Trésors de musique de chambre

Publié le 11/05/2017

Les musiciens lors du festival de printemps d’Aix-en-Provence 2016.

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Renaud Capuçon n’est pas seulement un immense musicien, il est un fédérateur d’énergies. Lors de l’édition 2016 du festival de printemps d’Aix-en-Provence, il avait réuni autour de lui cinq de ses amis pour interpréter les deux sextuors à cordes de Brahms. Ce CD est le fruit d’une rencontre au sommet. Ces deux pièces sont, à plus d’un titre, fascinantes. Le sextuor N° 1 op. 18 se situe dans la lignée de ses illustres prédécesseurs, Mozart et Beethoven, de par son sens des équilibres entre les voix, pourtant combinées de multiples manières. On est d’emblée frappé par la couleur orchestrale, la densité de la texture ; comme dans l’allegro initial, avec des associations d’instruments aussi souples que libres pour un ton heureux. Le jaillissement mélodique semble infini. Sur le schéma de thème et variations, l’andante ma moderato offre un thème de style populaire en forme de marche. Le travail de variations est magistral. Le court scherzo est joyeux, sautillant, de plus en plus entraînant dans sa manière répétitive, tandis que le trio contraste un thème plus mélodique. Le finale « poco allegretto e grazioso », de forme rondo, s’articule autour de deux thèmes, l’un d’« une grâce paysanne un peu lourdaude » (Claude Rostand), l’autre, plus résolu, et l’œuvre se termine dans une coda lumineuse.

Le deuxième sextuor op. 36, de caractère pastoral, est plus travaillé. À l’aune de l’allegro non troppo, dont le ton élégiaque traduit pourtant des développements extrêmement ouvragés, menés par le premier violon, avec de fréquents changements de climats et, là encore, une science rare des combinaisons entre les six instruments. Le scherzo est plus mélodique que rythmique, la section trio, sorte de valse rustique, encore plus agitée. Le poco adagio, là aussi bâti sur thème et variations, offre un thème tendre et rêveur, introspectif, modulé à l’envi par une grande invention. Le finale est résolument rythmique et tout est ici mouvement passionné avec un travail contrapuntique magistral. Renaud Capuçon et ses collègues livrent des interprétations lumineuses qui traduisent le vrai plaisir de jouer ensemble, une intimité entre musiciens férus de musique de chambre. Le fini instrumental n’a d’égal que le souci d’équilibre des couleurs. Cela chante vrai et ne frôle jamais quelque sollicitation d’un romantisme exacerbé.   

Pour fêter leurs trente ans, les Wanderer reviennent à Antonín Dvorák et à son fameux trio « Dumky », pilier du répertoire du trio pour piano, violon et violoncelle, auquel ils doivent leur premier succès au disque et qui a enluminé plus d’un de leurs concerts. Cet opus 90, Antonín Dvorák lui confère une forme inhabituelle en six mouvements, autant de « Dumky », du nom de la danse épique de la dumka, d’origine ukrainienne. Qui mêle la rêverie mélancolique, sorte de spleen slave, et la fièvre, l’exaltation. Ceci se traduit par une alternance de sections lentes et vives, à l’intérieur même de chaque mouvement. À part le 5e, chacun de ceux-ci débute par une introduction lente qui est vite suivie d’une section fiévreuse. Outre une grande liberté de ton, ce qui est « par endroits, un chant introspectif, ailleurs une danse joyeuse », selon les mots de l’auteur, dégage un charme singulier, celui des changements d’humeur. L’interprétation des Wanderer se refuse à toute sollicitation comme aux débordements. Elle allie justement ardeur et intimité. Elle donne surtout ce sentiment de l’improvisation, de la spontanéité du discours, même si le côté rêveur est ici très soutenu par des tempos lents. Les différences de dynamique sont d’autant plus marquées. La partie du piano est centrale et Vincent Coq est magistral, comme naguère Menahem Pressler chez les Beaux-Arts.

Le trio op. 65 est d’un abord plus sévère, dû à quelque tournure dramatique dans le langage. On y a vu la partition chambriste la plus brahmsienne d’Antonín Dvorák, eu égard à la densité de l’instrumentation comme à l’ambition thématique. Là encore, les Wanderer proposent une exécution enthousiasmante, justement emplie de contrastes : élan fougueux de l’allegro avec ses sommets de tension, intermezzo grazioso joliment rythmé, à la saveur populaire, nanti d’un trio central aux vrais accents brahmsiens ; climat élégiaque du poco adagio, combinant tendresse et déchirement et exhalant un lyrisme retenu ; finale con brio exubérant, bien scandé, avec en contrepoint la danse de « furiant ». Quelle fougue, quelle jeunesse chez nos trois français, quel savoir aussi ! 

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