre de suffrages ayant fait basculer le sens du vote par rapport aux précédents scrutins sans que de nouveaux députés aient rejoint l’hémicycle, le président de séance indiquait : « Il y a une information dont vous ne disposiez pas, moi non plus d’ailleurs, un certain nombre de collègues en mission ou en maladie ont donné délégation pour ce vote, en l’occurrence quatre »7. Plus encore, les missions temporaires confiées aux parlementaires seraient « largement utilisées par toutes les majorités au pouvoir pour échapper à des élections partielles et donc au suffrage universel »8 dès lors que tout parlementaire dont la mission est prolongée au-delà de six mois est automatiquement remplacé par son suppléant. Au fond, le dispositif des parlementaires en mission, qui constitue une « entorse au principe de séparation des pouvoirs ainsi qu’au principe de séparation des fonctions », aurait pour effet de placer « le Parlement au service du Gouvernement »9.

C’est dans ce contexte qu’une proposition de loi organique, portée en particulier par Jacques Mézard, a été récemment adoptée par le Sénat. Ayant pour finalité d’abroger les dispositions du Code électoral autorisant le Gouvernement à confier une mission à un député ou à un sénateur et celles organisant le remplacement des parlementaires en cas de prolongation d’une mission temporaire, cette proposition de loi organique est désormais en cours d’examen par l’Assemblée nationale10.

Bien qu’il soit battu en brèche et menacé de disparition de l’ordonnancement juridique, le dispositif des parlementaires en mission jouit d’une légitimité historique qui fait douter des chances d’aboutissement de la proposition de loi organique adoptée par le Sénat. Il est à peine besoin de souligner que cet instrument de collaboration du Gouvernement et du Parlement a depuis longtemps trouvé sa place au sein du système constitutionnel français. Il puise en effet ses origines au milieu du XIXe siècle, à une époque où le Parlement et le Gouvernement se sont accommodés de la règle ancienne d’incompatibilité entre les fonctions parlementaire et administrative11 pour permettre à un député mandaté par le Gouvernement de le représenter, pendant une durée de six mois, en Italie12. Ce mécanisme a été étendu aux sénateurs par la loi du 26 décembre 1887, permettant ainsi au Gouvernement de procéder à « des nominations de parlementaires, notamment dans des ambassades ou dans des colonies et pays de protectorat. Il a été également retenu pour des désignations (…) à la tête de commissariats, tels que les commissariats aux essences, aux inventions, au ravitaillement et à la marine marchande »13.

Toutefois, ce dispositif a été rapidement dévoyé dans la mesure où de nombreux parlementaires ont pu exercer « au-delà de six mois, les fonctions de gouverneur général ou de résident général en Indochine, en Algérie, en Tunisie et au Maroc »14. Soucieux de mieux encadrer la mise en œuvre de ce dispositif et de respecter davantage le principe de séparation des pouvoirs, le législateur a rappelé en 1950 que le cumul du mandat législatif et d’une mission temporaire ne pouvait excéder six mois15 et que le renouvellement de la mission ne pouvait intervenir que par décret en Conseil des ministres, sans toutefois que la durée totale de ladite mission puisse avoir une durée supérieure à vingt-quatre mois16. Le dispositif des parlementaires en mission sera reproduit au moment de l’adoption de la Constitution de la Ve République qui rappelle pourtant, en son article 23, que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle ». L’ordonnance du 24 octobre 1958 a en effet prévu que « les personnes chargées par le Gouvernement d’une mission temporaire peuvent cumuler l’exercice de cette mission avec leur mandat parlementaire pendant une durée n’excédant pas six mois »17.

La pérennité du dispositif des parlementaires en mission tient au fait qu’il constitue une parfaite illustration de l’idée particulière que se font le législateur et le juge de la séparation des pouvoirs qui doit permettre de « mieux associer les parlementaires à l’action du Gouvernement »18. Cette pérennité, contre laquelle la proposition de loi organique aura des difficultés à lutter, trouve surtout une explication dans le fait que le législateur organique et le juge ont toujours veillé à ce que l’atteinte ainsi portée au principe de séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif ne soit pas disproportionnée. La mission confiée par le Gouvernement à un député ou à un sénateur se présente ainsi comme un accessoire à sa fonction parlementaire, telle que définie à l’article 24 de la Constitution, à savoir le vote de la loi, le contrôle du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques (I). Par ailleurs, le législateur organique et le juge ont élaboré un statut précaire pour les parlementaires dont la mission serait pérennisée, élément qui vise là encore à garantir que les députés et les sénateurs soient placés non pas sous la dépendance du Gouvernement mais à son service au nom d’une séparation collaborative des pouvoirs (II).

