Questions de rhétorique : Gérald Darmanin et les grincheux

Publié le 14/12/2022

Interrogé mardi 13 décembre à l’Assemblée nationale par la députée Laurence Robert-Dehault (RN), dans la perspective de la demi-finale du mondial de football qui aura lieu ce mercredi, sur les débordements survenus aux Champs-Élysées le 10 décembre dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est livré à un habile exercice de rhétorique que décrypte pour nous Me François Martineau*. 

Questions de rhétorique : Gérald Darmanin et les grincheux
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur

Parmi les qualités que se doit de manifester un ministre de l’Intérieur, la connaissance des techniques rhétoriques est bien celle qu’il doit privilégier le plus…

Hier mardi, à l’Assemblée nationale, lors d’une interpellation sur les débordements intervenus samedi 10 décembre en marge des victoires du Maroc et de la France en quart de finale, Gérald Darmanin nous a montré qu’il y excellait : en effet, dans sa réponse au parlementaire, il  a offert un véritable florilège de figures de rhétorique communicationnelle contemporaine.

Ces « vitres qui ont eu des bris de glace »

Tout d’abord il n’a pas hésité, à la fin de son exorde, à surprendre son auditoire en utilisant une expression forgée au feu de la novlangue poétique ; pour qualifier les effets des débordements, il a parlé de trois « vitres qui ont eu des bris de glace ». L’Académie française aurait plutôt opté en faveur d’une plus sobre « vitrine brisée ». Mais cette expression, outre son classicisme étriqué, aurait surtout amplifié la désignation des désordres constatés, tandis qu’un simple bris de glace renvoie à la figure sympathique du technicien Carglass qui vient changer un pare-brise légèrement fissuré ; il s’agit là d’un procédé classique de minoration, parfaitement maîtrisé !

Décidément très en verve rhétorique, Gérald Darmanin s’est ensuite appuyé sur l’efficace argument d’identité pour affaiblir la gravité des désordres constatés, d’une part en les généralisant à tous les supporteurs marocains ou français dans le monde entier et, d’autre part, en les réduisant à une simple manifestation de joie, bien légitime et qu’un gouvernement démocratique se doit d’ailleurs de permettre, voire de favoriser. C’est une autre technique de minoration que d’assimiler un phénomène critiquable, en l’espèce les bris de glace, à une réalité, positive celle-ci, l’expression festive et sympathique de la joie ressentie à la victoire d’une équipe de football !

En outre, le ministre a montré qu’il ne s’effrayait pas de la contradiction ; il est vrai que la philosophie officielle du en même temps l’y encourage. Sans doute emporté par son élan oratoire, Gérald Darmanin a poursuivi son propos en remerciant son collègue, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, pour avoir diligenté contre les 107 personnes interpelées par la police le soir des événements des procédures de comparution immédiate ce vendredi… Mais si les manifestations sur les Champs-Élysées n’ont été que l’expression logique de la joie des gagnants, pourquoi de telles procédures pénales, sauf à considérer que désormais en France manifester sa bonne humeur est devenu un délit !

« Arrêtez de faire les grincheux »

Enfin, le ministre s’inspire des principes posés il y a vingt-cinq siècles par Aristote : toute péroraison doit s’achever par une phrase de clôture qui, résumant la position qui vient d’être exposée, disqualifie en même temps son contradicteur. Gérald Darmanin, après avoir invité les parlementaires à se réjouir de cette fête du football, lance pour terminer à ses opposants un « arrêtez de faire les grincheux » assimilant ainsi toute critique sur le maintien de l’ordre à de simples mouvements d’humeur de personnes toujours revêches… et qui se refusent à partager avec le peuple le bonheur procuré par le spectacle de cette coupe du monde de football…

Un beau tir au but !

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