Justice Portes Ouvertes : l’appel aux citoyens du 29 juin

Publié le 29/06/2021

Ce mardi 29 juin, les professionnels judiciaires organisent une journée Justice Portes Ouvertes. L’objectif ? Inciter les citoyens à venir constater par eux-mêmes comment fonctionnent les tribunaux, plutôt que de s’en tenir aux discours parfois caricaturaux des politiques. Seule ombre au tableau : la surcharge de travail et la crise sanitaire limitent le nombre de juridictions en mesure de participer à l’opération.  

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : @P. Cluzeau)

« Venez vous rendre compte par vous-mêmes », tel est le message qu’ont voulu lancer avocats, greffiers et magistrats en annonçant le lancement de la journée Justice Portes Ouvertes le 8 juin dernier. Une manière de répondre à la manifestation des policiers qui a mis en cause l’institution judiciaire, mais aussi aux attaques de plus en plus fréquentes des politiques. Lancée par les deux principaux syndicats de magistrats, l’action a été rapidement  rejointe par les avocats et les greffiers.

Des palais que la crise a changés en bunkers

Mais toutes les juridictions de France n’y participeront pas, loin de là. D’abord parce que la justice est débordée et n’a pas forcément les moyens d’interrompre son rythme frénétique de travail. Entre les retards occasionnés par la crise sanitaire, l’approche des vacances et les changements de postes qui s’opèrent traditionnellement à la rentrée, c’est la course. Certains chefs de juridiction ont donc tout bonnement refusé. Pas le temps ! Ensuite, parce que la crise sanitaire continue de faire sentir ses effets.  Bien que le confinement ait été levé, l’accès du public dans certains lieux de justice demeure strictement contrôlé, voire interdit. Pour entrer par exemple au tribunal de Coutances, il faut présenter une convocation en bonne et due forme. Qu’il ne vienne pas l’idée à un avocat de donner rendez-vous à un client dans l’enceinte du palais, ce-dernier ne pourra pas rentrer. Pas plus que la famille du prévenu qui passe en jugement n’aura la possibilité d’assister aux débats.  Les chefs de juridiction ont une excuse, l’ordonnance 2020-1401 du 18 novembre 2020 qui limite l’accueil du public s’applique jusqu’à l’issue d’un délai d’un mois suivant la fin de l’état d’urgence, soit jusqu’au 1er juillet prochain.  Mais cette situation fait désordre à l’heure où tout rouvre, y compris les boites de nuit. Par ailleurs, certains professionnels ne peuvent s’empêcher d’y voir le signe d’une justice qui se replie sur elle-même et a trouvé dans la crise un alibi parfait pour refermer ses portes.

Conférences de presse et visites des salles d’audience

C’est ainsi que seuls 26 tribunaux judiciaires sur 164 ont annoncé officiellement leur participation à la journée Justice Portes Ouvertes. Dans certaines villes, quand le tribunal demeure fermé au public, on trouve des solutions alternatives : s’installer sur le parvis, dans un jardin tout proche etc…. Parfois ce sont les avocats qui prennent le relais en proposant une conférence. Selon le recensement de la Conférence des bâtonniers, 16 barreaux ont signalé qu’ils organisaient un événement, mais ils sont sans doute plus nombreux. A Strasbourg, avocats, magistrats et greffiers accueilleront les justiciables en salle des pas perdus. A Soissons, une conférence de presse aura lieu à 14 heures au Tribunal ; sans doute y sera-t-il question des moyens, tant cette juridiction souffre du manque d’effectifs. Rouen a prévu également une conférence de presse et propose aux députés de passer une journée aux permanences. Lyon organise des visites du tribunal et des salles d’audience. En Seine-Saint-Denis, un communiqué sera lu au début de chaque audience ….A Paris, un accueil des justiciables est organisé de 10h à 16h au tribunal judiciaire Porte de Clichy et une conférence de presse se tiendra au palais de la Cité à 15 heures.