I – Un dispositif accessoire

S’accommodant de la règle d’incompatibilité entre des fonctions parlementaires et administratives prévue à l’article 23 de la Constitution du 4 octobre 1958, le législateur organique reconnaît que « les personnes chargées par le Gouvernement d’une mission temporaire peuvent cumuler l’exercice de cette mission avec leur mandat de député pendant une durée n’excédant pas six mois ». Il en fait de même pour les élus du Sénat en ayant prévu, à l’article LO 297 du Code électoral, que « les dispositions du chapitre IV du titre II du livre Ier du présent code sont applicables aux sénateurs ». Les formules retenues par le Code électoral ne donnent toutefois aucune précision sur le point de savoir si la mission ainsi donnée à un élu a ou non des effets sur son mandat. Il n’est en effet pas précisé si cette mission le prive temporairement ou non du droit d’exercer les prérogatives qu’il tient de la Constitution et du règlement de la chambre dans laquelle il siège.

Ces précisions ont été apportées par le juge qui a admis que le dispositif permettant au Gouvernement de confier une mission à un ou plusieurs parlementaires a été conçu afin de ne pas mettre à mal la séparation des pouvoirs législatif et exécutif et que, depuis son introduction dans le système juridique français, il se présente comme un accessoire de la fonction parlementaire. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de l’indiquer dans une décision du 7 novembre 1989. En l’occurrence, il a relevé que « le parlementaire appelé à effectuer une mission temporaire à la demande et pour le compte du Gouvernement continue d’appartenir au Parlement » et que la « mission qu’exerce un député ou un sénateur à la demande du Gouvernement ne s’inscrit pas dans l’exercice de sa fonction de parlementaire », sachant « d’ailleurs qu’une telle mission peut être confiée à une personne qui n’est pas membre du Parlement »19. Le Conseil d’État s’est inscrit dans le prolongement de cette décision en admettant que la mission confiée à un député ou à un sénateur « auprès d’une administration ou en son sein constitue le premier acte de l’exécution d’une mission administrative dont ce parlementaire se trouve temporairement investi ». Pour le juge administratif, « un tel acte est détachable des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif tels qu’ils sont organisés par la Constitution »20.

Ce caractère accessoire emporte un certain nombre de conséquences, qui font du dispositif des parlementaires en mission un ensemble juridique équilibré et proportionné ayant pour finalité d’associer le plus possible les différents pouvoirs publics intéressés par une telle désignation et de ne pas placer l’élu ainsi désigné en situation de dépendance vis-à-vis du Gouvernement.

En premier lieu, si elle est le fait d’un pouvoir discrétionnaire du pouvoir exécutif et si ses contours ne sont pas définis avec précision par le Code électoral, la décision prise par le Gouvernement prend la forme d’un décret individuel du Premier ministre. Cet acte administratif, qui fait grief et qui est susceptible d’être contesté par la voie un recours pour excès de pouvoir21, doit comporter des visas qui font référence à la Constitution ainsi qu’à l’article LO 144 du Code électoral pour les députés ou à l’article LO 297 du même code pour les sénateurs, l’objet de la mission et sa durée étant plus rarement précisés. En tout état de cause, « dans les enceintes parlementaires, cette désignation ne fait l’objet que d’une information de l’assemblée à laquelle le parlementaire appartient par une lecture en séance publique. Quant à la publication de cette désignation au Journal officiel, elle n’est pas systématique »22.

En deuxième lieu, dès lors que la mission confiée à un parlementaire par le Gouvernement est liée à la détention de son mandat national, celle-là prend fin au moment où le mandat vient à échéance, même si, comme le fait remarquer Hugues Portelli, il « pourrait poursuivre la mission qui lui a été confiée »23.

