Le cabinet de Turgot

Publié le 28/07/2021

Jean-Baptiste Tenant de Latour (1779-1862) fut nommé en 1846 bibliothécaire du roi Louis-Philippe Ier, au palais de Compiègne. La somme de ses connaissances a été réunie dans ses Mémoires d’un bibliophile, livre paru en 1861. Cet ouvrage se présente sous forme de lettres à une femme bibliophile (la comtesse de Ranc… [Le Masson de Rancé]), et se compose de nombreuses réflexions sur la bibliophilie, les écrivains et le monde des Lettres. Nous reprenons cet été la publication de la Lettre XI consacrée au « Cabinet de M. Turgot ».

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« L’on ne fuit pas sa destinée, Madame ; je n’aurais point cru, assurément, lorsque la dernière fois, j’allai prendre congé de vous, qu’au milieu des affaires, de toute nature qui m’appelaient loin de Paris, j’eusse encore à m’occuper d’études bibliographiques. C’est pourtant là ce qui va faire le sujet d’un entretien que, malgré mes tendances naturelles, j’aurais volontiers rempli autrement. Il est vrai que ce sera de la bibliographie, à peu près comme l’ombre est le corps ; mais cela présente un peu de singularité, chose si précieuse dans le genre : la suite de ma lettre, Madame, pourra seule vous expliquer ce début.

J’étais à peine arrivé depuis quelques jours dans la sauvage retraite qui partage mes affections avec les quais que vous savez, lorsque j’eus occasion de voir M. le baron R., administrateur intègre, homme beaucoup plus lettré qu’il ne cherche à le paraître, et beaucoup plus bienveillant qu’il ne semble vouloir le montrer. On lui avait dit que j’aimais les vieux livres, et, comme tous les gens d’esprit, il mit la conversation sur le sujet que j’aimais. Moi, je n’examine guère, en pareil cas, si cela provient d’un véritable accord avec mes sympathies, ou si c’est là, tout simplement, affaire de bon procédé. Je commence toujours par profiter de l’occasion qui se présente, et je n’eus point à m’en repentir dans celle-ci.

M. R., en effet, touchait à un sujet particulier bien propre à exciter mon intérêt. Il s’agissait de M. Turgot, dont il administrait l’ancienne intendance, et c’est un nom qui a toujours bien sonné dans ma famille. Mon père a eu autrefois de longs et agréables rapports avec M. Turgot. Assez bon agriculteur lui-même, il se trouva souvent en mesure de le seconder dans ses grandes vues agricoles, et je vous dirai même, en passant, que je possède, parmi mes autographes, une gracieuse réponse de M. Turgot, devenu ministre, à une recommandation de mon père, en faveur d’un de ses voisins. Plus d’un motif concourait donc à rendre intéressant pour moi tout ce qui se rapportait au grand économiste, au bienfaiteur du pays où je me trouvais ». (À suivre)

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