La régularisation ne fait pas échec à la pénalisation
Depuis la réforme du verrou de Bercy, un mécanisme de dénonciation automatique au procureur a été mis en place. Pour le juge, une déclaration rectificative spontanée ne permet pas d’échapper à ce dispositif si elle a été rejetée par l’administration fiscale.
La Cour de cassation vient de préciser l’effet des déclarations rectificatives spontanées en matière d’avoirs à l’étranger sur les conditions de saisine du procureur (Cass. crim., 23 mai 2024, n° 23-80025). Celles-ci ne permettent d’échapper au mécanisme de transmission automatique au parquet que dans la mesure où elles n’ont pas été rejetées par l’administration fiscale.
La réforme du verrou de Bercy
Mécanisme centenaire, puisqu’institué en 1920, le verrou de Bercy, permettait de réserver le monopole du dépôt des plaintes pour fraude fiscale au Ministre du Budget, après avis obligatoire d’un organisme indépendant créé dans les années 70, la Commission des infractions fiscales (CIF). En matière de fraude fiscale, le parquet ne pouvait donc mettre seul en mouvement l’action publique comme le droit commun le prévoit. Conçu à l’origine comme un mécanisme protecteur pour les intérêts des contribuables, ce dispositif a concentré les critiques ces dernières années, notamment dans la foulée de l’affaire Cahuzac en 2013. Perçu non seulement comme un obstacle à la justice, mais aussi comme une atteinte à l’égalité entre les citoyens et les justiciables, à la séparation des pouvoirs et à la liberté de poursuite des magistrats, il a été profondément réformé. L’article 36 de la Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a profondément réformé les modalités de poursuites de la fraude fiscale, créant deux voies par lesquelles le parquet peut être saisi d’un dossier. Le premier consiste en un mécanisme de dénonciation obligatoire pour les dossiers qui présentent une certaine gravité à l’issue d’un contrôle fiscal. Le deuxième consiste en un système de dépôt d’une plainte préalable pour les autres dossiers, avec avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF), ou sans avis de celle-ci lorsqu’il existe des présomptions caractérisées avec un risque de dépérissement des preuves.
Des conditions d’application strictes
Ce mécanisme de transmission automatique au parquet destiné à faire échec aux verrous de Bercy s’applique cependant aux seules affaires dans lesquelles les droits appliqués atteignent 100 000 euros. Ce seuil est réduit à 50 000 euros pour les dossiers relatifs aux personnes soumises à une déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), comme les ministres. En outre, pour être éligible au mécanisme de transmission automatique, le dossier doit présenter l’application de pénalités administratives révélant un caractère intentionnel dans le manquement du contribuable. Il s’agit des pénalités de 100 %, 80 % ou 40 % qui couvrent en pratique les situations suivantes : l’opposition au contrôle fiscal, la découverte d’une activité occulte faisant suite à une omission déclarative, l’abus de droit ou les manœuvres frauduleuses, le défaut de déclaration d’avoirs financiers détenus à l’étranger, la taxation forfaitaire à partir des éléments du train de vie en lien avec des trafics illicites ou le défaut de déclaration dans les 30 jours suivant la réception d’une mise en demeure et le manquement délibéré. Il est à noter que pour les pénalités de 40 % – pour manquement délibéré et défaut de déclaration dans les 30 jours suivant la réception d’une mise en demeure – la transmission automatique n’intervient que si ces manquements ont déjà été sanctionnés au cours des six années civiles précédentes. En principe, le mécanisme de transmission automatique ne s’applique pas non plus aux contribuables qui déposent spontanément une déclaration rectificative, ce qui les incite fortement à régulariser leur situation en cas de manquements passés. Précisons que dans les autres situations, l’administration reste juge de l’opportunité de déposer une plainte pour fraude fiscale (LPF, art L228-2). Une fois saisi du dossier, le procureur est libre de poursuivre ou non. Pour apprécier les suites à donner à une dénonciation, il peut solliciter de l’administration une actualisation de la situation fiscale du contribuable ou des pièces complémentaires. Il peut engager une enquête préliminaire avec l’assistance des officiers de police et utiliser tous les moyens de recherche de preuves prévues par la procédure pénale.
La régularisation d’avoirs à l’étranger
L’affaire soumise au juge de cassation est relative à la régularisation d’avoirs détenus à l’étranger. En l’espèce, les requérants avaient procédé en 2017 à la régularisation fiscale d’avoirs détenus sur un compte suisse, selon les modalités prévues pour le fonctionnement du STDR (service de traitement des demandes rectificatives), fixées par la circulaire de régularisation du 21 juin 2013. Après avoir engagé en 2018 un examen de leur situation fiscale personnelle, l’administration fiscale leur a adressé deux propositions de rectification rejetant leur demande de régularisation comme irrecevable dans la mesure où les avoirs régularisés étaient constitutifs d’une activité occulte et où, concernant certaines années, aucune demande de régularisation n’avait été déposée. L’administration a ensuite dénoncé au procureur de la République, selon la procédure de dénonciation automatique prévue depuis 2018 au I de l’article L228 du LPF, les faits de fraude fiscale par dissimulation de sommes soumises à l’impôt sur le revenu et à la TVA.