La justice espère ainsi faire comprendre ses contraintes, en particulier de moyens, et la difficulté de juger. Le citoyen qui déciderait de s’attarder en comparution immédiate pourrait découvrir que rares sont les prévenus qui ressortent libres et qu’il ne faut parfois pas plus de 15 minutes pour envoyer un homme en prison….Peut-être s’émouverait-il aussi du constater que l’on juge  jusque tard dans la nuit, parce qu’il faut bien « écluser les stocks ». Une justice loin, très loin de l’image de laxisme véhiculée dans l’opinion. Très loin aussi des ors de la République.

 

Katia Dubreuil* : « La justice est un bien précieux, on ne veut pas la voir sombrer »

*Présidente du Syndicat de la magistrature

Actu-Juridique : D’où est venue l’idée de cette journée Portes ouvertes  ?

Katia Dubreuil : Elle est née en réaction aux attaques qui ont visé la justice ces dernières semaines et en particulier à la suite de la manifestation des policiers à laquelle ont participé plusieurs politiques dont le ministre de l’intérieur. Nous aurions compris s’il s’était agi de dénoncer les moyens insuffisants alloués à la police. Mais en réalité, la manifestation visait à dénoncer le prétendu laxisme de la justice et à remettre en cause la légitimité de ses principes les plus fondamentaux. Ces discours sont déconnectés de la réalité, et souvent les citoyens ne mesurent pas les conséquences des propositions farfelues qu’on leur fait, en particulier à l’approche d’échéances électorales. Nous en avons assez d’entendre tout et n’importe quoi sur la justice. Les diagnostics sont souvent à mille lieues de ce que l’on vit au quotidien et les solutions proposées absurdes. Nous avons donc voulu rappeler aux citoyens que les audiences sont publiques et les inviter à se réapproprier leur justice, autrement dit réintroduire le réel dans le débat public. L’objectif consiste aussi à permettre  les échanges entre professionnels et citoyens, pour répondre par exemple aux questions qu’ils peuvent se poser en assistant à une audience.

Actu-Juridique : Qu’espérez-vous de cette opération ?

KD : Les professionnels de la justice sentent qu’on ne peut plus rester dans cette situation de mise en cause permanente de la justice. Au moment même où nous imaginions cette journée, le CSM alertait par courrier le Président de la République sur la gravité de la situation et sollicitait un entretien. Il y avait eu aussi la tribune des chefs de cour dans la presse. Depuis le début de cette mandature, nous tentons en vain de dialoguer avec le gouvernement, on ne nous entend pas, alors nous allons engager le débat directement avec les citoyens. Cela va permettre aussi aux personnels de greffe d’être entendus car ils sont indispensables mais souvent invisibles. Nous allons expliquer au public pourquoi les délais sont trop longs, montrer que la justice est exsangue, non pas pour se plaindre mais pour expliquer. Même les avocats vont assez mal car ils subissent aussi les conséquences de cette situation. La justice est un bien précieux, on ne veut pas la voir sombrer. C’est pour nous également l’occasion de montrer la complexité, l’épaisseur humaine de ce travail. Quand on assiste à un procès, on mesure la difficulté de juger. Entrer dans un palais de justice c’est constater que la justice ne se réduit pas au pénal, mais qu’il y a aussi des gens qui viennent pour des affaires civiles, souvent le dossier de leur vie, qui touche à des sujets graves, un divorce, la garde d’un enfant, un licenciement.  C’est tout cela que traitent les juges et ça ne se réduit pas à de la gestion de flux.

Actu-Juridique : Concrètement, comme cela va-t-il s’organiser ? Ne risquez-vous pas de vous heurter à la réticence des chefs de juridiction liée à la crise sanitaire et à ses contraintes ?

KD : : Les juridictions ont eu peu de temps pour s’organiser mais nous voulions que la journée ait lieu avant les congés d’été. Ensuite, tout va dépendre en effet de la taille des juridictions face aux contraintes sanitaires et aussi du degré d’épuisement des personnels. Il y a des endroits où ça bloque, je pense que si on rouvre les discothèques, on doit pouvoir aussi ouvrir les juridictions.

