Question de rhétorique : ne laissez pas apparaitre les « ficelles »

Publié le 30/05/2022

Lors de son discours d’investiture, Emmanuel Macron a utilisé quelques ficelles classiques dont les « concepts opérationnels ». Le problème, c’est que ça se voyait un peu trop. Explications. 

Question de rhétorique : ne laissez pas apparaitre les "ficelles"
Photo : ©AdobeStock/sp3n

Le 7 mai dernier, Emmanuel Macron était “ré”investi à la Magistrature Suprême.

Dans un discours relativement long pour l’occasion (environ dix minutes lorsque Jacques Chirac et François Mitterrand avaient parlé à peine plus d’une minute pour leurs secondes investitures), le Président réélu a souhaité donner les grandes lignes de ce nouveau quinquennat.

Mais qu’en retenir sur le plan rhétorique ?

L’usage stratégique des concepts opérationnels

La période des élections passée, il n’est plus temps de se laisser aller à de grands discours, mais d’énoncer des propos consensuels, parfois peut-être un peu trop.

Ce discours est marqué notamment par l’emploi outrancier de ce que l’on appelle en rhétorique des “concepts opérationnels”.

Il s’agit de mots relativement creux, avec lesquels tout le monde ne peut qu’être d’accord, mais chacun le sera pour des raisons différentes, selon son prisme personnel.

Typiquement, Emmanuel Macron évoque le fait qu’il veut agir “pour construire des progrès pour chacun” et qu’il a un cap : “vivre mieux”.

 Au-delà du fait qu’il s’agisse de véritables lapalissades (on imagine mal quelque personnalité politique énoncer avec ferveur “Nous voulons que chacun vive moins bien !”), elles permettent d’obtenir le consensus par le fait que chacun l’interprète à sa manière.

Pour certains, vivre mieux c’est obtenir des aides sociales supplémentaires. Pour d’autres, c’est agir contre l’immigration qu’ils jugent massive. Pour d’autres enfin, ce serait de mener une politique écologique pour que la planète survive.

On peut donc constater aisément qu’il ne dit rien, et qu’il laisse à l’esprit de chacun le soin de remplir son programme avec ses envies.

S’il s’agit d’une stratégie qui peut paraître efficace en politique puisque le consensus est difficile en face d’un auditoire aussi hétérogène sur le plan idéologique, son usage doit être parcimonieux au risque de donner l’impression de ne rien dire.

La force de la rhétorique et de ces concepts réside précisément dans le fait qu’on ne la remarque pas.

Celle-ci cesse d’exister dès lors que le procédé utilisé est trop visible.

La marionnette fait apparaître les fils, et personne ne croit plus à la magie de ses mouvements.

Le lyrisme en politique

Autre point intéressant de ce discours, un élément suffisamment rare chez Emmanuel Macron pour être remarqué : le recours au ton lyrique.

A la fin de son allocution, le Président fait appel à nos émotions en évoquant la France, ses valeurs et sa géographie.

Ainsi on observe l’utilisation du champ lexical des sentiments : “soyons fidèles”, “aimons” (à plusieurs reprises), “chérissons”, “inspirer”, “on sent battre le coeur”, “les rêves les plus fous”.

A ce vocabulaire s’ajoute une description géographique de notre pays :

“(…) ce trésor de géographie et de paysages où depuis le plateau de Gergovie jusqu’aux confins des Marquises, depuis les Pyrénées de mon enfance jusqu’à mes plaines picardes, on sent battre le cœur de ce vieux peuple enraciné qui a offert au monde les rêves les plus fous”.

Il évoque enfin des valeurs communes, dans un vocabulaire adapté à ce ton lyrique :

on sent battre le cœur de ce vieux peuple enraciné qui a offert au monde les rêves les plus fous : l’humanisme, les lumières, les droits de l’homme.

Le recours au lyrisme en fin de discours est déjà évoqué par Quintilien dans son Institution Oratoire. Le rhéteur antique y décrit l’importance d’invoquer le pathos, de créer des émotions au moment de terminer un discours.

Ce pathos vient ainsi ancrer le discours et son logos dans l’esprit de l’auditoire en y laissant la marque d’une émotion.

On l’aura compris, le discours d’investiture d’Emmanuel Macron fait un usage exacerbé des procédés rhétoriques.

Et s’il ne fallait en retenir qu’une chose, la voici : ne laissez pas voir les ficelles.

Le Président connaît visiblement les processus rhétoriques mais en abusant de leur utilité, il laisse apparaître les “trucs” de leur magie.

Il faut donc bien user des outils que nous ont transmis les rhéteurs antiques mais n’en point abuser.

Une nouvelle leçon a contrario pour tous les orateurs…

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