Le théâtre des émotions

Publié le 14/06/2022

Musée Marmottan Monet

La peinture serait-elle l’un des miroirs de l’émotion ? Sans nul doute. Les tableaux réunis au musée Marmottan Monet pour l’exposition : « Le théâtre des émotions » reflètent sentiments et réactions variées. Réalisées entre le XVe siècle et aujourd’hui, ces œuvres offrent un panorama sensible des sentiments ressentis exprimés à travers les siècles. Une manière de revivre l’histoire de l’art.

Les visages qui défilent sous nos yeux sont tour à tour porteurs de joie intérieure ou extérieure, de tristesse, d’interrogation parfois, voire de désespoir. Chaque artiste a tenté de décrypter ces états d’âme : de la sérénité, la plénitude à l’angoisse. Au cours du temps, l’écriture a évolué mais les sentiments humains demeurent identiques. Chacun les exprime selon son caractère, et c’est ainsi que telle ou telle figure retient davantage l’attention. C’est Sainte Marie-Madeleine en pleurs à la mort du Christ (1526), d’une intense finesse, peinte dans la pureté du dessin par le Maître de la Légende de sainte Marie-Madeleine ; une larme perlant au coin de l’œil la rend humaine. Autre forme d’émotion, celle de la mort représentée par la Vanité de Philippe de Champaigne, qui met en scène un crâne proche d’un sablier, symbole du temps qui nous est compté, dans une composition tout en retenue.

Une sorte de vérité habite les portraits allemands du XVIe siècle : dans l’un d’entre eux, sous une grande et large coiffe, apparaît une femme portant l’ordre du Cygne récompensant les personnes agissant en faveur des démunis. Le visage semble impassible mais porteur de la sérénité après le devoir accompli. La traduction de l’émotion ne se réduit pas forcément à l’expression du visage, celle du corps, de ses attitudes est aussi importante. On l’observe au cours des époques. Au siècle suivant, les sentiments sont volontiers exprimés par les figures expressives, les attitudes. Chez les caravagesques en particulier, où, en Italie, on passe de la tragédie à des scènes évocatrices des tensions dont sont habités les personnages, parfois dans la théâtralité.

Tous les problèmes liés à l’âme et ses tourments tant religieux que laïcs sont exprimés. Vient le siècle des Lumières, où l’émotion semble parfois primer sur les autres sentiments, avec les scènes galantes de Watteau, témoins d’un monde insouciant avant la Révolution. Ce sont également les peintures de Greuze et Fragonard, qui font vivre cette époque plutôt frivole. Une méthode pour apprendre à dessiner les passions, parue en 1638, aide les artistes à concrétiser leur désir de transmettre l’émotion dans toutes ses différences, parfois avec un peu d’excès : le portrait de l’actrice Madame Vestris, où Simon Bernard Lenoir traduit l’expression à son comble à travers le regard extasié et les mains jointes. Différent est le regard de Louis Boilly, plus naturel, qui dans une composition vivante et colorée, évoque une jeune femme en proie à un malaise à la suite de la vive émotion procurée par une scène du spectacle auquel elle assiste.

Aux alentours de 1830 naît le Romantisme et la notion d’individualité ; grande est la part faite aux émotions que les peintres empruntent parfois au théâtre, à la mythologie ou la littérature. Le sentiment devient plus personnel. Un superbe portrait de jeune femme vue de profil, signé Claude-Marie Dubufe, à la chair dénudée et pulpeuse des épaules et à la naissance de la poitrine affirme autant la sensualité que la tristesse. Plus sombre, plus théâtral sans doute, Les Amants dans la campagne de Gustave Courbet.

En 1839, la naissance de la photographie permet aux artistes de découvrir dans la réalité diverses expressions : celles de l’hystérie en particulier, grâce à Charcot et Paul Richer vers 1884, leur permettant un réalisme qui n’existait pas. Quant au XXe siècle, il ouvre une autre période : l’alcoolisme, la prostitution, la misère qu’elles provoquent sont dévoilés : Les Incompris, avec ces hommes au café devant absinthe ou vin rouge ; la déchéance se lit sur leurs traits. La guerre de 1914 apporte son lot de malheurs symbolisés par La Pensée aux absents d’André Devambez. Zoran Music et d’autres ont évoqué le traumatisme du conflit de 1940 : de la Tête de femme de Jawlensky à La Suppliante peinte par Picasso, qui impressionne par sa présence, son regard qui provoque une sensation de drame.

L’arrivée de la psychanalyse a changé l’interprétation des émotions et sentiments, témoignant des multiples variations d’interprétation, du ressenti ; une tentative de percer le mystère de l’âme humaine.

• Musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, 75016 Paris

Plus d’informations sur www.marmottan.fr

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