En troisième lieu, durant les six mois prévus par le Code électoral, l’élu continue de disposer de l’ensemble des prérogatives prévues par la Constitution et le règlement de la chambre dans laquelle il siège. Il peut ainsi exercer son droit d’amendement ou bien encore déposer des questions orales ou écrites24. Mieux encore, et comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1989, le parlementaire en mission est autorisé, dans les conditions prévues par l’article 27 de la Constitution, à user de son droit de vote voire à le déléguer à l’un de ses collègues. Partant, le député ou le sénateur en mission continue à bénéficier, pour ses activités parlementaires, des immunités pénales qu’il tient de l’article 26 de la Constitution. Cette protection ne vaut donc pas pour les actes qu’il serait amené à produire dans le cadre de sa mission temporaire. Le juge l’a d’ailleurs reconnu explicitement : « Le rapport établi par un parlementaire, lorsqu’il exerce une mission dans les conditions définies à l’article LO 144 du Code électoral, ne saurait être regardé comme un acte accompli par lui “dans l’exercice de ses fonctions” au sens du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution »25. Pour le Conseil constitutionnel, « en exonérant de façon absolue de toute responsabilité pénale et civile un parlementaire pour des actes distincts de ceux accomplis par lui dans l’exercice de ses fonctions, [la loi déférée] méconnaît le principe constitutionnel d’égalité devant la loi et est par suite contraire à la Constitution ». On précisera que si les élus désignés conservent « leur mandat dans les assemblées et leur place dans les commissions, les ministres auprès desquels ils seront placés mettront à leur disposition les moyens nécessaires. Ces parlementaires en mission pourront avoir accès aux dossiers, participer aux réunions de travail présidées par les ministres ainsi qu’aux comités interministériels spécialisés »26.

Enfin, le Code électoral prévoit que « l’exercice de cette mission ne peut donner lieu au versement d’aucune rémunération, gratification ou indemnité »27, mesure déjà applicable au Sénat et qui le sera à l’Assemblée nationale à compter du prochain renouvellement général de l’Assemblée nationale en 2017. Jean-Pierre Sueur explique que cette règle trouve son origine dans le caractère accessoire de la mission poursuivie pour le compte du Gouvernement et, plus exactement, « dès lors qu’existe une indemnité parlementaire et qu’un élu est désigné dans un organisme du fait de son mandat parlementaire, il n’y a pas lieu de lui attribuer une rémunération supplémentaire particulière, à la seule exception des frais susceptibles d’être exposés et pris en charge »28.

Accusés de méconnaître « la volonté du constituant qui, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a souhaité renforcer l’activité de contrôle et d’évaluation au sein du Parlement, avec l’assistance éventuellement de la Cour des comptes »29, ces différents éléments constituent autant de garanties que les parlementaires sont placés non pas sous la dépendance du Gouvernement mais à son service30 en faisant application d’une séparation collaborative des pouvoirs. Ils sont aussi un puissant moyen de valorisation d’une partie du travail effectué par les élus et de l’expertise qu’ils ont pu acquérir dans le cadre de leur mandat. Cela explique l’attraction des députés et des sénateurs pour ce dispositif, lesquels auront sans doute bien des difficultés à y renoncer. On est en effet passé de 76 parlementaires en mission sous la XIe législature (1997-2002) à 100 sous la XIVe législature (2012-2015). Plus encore, on observe que les missions confiées aux députés et aux sénateurs se diversifient et ne se résument pas à la rédaction d’un rapport établissant le bilan d’une réforme. Il peut également s’agir de confier à un élu la préparation d’un projet de loi dans un domaine dont il connaît bien les ressorts ou de représenter l’État auprès d’une autre structure politique31. La légitimité du statut des parlementaires en mission est d’autant plus forte qu’il repose sur un autre principe fondamental, celui de la précarité.

II – Un dispositif précaire

Depuis son introduction dans le système juridique français, le dispositif des parlementaires en mission se caractérise par sa précarité, en ce sens que les élus ne disposent pas d’un droit acquis à la prolongation de leur mission qui constitue un pouvoir discrétionnaire du Premier ministre32. Ainsi, lorsque le Gouvernement considère que la mission est achevée ou qu’elle n’a pas abouti avant ou au terme du délai de six mois imparti initialement, l’élu mandaté est déchargé de sa mission sachant qu’un décret ne vient jamais en acter la fin33. Il perd alors les moyens qui lui avaient été affectés par le Gouvernement, sans que cela emporte, là encore, de conséquences particulières sur sa fonction parlementaire34.