Le fonctionnement du STDR : aucune mention d’éventuelles poursuites pénales
Le dispositif de régularisation des avoirs non déclarés à l’étranger et géré par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) mis en place par la DGFiP a fonctionné entre 2013 et 2017. Rappelons qu’il a obtenu des résultats supérieurs aux attentes. Sa création a correspondu au souhait de mettre en place une méthode incitative visant à susciter des déclarations spontanées en offrant en contrepartie des modalités de règlement attractives. Cette décision d’inspiration pragmatique, à l’anglo-saxonne, a reposé sur le postulat que les rentrées fiscales susceptibles d’être obtenues par cette voie seraient plus élevées que celles pouvant être apportées par un renforcement du contrôle, sujet à de multiples contraintes de moyens et de procédures. Les conditions générales de cette régularisation ont été définies dans une circulaire du ministre délégué chargé du budget, publiée le 21 juin 2013. Ce texte a maintenu inchangée l’obligation pour les contribuables révélant des avoirs non antérieurement déclarés de s’acquitter du paiement intégral des impositions éludées et non prescrites, calculées par application du droit fiscal en vigueur au moment de l’exigibilité et des intérêts de retard. Elle ne comportait aucune mention d’éventuelles poursuites pénales, ce silence étant à interpréter comme signifiant l’absence a priori de poursuites pénales du seul chef de la détention de ces avoirs non déclarés. Cette clause tacite a été rendue possible par le monopole d’engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale dévolu à l’administration fiscale. Cette dispense de fait de poursuites pénales a vraisemblablement constitué une incitation forte à recourir à la procédure de régularisation. La circulaire prévoyait également une atténuation des pénalités fiscales, majorations appliquées aux différents impôts dus (impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune, droits de mutation à titre gratuit, etc.), amendes prévues par le Code général des impôts en cas de non-respect de l’obligation annuelle de déclaration des avoirs détenus à l’étranger (comptes en banque, contrats d’assurance-vie, trusts).
Les effets des opérations de régularisation d’avoirs à l’étranger sur les conditions de saisine du procureur
En l’espèce, un couple de contribuable a procédé en 2017 à la régularisation fiscale d’avoirs détenus sur un compte bancaire en Suisse, selon les modalités pour le STDR fixées par la circulaire de régularisation du 21 juin 2013. Le 23 février 2017, ils ont informé l’administration fiscale de cette intention. Le 16 juillet 2017, ils ont adressé une déclaration rectificative de leurs revenus pour l’année 2016, prenant en compte les revenus perçus sur ce compte. Le 2 août 2017, ils ont transmis un dossier de régularisation fiscale concernant l’impôt sur les revenus des années 2014 et 2015, précisant que les avoirs détenus sur le compte correspondaient aux encaissements de sommes facturées au titre de prestations informatiques par une société américaine dont l’époux est le gérant. L’administration fiscale a, à la suite de la réception de cette demande de régularisation, engagé un examen de la situation fiscale personnelle des contribuables en 2018. À la suite de cette opération de contrôle, elle leur a adressé deux propositions de rectification dans lesquelles elle a rejeté leur demande de régularisation. Elle a en effet considéré que celle-ci était irrecevable dans la mesure où d’une part les avoirs régularisés étaient constitutifs d’une activité occulte et où, d’autre part, pour certaines années, aucune demande de régularisation n’avait été déposée. Puis, conformément au I de l’article L228 du LPF, l’administration fiscale a ensuite dénoncé au procureur de la République, selon la procédure de dénonciation automatique prévue depuis 2018, les faits de fraude fiscale par dissimulation de sommes soumises à l’impôt sur le revenu et à la TVA.
La position de la Cour de cassation
À la suite de cette transmission automatique de leur dossier au parquet, les contribuables ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel. Ils ont soulevé une exception de nullité de la procédure, dans la mesure où le dernier alinéa du I de l’article L228 du LPF prévoit que : « Les dispositions du présent I ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative. » Cette argumentation a convaincu le juge de première instance et la cour d’appel de Versailles qui ont considéré que la procédure pénale devait être annulée pour nullité. Ce n’est pas la position de la Cour de cassation qui casse l’arrêt de cour d’appel. En effet, pour le juge de cassation, l’exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable qui a déposé spontanément une déclaration rectificative constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire qui doit être appréciée strictement. Dès lors, une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l’administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en œuvre d’une dénonciation obligatoire les faits de fraude fiscale, qui remplissent les critères énoncés aux alinéas 1 à 6 de l’article L228, I, du Livre des procédures fiscales. En outre, précise la Cour de cassation, il n’appartient pas au juge pénal d’apprécier la validité de ce rejet, qui relève du contrôle du juge de l’impôt. Ainsi, il convient d’interpréter l’alinéa 8 de l’article L228, I, précité en ce sens qu’il n’exclut l’application des dispositions du I aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative que lorsque celle-ci n’a pas été rejetée par l’administration fiscale.
Référence : AJU013u3