Deux destins

Publié le 15/01/2020

Deux destins

Théâtre de Poche-Montparnasse

Deux pièces à un seul personnage, deux destins hors du commun, la performance d’un acteur : une fois de plus, le choix très éclectique du théâtre de poche Montparnasse est une réussite…

Si les deux personnages sont bien différents, ici Eva Peròn, là Michel Bouquet, leur art de la comédie et leur succès populaire les rapprochent et les mèneront, elle, aux sommets du pouvoir politique, lui, à ceux d’une carrière exemplaire au théâtre et au cinéma.

Je ne suis pas Michel Bouquet

Michel Bouquet, si discret et réservé, a participé à plusieurs livres d’entretiens sur le métier d’acteur, dont ce dialogue avec Charles Berling recueillis dans l’ouvrage Les joueurs, paru en 2001 et choisi pour ce spectacle. Il y affirmait la nécessité pour un acteur de s’effacer derrière son personnage, ce qui a conduit Maxime d’Aboville à intituler subtilement son spectacle : « Je ne suis pas Michel Bouquet ».

La performance de ce comédien exigeant, plusieurs fois primé, a été soulignée lors d’un autre spectacle à succès : Histoires de France, qu’il donne dans ce même théâtre.

La mise en scène épurée de Damien Bricotaux présente Michel Bouquet dans un décor réduit à une chaise, qu’il n’utilisera guère, et à une toile abstraite en fond de scène. Il s’octroie une longue pause devant le rideau de fer, en un rituel de concentration pour « sentir » la salle avant qu’elle ne s’emplisse. Il répond aux questions posées, se laisse aller à un monologue intérieur, rassemble ses souvenirs, évoque une enfance un peu triste aux côtés d’un père taiseux, marqué par les deux guerres, avoue son peu d’enthousiasme pour l’école compensé par sa vocation théâtrale et la chance qui lui sourit assez vite : rencontre avec Albert Camus, qui l’engage pour jouer Caligula aux côtés de Gérard Philippe, création des pièces de Jean Anouilh, d’Harold Pinter, succès au cinéma…

Il se laisse parfois aller à évoquer des anecdotes savoureuses, comme ses maladresses lorsque Claude Chabrol pour le tournage de La femme infidèle, veut lui imposer, sans y parvenir, d’apprendre à conduire une voiture.

Un langage de libertaire, jugeant sans complaisance mais sans méchanceté, alternant sobriété en demi-teintes et bouffées de colère sur les dérives de notre époque, endosse la fonction du professeur qu’il fut pour transmettre aux jeunes comédiens… Ces bondissements et rebondissements sont très finement captés par Maxime d’Aboville qui, de l’intérieur, s’identifie à son personnage de manière saisissante. Une fusion au service du paradoxe du comédien, et une déclaration en faveur de l’identité et du « Je ne suis pas », à l’époque où le « Je suis » prend quand même trop de place. Une très belle œuvre.

Evita. Le destin fou d’Eva Perón

Evita. Le destin fou d’Eva Perón se refuse, quant à elle, à toute sobriété et discrétion.

On est ici dans un spectacle de cabaret, une spécialité dans laquelle Stéphan Druet s’est fait connaître, montant depuis une quarantaine d’années d’excellentes fantaisies dont, très récemment dans ce même théâtre, Berlin Kabarett puis Michel for ever.

Familier de l’Argentine, il a choisi de s’intéresser à la diva des « descaminados », la célèbre Eva Perón, source inépuisable d’inspiration pour le théâtre et le cinéma.

Sa manière de la présenter est tout à fait singulière. Jouée par un homme qui porte joliment son célèbre chignon blond, juchée sur un piédestal, elle est gigantesque dans une volumineuse robe blanche du plus bel effet et, soit immobile, soit tournant sur elle-même, elle reste dominatrice jusqu’à l’effondrement final.

La fulgurante ascension de l’icône est contée par son coiffeur, et le texte de Stéphan Druet ne manque pas d’élégance et de souffle pour décrire un destin hors du commun.

Rien ne sera omis des blessures de l’enfance, fille illégitime d’un riche propriétaire terrien et d’une employée aux origines créoles, de son acharnement pour réussir socialement lorsqu’elle arrive à Buenos Aires, de sa rencontre avec Juan Perón lors d’un gala de charité, de la construction du mythe de madone des pauvres, que sa mort à 33 ans permettra de sublimer et conserver. Sainte ou manipulatrice, pétrie d’humanisme ou avide de pouvoir, toutes ces facettes sont présentes avec l’accent mis sur un côté « bonne fille » à la recherche de reconnaissance dans une Argentine où la caste des possédants, des héritiers et des militaires ne cessa de la détester…

Pour l’incarner, il a été fait appel à un danseur, acrobate, chanteur et comédien : Sebastian Galeota. Né en Argentine, il a déjà une longue expérience de collaboration avec Stéphan Duet et sa prestation est, à l’évidence, remarquable, mêlant l’extravagance et l’exubérance mal contrôlées à la sensualité sensible. La voix est puissante et son récit d’une grande intensité.

Sans doute peut-on regretter une absence de rupture de tons pour prendre quelques pauses et répits dans une déclamation systématiquement tonitruante ce qui crée une certaine monotonie.

Mais cette Evita transgenre ne manque pas de séduction.

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