Mais surtout, la précarité qui caractérise le dispositif des parlementaires en mission tient à ce que « des députés et des sénateurs [sont] appelés, tout en continuant d’exercer leurs mandats, à appliquer leurs compétences à des tâches particulières dans le cadre de missions de six mois »35. Ainsi, au terme de ce délai de six mois, les élus qui verraient leur mission prolongée par décret du Premier ministre ne pourront plus se prévaloir de leur mandat de parlementaire. Cette caractéristique est d’ailleurs rappelée par le Code électoral qui dispose, en son article LO 176, que « les députés dont le siège devient vacant pour cause de décès, d’acceptation des fonctions de membre du Conseil constitutionnel ou de prolongation au-delà du délai de six mois d’une mission temporaire confiée par le Gouvernement sont remplacés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale par les personnes élues en même temps qu’eux à cet effet ». On trouve une disposition équivalente pour les sénateurs à l’article LO 319 qui prévoit que « les sénateurs élus au scrutin majoritaire dont le siège devient vacant pour cause de décès, d’acceptation des fonctions de membre du Conseil constitutionnel ou de prolongation au-delà du délai de six mois d’une mission temporaire confiée par le Gouvernement sont remplacés par les personnes élues en même temps qu’eux à cet effet ». Concrètement, la prolongation de la mission confiée à un parlementaire est opérée par décret individuel du Premier ministre, sachant que « le Gouvernement dispos[e] également d’une compétence (…) étendue pour en choisir les modalités. (…) La prolongation doit normalement porter sur une mission déjà confiée au parlementaire concerné. [Elle] suppose également un exercice sans interruption de la mission temporaire entre la désignation et la prolongation »36.

Cette précarité est contestée en ce qu’elle serait le plus souvent dévoyée, argument soutenu par les auteurs de la proposition de loi organique visant à mettre fin au dispositif des parlementaires en mission et qui recoupe deux griefs. D’une part, les dispositions du Code électoral seraient peu compréhensibles dans leur principe. Hugues Portelli s’interroge ainsi sur le fait qu’une « fonction qui serait compatible avec le mandat parlementaire pendant le délai de six mois deviendrait en soi incompatible avec ce mandat au terme de ce délai »37. D’autre part, en prévoyant que les parlementaires dont la mission serait reconduite sont remplacés de plein droit par leur suppléant(e), la loi aurait établi un système ayant une finalité purement électorale. En d’autres termes, « la nomination d’un parlementaire en mission permet donc une sortie honorable de l’hémicycle, tout en protégeant la majorité d’une élection partielle souvent très incertaine »38.

Si ces différentes critiques reflètent des interrogations anciennes et sans doute aussi une réalité politique39, leur portée ne doit pas être exagérée. En premier lieu, il est nécessaire de rappeler que la règle de précarité établie par le Code électoral est l’un des deux piliers du dispositif des missions confiées à des parlementaires et qu’elle a été conçue comme un moyen pour que l’atteinte portée à la séparation des pouvoirs ne se prolonge pas dans le temps. C’est ce qu’expliquait déjà en 1919 Eugène Pierre dans son Traité de droit politique, électoral et parlementaire. Pour cet auteur, si le respect du principe de la séparation des pouvoirs permet au Gouvernement de « confier au sénateur ou au député chargé d’une mission temporaire, dont la durée expire, une nouvelle mission de même nature ; (…) il importe que le décret, en vertu duquel le membre chargé d’une mission parvenue à son terme légal se voit conférer la nouvelle mission, ne paraisse pas donner à la fonction un caractère permanent »40. Léon Duguit ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « cette règle (…) a pour but d’assurer l’indépendance du [parlementaire] à l’égard du Gouvernement. Le [parlementaire], qui serait en même temps fonctionnaire et par conséquent placé sous l’autorité des membres du Gouvernement, serait en bien mauvaise posture pour exercer son mandat législatif avec indépendance »41.

En second lieu, il existe un mécanisme de contrôle visant à déterminer si, en cas de doute, un député ou un sénateur peut ou non poursuivre son mandat électif. Le Conseil constitutionnel a ainsi indiqué, dans une décision du 24 novembre 1987, qu’en « ce qui concerne les questions de compatibilité des fonctions ou activités d’un parlementaire avec l’exercice de son mandat, il appartient tout d’abord au bureau de l’assemblée dont il est membre d’examiner si ces fonctions ou activités sont compatibles avec l’exercice du mandat ». Dans ces conditions, « le Conseil constitutionnel (…) peut être appelé à apprécier si l’intéressé se trouve dans un cas d’incompatibilité (…) après cet examen et (…) si le bureau a exprimé un doute à ce sujet, ou si la position qu’il a prise fait l’objet d’une contestation, soit par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, soit par le parlementaire lui-même »42.