Actu-Juridique : Ces derniers temps, les relations ont parfois été tendues entre avocats et magistrats. Malgré tout dans cette opération on observe une forme d’union sacrée puisque le CNB et la Conférence des Bâtonniers se joignent à vous ainsi que le SAF…Est-ce une première ?

KD : Nous avons été rejoints aussi par la FNUJA et l’ACE. Avocats, magistrats et fonctionnaires de greffe étaient déjà totalement unis en 2018 et 2019 contre la réforme de la justice et nous avons manifesté ensemble côte à côte. Il peut nous arriver parfois d’entrer en conflit dans des dossiers ou de connaitre des tensions au sein d’une juridiction, mais quand il est question de l’état de la justice, de l’absence de moyens, des délais insupportables, de la déshumanisation, nous sommes parfaitement d’accord et savons nous retrouver sur l’essentiel.

Actu-Juridique : Qu’espérez-vous des états généraux de la justice annoncés par le président Macron ?

KD : Au Syndicat de la magistrature, nous sommes très circonspects. Depuis quatre ans, les professionnels de terrain ne sont pas écoutés et soudain en fin de mandature on leur propose des états généraux, alors que la surdité n’a fait que s’aggraver au fil des mois ? A l’époque de Nicole Belloubet on nous proposait des consultations factices et on nous adressait les projets de texte au dernier moment. Le gouvernement assume désormais de ne plus nous consulter du tout, ni même nous informer. Si l’on se souvient du Beauvau de la sécurité, et autres consultations citoyennes, il y a de sérieuses raisons de penser que tout ça va se finir par quelques personnes qui parleront devant les caméras et puis plus rien. Cela étant, nous allons nous engager dans le processus et y participer. Nous verrons bien.

 

Hélène Fontaine* : « On ne peut pas laisser dire que la justice est laxiste »

*Présidente de la Conférence des Bâtonniers

Actu-Juridique : La Conférence des Bâtonniers a décidé de participer à la journée portes ouvertes, de même que le CNB et plusieurs syndicats d’avocats, pourquoi ?

Hélène Fontaine : Nous avons voulu réagir aux attaques incessantes portées à l’encontre de la justice et de l’état de droit. Cela devient insupportable. En tant qu’acteurs incontournables de la justice, on ne peut pas laisser dire que la justice est laxiste ou encore que les juges ne font pas leur travail. Alors que les attaques politiques se multiplient nous avons le sentiment qu’on ne peut pas se contenter d’affirmer. A notre époque, les citoyens réclament de comprendre. Il faut donc montrer, expliquer la justice du quotidien. Voilà pourquoi nous n’avons pas hésité une seconde à rejoindre l’action lancée par les syndicats de magistrats. Nous participons ensemble à l’œuvre de justice, nous avançons dans la même direction, appliquons les mêmes réformes, subissons les mêmes problèmes de moyens, il faut donc nous battre ensemble.

Actu-Juridique : Comment cette initiative est-elle perçue sur le terrain ?

HF : Les bâtonniers sont très mobilisés. Mais ils doivent s’adapter à la réalité de leurs juridictions. En raison de la crise sanitaire, certains tribunaux s’estiment en incapacité d’organiser cette journée, l’accès au palais sera alors remplacé par des conférences. A la Conférence, nous avons préparé des fiches à destination des barreaux avec le CNB pour expliquer de façon très concrète le rôle de chaque acteur et le fonctionnement de la justice. Au-delà de cette journée, je suis convaincue que c’est le rôle des bâtonniers d’aller dans les collèges et lycées pour expliquer ce qu’est l’état de droit, comment fonctionnent les tribunaux, à quoi sert la démocratie. Cela se fait déjà mais il faut développer ces actions. La Conférence des bâtonniers est à ce sujet partenaire d’InitiaDroit.

Actu-Juridique : Qu’attendez-vous de cette journée ?

HF : Que les justiciables constatent par eux-mêmes comment fonctionne la justice. Et qu’ils voient le manque de moyens auquel nous sommes confrontés : les toitures qui fuient, les murs qui se fissurent. Sans doute comprendront-ils alors ce que nous avons tant de peine à leur expliquer, pourquoi il y a des renvois, pourquoi la justice est lente….Ce sera l’occasion de leur montrer qu’on manque de magistrats et de greffiers. Une justice sans moyens, c’est une justice incomprise, critiquée, discréditée. Les professionnels n’y sont pour rien et les réformes n’y changeront pas grand-chose si les crédits ne suivent pas.

