Bibliothèques : l’année où les portes se sont fermées
Installées au cœur des communautés urbaines, les bibliothèques ont dû fermer leurs portes et trouver de nouveaux moyens d’atteindre leur public, confiné chez soi.
Ce sont les « dernières forteresses libres et gratuites », comme les surnomme Pascale Lecorre, bibliothécaire à Romainville et présidente de l’association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis. Pour beaucoup de personnes, la bibliothèque est un lieu de lecture ou de connexion à internet. Ces structures offrent un accès universel à la culture (livres, presse, musique, cinéma, etc.), un cadre de travail pour les étudiants vivant dans de petits espaces. La bibliothèque lutte également – et ceci quel que soit son lieu d’implantation –, contre la fracture numérique et l’isolement social.
Sophie Cailleux est membre de l’association BiB92, qui regroupe toutes les médiathèques du département des Hauts-de-Seine, et également bibliothécaire à Meudon : « La presse quotidienne, c’est quelque chose de cher et la bibliothèque permet à certaines personnes de bénéficier de ce service. À Meudon par exemple c’est un lectorat de personnes âgées, c’est leur sortie du jour de venir lire le journal, parler entre eux ».
La région Île-de-France est richement dotée de 992 bibliothèques et médiathèques qui attirent 6 ou même 7 jours sur 7 des publics très variés, comme l’a démontré l’étude de Cécile Moscovitz et Plein Sens : « Bibliothèques d’Île-de-France : horaires et usages des publics », publiée en 2012. Les soirées attirent principalement les étudiants. Elles sont consacrées à l’étude, avec peu de consultations des collections ou d’emprunts et de séjours prolongés. C’est là que l’on trouve le plus fort pourcentage de non-inscrits (30 %). Les mercredis sont des journées où les rayons jeunesse sont très utilisés et les emprunts nombreux. Ce sont des femmes qui accompagnent en majorité les enfants. Le week-end voit un public plus mélangé, avec de nombreux actifs. Les hommes viennent aussi nombreux que les femmes. Les espaces enfants sont très fréquentés. Les moins de 12 ans représentent près d’un visiteur sur 5 le samedi après-midi. Les emprunts sont plus nombreux qu’en semaine (hors mercredi) ; c’est également le cas le dimanche.
En semaine, les usages se répartissent également entre les étudiants et les demandeurs d’emploi, surtout utilisateurs des espaces de travail, les retraités intéressés par la presse et les collections, et les actifs, qui parcourent les rayons et sont de plus gros emprunteurs.
La Covid-19 a donc indéniablement cassé cet élan, les bibliothèques se sont vidées de leurs visiteurs. « Pour une partie des personnes, cela a été dur de perdre ce qui est aussi un lieu de rencontre. Certains ont dit que cela leur manquait pour tout ce qui est échange avec les autres : la bibliothèque est un tiers lieu, les personnes viennent travailler les uns à côté des autres, se rencontrer, passer un moment avec leurs enfants ». Mais face à cette situation inédite, les bibliothécaires ont trouvé des palliatifs.
Clubs de lectures sur Zoom, événements en ligne et Click & collect
Quand les premières mesures sanitaires ont été annoncées et les ouvertures partielles d’infrastructures publiques autorisées, les bibliothécaires ont dû s’armer de patience pour s’adapter. Le travail s’annonçait colossal pour équiper les bâtiments de plexiglas, changer les déambulations, mettre en place un espace de quarantaine pour les ouvrages empruntés. Si le virus peut rester vivant pendant trois jours sur le papier, désinfecter les pages une à une n’était pas envisageable. « Tout le monde a été bouleversé dans les pratiques, pour la première fois on a testé le télétravail et surtout nous nous sommes adaptés sur la prévention et la sécurité pour les procédures d’accueil, pour le mobilier nous avons travaillé avec les services techniques pour les plexiglas », explique Sophie Cailleux. « On a été beaucoup aidés par les associations professionnelles comme l’Association des bibliothécaires de France (ABF) qui se sont penchées sur les préconisations dès la sortie du confinement. Par exemple, ils ont préconisé une quarantaine de 10 jours sur les supports empruntés, avant de passer à trois jours. Chaque médiathèque doit définir des emplacements dédiés mais comme chaque médiathèque est également liée à sa ville, les systèmes de jauges, de désinfection, d’ouverture dépendent des villes ».