Enfin, au-delà de ces aspects théoriques, l’idée de remettre en cause la règle de précarité suscite de nombreuses interrogations quant aux solutions qui pourraient être mises en œuvre si les dispositions prévoyant l’envoi de parlementaires en mission étaient maintenues43. Plusieurs hypothèses peuvent en effet être envisagées, quand bien même chacune d’entre elles comporte des écueils, ce qui prouve le caractère indispensable de la règle de la précarité et, plus largement, du dispositif actuellement prévu par le Code électoral. Une première solution pourrait consister à permettre à chaque élu désigné de déterminer librement la durée de sa mission en lien avec le Gouvernement. Cette solution, qui aurait le mérite d’être souple et adaptable à chaque situation, n’est pas satisfaisante. Il suffit à cet égard de se rappeler les multiples pratiques qui se sont développées au XIXe siècle, au moment de la mise en œuvre de ce dispositif, pour préférer qu’une loi organique fixe la durée des missions confiées aux parlementaires. S’il en était besoin, cette impression est renforcée lorsque l’on prend conscience qu’il « est malheureusement impossible d’exiger des représentants assez d’abnégation, d’héroïsme et de sens politique pour abdiquer leurs passions »44. Une seconde solution consisterait pour le législateur organique à insérer dans le Code électoral une disposition affirmant que le prolongement d’une mission confiée à un député ou à un sénateur se traduit automatiquement par une prolongation du caractère accessoire de sa mission administrative par rapport à ses fonctions parlementaires. Or, une telle proposition manque de cohérence. N’est-il pas étrange de prétendre, d’un côté, que le caractère accessoire du dispositif des parlementaires en mission contrevient en lui-même à la séparation des pouvoirs et, d’un autre côté, qu’il serait nécessaire de prolonger ce statut sans fixer un terme à sa mise en œuvre ?

