Aux assises de Créteil : la rencontre tragique de deux destins fracassés (2e volet)

Publié le 29/10/2020

Un homme de 42 ans est jugé en appel pour le meurtre précédé du viol d’une femme de 72 ans en 2017. Ces deux destins tragiques, la cambodgienne qui a fui la guerre et le tzigane qui voulait revoir son fils, n’auraient jamais du se croiser…

Aux assises de Créteil : la rencontre tragique de deux destins fracassés (2e volet)
Tribunal Judiciaire de Créteil (Photo : ©P. Anquetin)

La première partie est à lire ici.

Un transfert de haine

« On lit sur son corps comme dans un livre ouvert » commence l’experte psychiatre. Elle décrit un corps d’adolescent gracile mais malnutri, édenté, couverts de cicatrices. On voit qu’il n’a connu d’autre domicile depuis ses 14 ans que les centres fermés et les prisons.

Elle contredit le récit de l’enfance idyllique racontée Monsieur H. « Son père boit. Il se bagarre dans la rue, sous ses yeux. Sa mère boit, il la retrouve parfois titubante, dans le caniveau. Elle vole, elle fait de la prison. Quand son père se noie dans le Danube, il voit son corps violet. Sa mère se remarie tout-de-suite avec un autre homme. Elle fait le choix de l’abandonner. Il perd absolument tout. »

C’est l’origine de ses troubles psychopathiques, selon le médecin. A cela s’ajoutent les violences en prison. Monsieur H. y voit des hommes se pendre. Un puissant narcoleptique circulait dans les prisons roumaines, « une drogue interdite même en Russie car elle tue. Mélangée à de la mort aux rats, elle procure une sensation d’ivresse. »

L’experte enchaîne sur sa relation aux femmes : à 12 ans sa mère « fait le choix de l’abandonner », à 32 ans sa femme le rejette, sur injonction de sa belle-mère. Monsieur H. se fait tatouer sur le corps « Je hais les femmes perverses ». Cette belle-mère, « une veille femme aux cheveux blancs », comme il la décrite à l’experte psychiatre, il la hait plus que les autres femmes, car c’est par elle que le malheur est arrivé. Et quand dans son entretien  l’experte lui demande de décrire la victime, Sok Thu, il répète mot pour mot : « C’était une veille femme aux cheveux blancs ». Pour l’experte, il a opéré une analogie entre sa belle-mère et la victime, « un transfert de haine de l’une à l’autre ». Une haine libérée par la très grande quantité d’alcool qu’il a absorbée le soir du crime.

« Elle est morte à ma place »

Le témoignage de l’ex-femme de Monsieur H. laisse penser que la menace planait depuis longtemps. Elle ne s’est pas présentée à la barre. Le président Draeher lit une déposition lourdement à charge : « Je pense qu’il est venu en France pour me tuer moi. Il était devenu très méchant, il demandait toujours où j’étais. S’il m’avait trouvée, il m’aurait tuée. J’ai le sentiment qu’elle est morte à ma place. A partir de mon 5e mois de grossesse, j’ai toujours eu peur de lui. Quand le bébé avait deux semaines, il l’a pris et pendu par la fenêtre. Il buvait, il volait dans les poches des gens. Je n’ai aucun bon souvenir avec lui. C’est un monstre. Je veux l’oublier. »

L’avocat général Rémi Crosson du Cormier l’admet. « Il n’est pas un tueur en série, il n’est pas derrière un mur à attendre sa victime pour la violer. Mais il s’est laissé aller à une violence et il a cherché à donner la mort. »

Le magistrat invite les jurés à regarder les faits avec un œil neuf. Il évoque la peine décidée par la cour d’assises de Paris en première instance : « 30 ans de réclusion criminelle, c’est lourd, mais pas exagéré ». Il demande cette fois 27 ans et ouvre ainsi la voie à une réduction du quantum. Il souhaite en revanche le maintien de l’interdiction définitive du territoire une fois la peine purgée.

L’avocat de Monsieur H., Maître Dan Hazan, va longuement creuser ce sillon. Pour que les jurés s’affranchissent de la première décision, il revient lui aussi sur le premier procès. « Je suis le seul à pouvoir vous dire ce qu’il s’est passé. » Cette peine « très contestable » de 30 ans fut le résultat « d’une forme de méprise ». Les magistrats attendaient des aveux. « Mais il est difficile d’admettre qu’on a fait à ce point quelque chose de fou ». Cet aveu, dit le défenseur, nous n’en n’avons pas besoin pour connaître la vérité. « Imaginez qu’il vienne vous dire tous les détails… »

« Vous pouvez descendre jusqu’à 15 ans »

Sur le quantum, il compare le dossier avec une affaire similaire jugée dans le Loiret en 2011. Les trois accusés avaient été condamnés à 15 ans.

Il perçoit enfin « une petite lumière, tout au bout de cette obscurité » : la satisfaction exprimée par l’employeur de l’accusé à la blanchisserie de la maison d’arrêt.

« Vous pouvez descendre jusqu’à 20 ou 15 ans sans vous dire que vous avez mal fait votre travail. »

La parole revient à l’accusé.

« J’ai commis ce crime horrible. Je ne pourrai jamais dire aux gens ce que j’ai fait parce que j’ai honte. Je suis dans l’obscurité pour ce que j’ai fait. Je vous prie de m’accorder une chance pour que je puisse un jour sortir et devenir enfin un homme. Je suis capable de changer. »

Aux termes de quatre heures de délibéré, le verdict tombe : Monsieur H. est condamné à 22 ans de réclusion criminelle, sans interdiction définitive du territoire.

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