Cités en Argolide (V)
Quoi qu’on en dise, la Grèce est notre mère. Les lieux, les pierres et les monuments sont comme un rappel de notre civilisation. René Puaux (1878-1937) publia un Nouveau guide de la Grèce en 1937 à la Société française d’éditions littéraires et techniques. « L’intérêt de ce livre m’est apparu, un soir d’été, au cours d’une promenade sur l’esplanade du Phalère », disait-il. Il n’avait trouvé dans aucun guide les récits des traditions légendaires du Phalère et son histoire. Il résolut de « rédiger un guide de tout autre ordre, celui du touriste-poète », qui ne manque pas d’ironie. En ce début d’été, nous arrivons en Argolide. Cette région correspond à une péninsule, bordée au nord par le golfe Saronique et au sud par le golfe Argolique, elle-même située dans la péninsule du Péloponnèse.BGF
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« Bacchus assiégea Argos défendue par Persée. Il était accompagné des Bacchantes dont on conçoit mal le rôle militaire, car ces vierges hurlantes et sautantes n’étaient armées que d’un thyrse dont elles tapaient sur la tête des admirateurs trop entreprenants. Le Dieu de la vigne espérait peut‑être troubler les sens des assiégés par la vue de nudités à peines voilées de courtes draperies. Les compagnons de Persée ne se laissèrent pas émouvoir et plusieurs Bacchantes périrent au cours de l’assaut. On les enterra dans une fosse commune, ne réservant une tombe séparée qu’à Chorias, la plus vaillante d’entre elles.
Il vous sera peut-être difficile d’imaginer les danseuses de ballet d’Alfred Bruneau bondissant dans la calme plaine d’Argos et grimpant, les cheveux épars dans le dos, aux flancs du Kastro de Larissa, mais cet exercice intellectuel vous occupera pendant les trois quarts d’heure de la pénible escalade. Il n’est pas exclu qu’elles se soient servi de leur thyrse, bâton ferré enguirlandé de pampres et de lierre, non comme arme de combat, mais comme alpenstock.
Les guides vous signalent la petite acropole du mont Aspis. Ils ne vous disent pas que ce nom d’Aspis (bouclier) vient d’une fête qui se célébrait en ce lieu en l’honneur d’Héra. Au-dessus du théâtre, on clouait un bouclier qu’il s’agissait d’arracher. Le vainqueur recevait une couronne de myrte et un bouclier d’airain. Il y avait à Argos, devant le temple d’Aphrodite, une statue de la poétesse Télésilla, tenant un casque à la main. Cette « Jeanne Hachette » argienne défendit la ville contre les Spartiates et leur fit lever le siège. L’Anthologie ne nous a pas transmis de spécimen de ses vers. Il eut été plaisant de découvrir une élégiaque, bien qu’il n’y ait rien de contradictoire. Près de l’actuelle chapelle Saint‑Constantin, se trouvait le tombeau du flûtiste Sacadas, créateur de la pythique, le premier instrumentiste qui ait réconcilié Apollon avec ses confrères. Le prix de flûte au Conservatoire devrait porter son nom, injustement oublié. Parmi les autres monuments disparus, signalons un temple à Minerve Salpinx (trompetteuse), élevé par Hegelaüs, fils de Thyrrhénus, inventeur de cet instrument. Argos était un centre musical de qualité.
Les marais de Lerne sont l’ancien lac alcyonien par lequel Bacchus descendit aux Enfers pour en ramener Sémélé, sa mère. Si, sur leurs bords, parmi de vieilles pierres, vous rencontrez un figuier, dites-vous que vous avez peut-être retrouvé la tombe de Polymnus, le dégoûtant paysan qui indiqua son chemin au demi-dieu et exigea de lui, pour son retour, ce qu’on ne peut dire, même en latin. Bacchus accepta. Que n’accepte‑t‑on pas, quand il s’agit de sauver sa mère ? Polymnus était mort, quand Bacchus réapparut. Chose promise, chose due. Le demi-dieu planta une branche de figuier taillée sur la tombe et s’assit dessus. Saint Clément d’Alexandrie, qui l’appelle Prosymnus, raconte que les Argiens célébraient ce souvenir tous les ans en des fêtes nocturnes, sur lesquelles l’auteur de l’Exhortation aux gentils ne donne pas, et pour cause, de précisions ».
(À suivre)