Dès le premier confinement, le Click & collect a été vu comme une solution miracle. Mais pour réussir à garder un peu de vie sociale entre le public, les professionnels ont réussi à trouver de nouvelles solutions, parfois la mort dans l’âme. « Cela a été très dur de geler les animations car le bâtiment est d’abord un lieu de culture, et de nombreux intervenants vivent ou arrondissent leurs fins de mois grâce à leurs interventions en bibliothèques. Cela a été particulièrement compliqué d’annuler pour eux, en connaissant ces problématiques. Alors on essaie de reporter dans la mesure du possible, on pousse d’autres programmations pour 2021-2022 », explique Sophie Cailleux, qui a vu la conséquence du confinement en termes d’usages : « Il y a eu une hausse des prêts de livres numériques, pour les médiathèques qui ont des plateformes VOD, il y a eu des pics de téléchargements, et puis certaines bibliothèques ont proposé des animations, des événements en ligne ».
Dans la bibliothèque de Pascale Lecorre, le deuxième confinement a bénéficié du chaos du premier : « La première fois, nous avions déjà pu proposer des sélections de contenus en ligne. À Romainville, on avait fait un service personnalisé par mail pour des personnes qui avaient des demandes précises puis nous avons mis en avant des ressources numériques pour accompagner la scolarité à la maison. Pour le second confinement, c’était différent car la rupture fut moins longue et nous avons davantage servi de relai vers les autres champs artistiques : le théâtre, l’opéra en ligne. Et puis nos bibliothèques ont pu maintenir des clubs de lecteurs en visio (ados et jeunes lecteurs) ». Si ces groupes ne sont pas encore prêts de rouvrir en présentiel, ils ont le mérite d’exister.
Objectif pour 2021 : retrouver la médiation culturelle
Si la Covid-19 a bouleversé la bibliothèque, les professionnels n’ont pas de doute que cet événement a renforcé la relation du public à leur patrimoine. Sophie Cailleux l’a constaté à la réouverture de la médiathèque de Meudon : « On vient juste de sortir du Click & collect qu’on avait mis en place et le public est content de revenir farfouiller en rayons, manipuler les documents. Ils étaient déjà contents que ce service existe et là ils sont extrêmement heureux de venir fureter dans les rayons, de retrouver un lieu où l’on peut flâner, c’est cela qui manquait. Avant c’était simplement le retrait de commande et maintenant la bibliothèque redevient un lieu culturel ». Pascale Lecorre abonde dans ce sens : « Pendant de longs mois nous on avons fait partiellement notre métier : on a pu acheter des livres, les prêter, les traiter mais tout le travail de médiation et toutes les discussions qui sont amenées quand on emprunte un bouquin, c’était dur de ne plus pouvoir le faire ».
À Meudon, les tables de la médiathèque ont retrouvé leur mission de l’avant Covid : les tables liées à l’actu ont présenté le Goncourt, les livres sur les disparus, les histoires de Père Noël. Le sapin et les décorations ont été accrochées avec un plaisir particulier : « Nous avons mis le sapin pour garder une normalité, pour que lorsque les enfants rentrent ils soient contents et se dire qu’on continuera à être un lieu de vie dans la Cité », explique Sophie Cailleux.
En Seine-Saint-Denis, Pascale Lecorre et ses camarades se préparent déjà à affronter 2021 : « Tous les ans nous organisons un festival de printemps, Hors Limites, avec une centaine de rencontres d’auteurs. C’est tombé à l’eau : une partie de la programmation a été remise à l’automne et là, nous préparons un super festival pour le printemps 2021 » !