 

Hervé Bonglet* : « Ceux qui nous attaquent sont précisément ceux qui ne nous donnent pas les moyens de travailler »

*Secrétaire général de l’UNSA Services judiciaires

Actu-Juridique : Les greffiers et personnels de greffe ont rejoint la journée Justice Portes ouvertes, pour quelle raison ?

Hervé Bonglet : Il y a trois raisons principales. La première, c’est que nous subissons depuis des mois des attaques répétées. A la limite, nous pouvons comprendre celle des services de police, qui sont épuisés comme nous. En revanche, les attaques des politiques motivées par le fait que nous sommes en période pré-électorale sont insupportables. Elles portent essentiellement sur les magistrats mais décrédibilisent l’institution dans sa totalité. Nous voulons donc montrer que s’il peut y avoir des dysfonctionnements, on ne le nie pas, c’est parce qu’on ne donne pas les moyens à la justice de fonctionner dans des conditions acceptables. Ce qui nous amène à la deuxième raison de cette journée : nous voulons dénoncer le manque criant de moyens. Lorsqu’on évoque le sujet à l’heure actuelle, on nous répond qu’avec une augmentation historique de 8% cette année, le budget connait une embellie inédite et qu’il n’y a donc plus de problèmes de moyens.  Enfin, nous voulons montrer que les personnels de greffe, souvent invisibles, représentent un maillon aussi essentiel au fonctionnement de l’institution que les avocats et les magistrats. Nous voulons expliquer que si on ne met pas de moyens sur les greffes, c’est toute la justice qui dysfonctionne.

Actu-Juridique : Précisément, la chancellerie annonce qu’il n’y a plus de vacances de postes de magistrats, en revanche s’agissant des greffiers, on atteint par endroit jusqu’à 25% de postes non pourvus, voire plus…

Hervé Bonglet : Selon les chiffres de la Chancellerie le taux de vacances de postes au niveau national concernant les personnels de greffe s’élève à 7,5%. Sur une population de 22 000 professionnels, cela représente 1540 postes vacants. Rapportés aux 160 tribunaux judiciaires en France, cela fait presque 10 personnes manquantes par juridiction. Ce n’est peut-être pas significatif  à Paris qui compte 1800 fonctionnaires de greffe, c’est plus grave dans un petit tribunal comme Vesoul par exemple où cela représenterait un quart des effectifs. Surtout, quand on se penche sur les chiffres de la CEPEJ dans son rapport 2020, on constate que les postes vacants pénalisent des effectifs par ailleurs nettement insuffisants.  On dénombre en effet 34 fonctionnaires de greffe pour 100 000 habitants en France contre 37 en Italie et 101 en Espagne, avec une moyenne européenne de 61 pour 100 000.

Actu-Juridique : A Nantes le 22 juin, magistrats et greffiers ont déjà protesté. Ouest-France rapportent que certains greffiers pleurent dans les couloirs du palais, d’autres sont en arrêt maladie. Vous semblez très en colère ?

Hervé Bonglet : Il y a de quoi, ceux qui nous attaquent sont précisément ceux qui ne nous donnent pas les moyens de travailler. Nous sommes le pays des lumières, celui des droits de l’homme, et nous consacrons à notre justice l’un des budgets les plus faibles des 45 pays composant le Conseil de l’Europe. C’est une honte.  Alors quand les politiques qui votent ce budget se permettent ensuite de nous taper dessus dans les médias, il y a de quoi être en colère.  C’est d’autant plus révoltant que si les personnels n’étaient pas aussi investis, malgré le manque de moyens, la justice ne fonctionnerait pas du tout. Nous vivons en permanence dans l’urgence avec le risque d’erreur et la pression des délais. L’exemple que vous citez à Nantes montre que le système est à bout et au bord de l’effondrement.

 

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