Finalement, s’il fait l’objet de nombreuses critiques, qui au fond se concentrent sur ses modalités de mise en œuvre, le statut des parlementaires en mission repose sur des principes fondamentaux qu’il est difficile de faire évoluer et qu’il serait sans doute dangereux de remettre en cause45. Cette situation tient au fait que ce statut repose sur un équilibre subtil entre la nécessaire protection de l’autonomie du Parlement et le souci du Gouvernement d’associer des élus à son action. En cela, il constitue une parfaite illustration des liens étroits existants entre les pouvoirs législatif et exécutif qui irriguent la Ve République46 et dont il serait regrettable de se passer. En tout état de cause, on est encore loin des conditions identifiées par Eugène Pierre qui conduisent, selon lui, à une refonte des concepts et des dispositions composant le droit parlementaire : « Un moment vient où la maison la mieux construite cesse de répondre aux besoins et aux goûts de ceux qui l’habitent. Il faut alors l’aménager autrement, lui donner plus d’air et de lumière, afin de ne pas être acculé à des restructurations coûteuses et compliquées »47.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Jan P., « La rénovation du travail parlementaire à l’Assemblée nationale », RDP 1995, p. 988.
  • 2.
    Avril P., « Le dévoiement », Pouvoirs 1993, n° 64, p. 137.
  • 3.
    Sur cette question, v. Jan P., « Un Parlement modernisé et renforcé », in Regards sur l’actualité, 2009, La Documentation française, n° 354.
  • 4.
    Delcamp A., « La notion de loi organique relative au Sénat : entre affirmation du bicamérisme et parlementarisme “rationalisé” », RFDC 2011/3, n° 87, p. 498.
  • 5.
    C. élect., art. LO 144 ; C. élect., art. LO 297.
  • 6.
    Propos attribués à Raynaud F. et Fombeur P. par Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 7.
    Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 8.
    Prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires déposée par M. le sénateur J. Mézard, 2015-2016, n° 4.
  • 9.
    Prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires déposée par M. le sénateur J. Mézard, 2015-2016, n° 4.
  • 10.
    Prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires déposée par M. le sénateur J. Mézard, 2015-2016, n° 4.
  • 11.
    Sur cette question, v. Buchez J., Roux P., Histoire parlementaire de la Révolution française, 1837, Paris, Paulin, p. 246.
  • 12.
    L., 8 et 28 févr. et 15 et 18 mars 1849, portant loi électorale, art. 85 : Recueil Duvergier, 1849, p. 98.
  • 13.
    Silvera V., « Les parlementaires en mission », Revue administrative 1973, p. 410.
  • 14.
    Silvera V., « Les parlementaires en mission », préc.
  • 15.
    L., 6 janv. 1950, portant modification et codification des textes relatifs aux pouvoirs publics, art. 11 : JO, 7 janv. 1950, p. 216.
  • 16.
    L. n° 50-1411, 14 nov. 1950, modifiant l’art. 11 de la L., 6 janv. 1950, portant modification et codification des textes relatifs aux pouvoirs publics : JO, 15 nov. 1950, p. 11622.
  • 17.
    Ord. n° 58-998, 24 oct. 1958, portant loi organique relative aux conditions d’éligibilité et aux incompatibilités parlementaires, art. 13 : JO, 25 oct. 1958, p. 9728.
  • 18.
    Propos de Messmer P., rapportés par Silvera V., « Les parlementaires en mission », préc.
  • 19.
    Cons. const., 7 nov. 1989, n° 89-262 DC, loi relative à l’immunité parlementaire.
  • 20.
    CE, 25 sept. 1998, n° 195499 : LPA 2 juin 1999, p. 10, note Gicquel J.-E. V. égal., Lemaire F., « Qualification du décret chargeant un parlementaire d’une mission temporaire », AJDA 1999, p. 240.
  • 21.
    CE, 25 sept. 1998, n° 195499 : LPA 2 juin 1999, p. 10, note Gicquel J.-E.
  • 22.
    Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 23.
    Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 24.
    Sur les questions écrites, nous nous permettons de renvoyer à note étude : « Les questions écrites des parlementaires : un dispositif aux pieds d’argile », LPA 23 juin 2016, n° 116z6, p. 8.
  • 25.
    Cons. const., 7 nov. 1989, n° 89-262 DC, loi relative à l’immunité parlementaire.
  • 26.
    Propos de Messmer P., rapportés par Silvera V., « Les parlementaires en mission », préc.
  • 27.
    C. élect., art. LO 144.
  • 28.
    Sueur J.-P., rapp. n° 722, 3 juill. 2013, fait au nom de la Commission des lois sur le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée et, sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence de la vie publique.
  • 29.
    Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 30.
    Expression utilisée par Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 31.
    Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 32.
    CE, 25 sept. 1998, n° 195499 : LPA 2 juin 1999, p. 10, note Gicquel J.-E.
  • 33.
    Pierre E., Traité de droit politique, électoral et parlementaire, 4e éd., 1919, Paris, Librairies-imprimeries réunies, p. 474.
  • 34.
    Toulemonde G., « Le parlementaire en mission : encore parlementaire ou déjà agent du gouvernement ? », LPA 31 juill. 2014, p. 55.
  • 35.
    Propos de Messmer P., rapportés par Silvera V., « Les parlementaires en mission », préc.
  • 36.
    Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 37.
    Portelli H. in Rapp. n° 330 (2015-2016), relatif à la prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires.
  • 38.
    Prop. de loi organique visant à supprimer les missions temporaires confiées par le Gouvernement aux parlementaires déposée par M. le sénateur J. Mézard, 2015-2016, n° 4.
  • 39.
    Ces différents aspects étaient déjà mis en exergue par Silvera V., « Les parlementaires en mission », préc.
  • 40.
    Pierre E., Traité de droit politique, électoral et parlementaire, préc.
  • 41.
    Duguit L., Manuel de droit constitutionnel : théorie générale de l’État, le droit et l’État, les libertés publiques, l’organisation politique de la France, 1923, Paris, E. de Boccard, p. 406.
  • 42.
    Cons. const., 24 nov. 1987, n° 87-6 I, relative à l’examen de la compatibilité de certaines fonctions avec l’exercice d’un mandat parlementaire.
  • 43.
    On précisera que dans le cadre de la proposition de loi organique déposée par M. le sénateur J. Mézard, il est question d’abroger la règle de la précarité mais aussi celle établissant le caractère accessoire de la mission administrative par rapport aux fonctions parlementaires des députés et des sénateurs.
  • 44.
    Masson H., De l’obstruction parlementaire. Étude de droit public et d’histoire politique, 1902, Montauban, Imprimerie générale Marius Bonneville, p. 348.
  • 45.
    Zalma G., Le parlementaire en mission dans les institutions françaises, 1980, PUL, p. 49-50.
  • 46.
    Pirou X., « L’incompatibilité entre fonction gouvernementale et mandat parlementaire : vers une séparation atténuée des pouvoirs ? », RDP 2009, p. 853.
  • 47.
    Pierre E., Traité de droit politique, électoral et parlementaire, préc., p. XXXII-XXXIII.
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