Question de rhétorique : l’art de contrer une accusation
Le ton monte au sein du Conseil de Paris à propos du sort des victimes de l’explosion de la rue de Trévise. Alors que la maire du 9e arrondissement Delphine Bürkli attirait une nouvelle fois l’attention des élus le 13 octobre dernier sur leur détresse, le premier adjoint Emmanuel Grégoire a dénoncé le « cynisme » des attaques dont il s’est estimé l’objet. François Martineau, avocat au barreau de Paris, auteur du Petit traité d’argumentation judiciaire et de plaidoirie (1) décrypte le procédé rhétorique permettant de renverser une accusation.
Les récents débats du Conseil municipal de Paris sur l’indemnisation des victimes de l’explosion de la rue de Trévise ont montré que certains de nos élus municipaux maitrisent parfaitement les figures de rhétorique et plus particulièrement celles qui gouvernent la réfutation.
Le 13 octobre dernier, à la suite d’une intervention de la Maire du 9ème arrondissement qui soulignait la lenteur incompréhensible du processus d’indemnisation des victimes, et la douleur de ces dernières, l’adjoint en charge du dossier, piqué au vif, rétorqua « je serais tenté Madame le Maire d’être dur sur le cynisme que j’ai senti poindre de votre intervention… je vais répondre en quelques éléments précis… mais si je ne vais pas m’appesantir sur la douleur que je ressens, que nous ressentons à quelques-uns d’être la victime d’une instrumentalisation… c’est particulièrement grave… (sic) »… dans ce bel entrelacs de fautes de français et d’erreurs grammaticales, l’on peut néanmoins discerner les trois des figures classiques à l’introduction de toute réfutation d’un discours argumentatif : disqualification, opposition, inversion !
Disqualification, tout d’abord, par l’assimilation de l’intervention de son contradicteur à l’expression d’un cynisme ; il s’agit là d’un jugement de valeur qui renvoie à la connotation négative du mot commun, alors même qu’en philosophie le cynisme est une doctrine qui manifeste au contraire le refus de l’hypocrisie, des idées reçues et des conventions sociales, au profit de la vérité ! Dans le cas d’espèce, la connotation négative l’emporte sur le positif
Cette tentative de disqualification du discours d’autrui, au demeurant, est faite non point frontalement mais de manière atténuée : l’accusation dévalorisante est médiatisée par l’intervention de la subjectivité de l’orateur qui l’énonce non comme un fait, mais comme un ressenti à l’audition d’une intervention dans laquelle il« sent poindre… » le cynisme : et en l’espèce, une telle atténuation apparait plutôt comme un …euphémisme !
Opposition ensuite : à l’évocation par son contradicteur de la douleur bien réelle des victimes broyées dans leur chair et laissées financièrement à l’abandon par la mairie de Paris, l’adjoint oppose une autre douleur, la sienne, et celle de ses équipes, prétendument victimes d’une instrumentalisation politique !
Convenons qu’il y a bien du courage dialectique à mettre sur le même plan la douleur d’une jeune fille qui a subi après l’explosion 41 opérations depuis 3 ans et le mal être d’une équipe administrative qui se voit reprocher son inaction…
Mais, là encore un tel procédé est classique. On ne réfute en effet un argument d’émotion qu’en lui opposant un autre argument d’émotion en faveur de sa propre position.
Inversion, enfin puisque dans la bouche de l’adjoint au Maire les victimes de l’explosion de la rue de Trévise ne sont pas seulement celles que l’on croit, mais aussi l’équipe de l’adjoint au Maire lui-même ; cette figure d’inversion est souvent utilisée par la communication contemporaine en psychologie, l’inversion désigne le mécanisme par lequel le sujet et l’objet prennent la place l’un de l’autre : le « je les hais » devient « ils me haïssent ».
En matière rhétorique, l’inversion consiste à reprendre les thèmes et les mots de son contradicteur à son propre profit pour s’en servir comme d’un argument de rétorsion… c’est bien le cas dans le début de l’intervention de cet adjoint au maire.
Reste à savoir si cette accumulation de figures a entrainé la persuasion de l’auditoire….
En douterions-nous ?
(1)Dalloz, 9e édition en cours d’impression.
Référence : AJU249967