Christophe Jamin : « Rêver sa vie pour ne pas mourir »
Dans Passage de l’Union, son premier roman (Grasset), Christophe Jamin, Professeur des universités à Sciences Po, met en scène la rencontre inattendue entre un jeune pénaliste et l’écrivain Patrick Modiano. Un livre couleur sépia sur le passé, le manque, la dette qui figure parmi les 17 romans français et étrangers sélectionnés pour le Prix du premier roman.
Actu-Juridique : Le héros de « Passage de l’Union » est un avocat. C’est le métier que vous avez exercé au début de votre carrière dès lors, forcément, l’on s’interroge : est-ce un récit ou un roman ?
Christophe Jamin : C’est bien un roman, d’ailleurs certains passages ne font à ce sujet aucun doute. Mais bien sûr, il comporte une part de vérité. J’ai en effet exercé six ans le métier d’avocat, comme le personnage principal. Parmi mes clients figurait un homme qui ressemble beaucoup au criminel du roman. Il est exact aussi qu’entre les épreuves du concours de la conférence du stage, j’allais déposer une rose sur la tombe de Floriot. J’avais alors beaucoup d’admiration pour les grands avocats de l’époque, sur lesquels je posais un regard sans doute trop romanesque. En revanche, ce que je dis de la famille du narrateur ne correspond pas à la mienne. Il y a eu certes des résistants et des gens au comportement plus trouble chez moi, mais c’est là qu’intervient le processus de création, j’ai transformé des souvenirs diffus et des impressions en une véritable fiction. C’est justement un roman sur le passage à la littérature. Le narrateur entre dans la fiction au sens littéral, accompagné par l’écrivain qui tient le rôle du passeur. Ce que cet avocat a vu dans l’exercice de sa profession lui rend le monde insupportable. Seule la littérature peut le sauver.
Actu-Juridique : Bien que le roman se déroule en partie dans le monde judiciaire, il est donc davantage un hommage à la littérature qu’à la justice ?
CJ : En effet. J’écris des romans depuis l’âge de 10 ans. Par la suite, j’ai été happé par ma vie professionnelle, mais j’ai continué d’écrire. Paradoxalement, l’idée de ce roman ne m’est pas venue en lisant Modiano, mais Le Chemin des morts dans lequel François Sureau explique la raison pour laquelle il quitte le Conseil d’État. Je me suis à mon tour interrogé pour savoir ce qui m’avait poussé à renoncer à la profession d’avocat et j’ai découvert une insatisfaction comparable à la sienne, l’absence de plénitude, le sentiment d’une certaine trahison par rapport à mes idéaux.
Actu-Juridique : Qu’est-ce qui vous attire dans les romans de Patrick Modiano ?
CJ : Je l’ai connu en regardant Apostrophes quand j’étais adolescent et j’ai pensé qu’un homme incapable de prononcer des phrases à l’oral était certainement capable d’écrire de grands livres. Depuis j’ai lu tous ses romans. Je partage avec lui un même univers, comme lui je marche beaucoup dans Paris la nuit, comme lui je cherche les traces de l’Occupation, les lieux de résistance et de collaboration, sans doute parce que je ressens constamment une impression de malaise, de violence sourde, une forme de noirceur mêlées à une nostalgie de l’enfance. Écrire c’est aussi tenter de retenir un monde qui disparait. J’ai trouvé que pour un premier livre, il y avait une forme d’élégance à rendre hommage à la littérature en transformant un écrivain en personnage de roman.
Actu-Juridique : Allez-vous continuer d’écrire ?
CJ : Passage de l’union est un livre sans retour, un basculement dans la littérature. J’espère que mon éditeur acceptera les autres, sinon je serai perdu. Le manuscrit de mon deuxième roman est déjà terminé. Cette fois ce sera une réflexion sur la violence. Ma génération a été très marquée par celle de la guerre, cette génération de héros qui sont allés au bout d’eux-mêmes et où j’ai eu du mal à trouver ma place. Je travaille toujours sur le souvenir, le passé, le manque, la dette à l’égard de ceux qui nous ont précédés. Les décisions que nous ne prenons pas, ce qu’on ne fait pas, la part de hasard qui décide du cours de nos vies.
Actu-Juridique : Précisément, dans Passage de l’Union, le criminel fait le choix de l’action ….
CJ : Choisir c’est accepter le risque de la mort, c’est pourquoi le narrateur préfère disparaitre dans la littérature pour ne pas exister plutôt que d’agir. Mais le retrait est une impasse. Dans Passage de l’Union, le métro tient une place importante, c’est un moyen de passer d’un lieu à un autre, de disparaître ou de s’enfuir. Et les stations de métro sont comme des matrices. A ce propos, j’ai découvert que la station dans laquelle se déroule une partie de l’action a été fermée en 1940 et rouverte en 1962, l’année de ma naissance ! Quel symbole. J’y vois la volonté de ne pas naître, de retourner à un état antérieur à la naissance. C’est un roman qui pourrait aussi dire qu’il ne faut pas sortir de l’enfance, qu’il faut se contenter de rêver sa vie pour ne pas mourir.
Actu-Juridique : Il y a un autre fantôme, plus discret, dans Passage de l’union, c’est l’écrivain du souvenir, Marcel Proust….
CJ : En effet, je relis Proust en permanence. J’ai toujours un exemplaire de ses romans sur moi et j’en lis des passages à voix haute. Je passe même une partie de mon temps à Cabourg pour marcher dans ses pas. Gracq aussi m’a influencé pour le côté onirique, ainsi que José Cabanis qui a écrit de magnifiques romans sur le temps qui passe. Mais je suis fondamentalement proustien. Mon travail de romancier consiste non pas tant à partager une histoire que des émotions, un regard singulier sur le monde.
Référence : AJU247437