Trésors de la musique de chambre de Saint-Saëns
Erato
Saint-Saëns a confié au répertoire de la musique de chambre bien des pages inspirées. Ainsi des deux sonates et du trio avec piano joués ici. Il compose sa Sonate pour violon et piano N° 1 op. 75 en 1885, un an avant la Symphonie pour orgue. Sa célébrité vient-elle de ce qu’un de ses thèmes sera consacré par Proust comme la fameuse « petite phrase » de la « Sonate de Vinteuil » dans À la recherche du temps perdu ? Elle est plutôt à trouver dans un généreux jaillissement unissant strict classicisme et effusion romantique. Au long d’une curieuse construction en deux mouvements, chacun divisé en deux parties. Un débit fébrile marque l’Allegro agitato de son thème légèrement emporté au violon, contrebalancé dans un second très lyrique, toujours énoncé au violon – la « petite phrase ». L’Adagio, joué enchaîné, s’ouvre par un motif très orné du violon dans le médium de l’instrument et le discours progresse très élégiaque. La deuxième partie est d’abord distribuée à un Allegretto moderato, en fait un scherzo joliment balancé avec d’amusants unissons des deux voix. Une transition mène au finale fiévreux, le violon jouant une sorte de mouvement perpétuel jusqu’au plus aigu du registre, pour aborder ensuite des passages plus cantabiles. La course reprend et le thème de Swann réapparaît, de plus en plus frénétique. Renaud Capuçon et Bertrand Chamayou adoptent une vision toute de retenue, contenant l’effusion romantique.
La Sonate pour violoncelle et piano N° 1 en ut mineur op. 32 date de 1872 et présente un ton de gravité certain, comme il en est du contemporain et plus connu Concerto pour violoncelle et orchestre. op. 33. Ceci est mis en exergue dès les premières pages de l’Allegro dont la véhémence s’exprime dans le registre grave des deux instruments. Tout aussi sombre, le développement semble offrir quelque apaisement, ce que traduit le jeu empreint de discrétion d’Edgar Moreau. Mais il s’y produit des différences nettes de dynamique, singulièrement dans la partie de piano. Là où Saint-Saëns voyait comme une improvisation, l’Andante tranquillo sostenuto en forme de choral modère l’effusion à travers une intéressante palette. Notamment dans le jeu staccato du piano à l’appui d’une partie de violoncelle presque élégiaque. On remarque là encore la retenue observée par les présents interprètes, piano fluide de Chamayou et toucher souple du celliste. L’Allegro moderato final imprime une pulsation marquée, initiée par le piano sur de longues phrases caressées du violoncelle. Moreau s’y avère magistral tandis que son collègue brode délicatement. Un réchauffement au médian du mouvement frôle le tragique, retrouvant le climat agité du début de l’œuvre, lequel perdure jusqu’aux dernières pages.
Le Trio pour violon, violoncelle et piano N° 2 en mi mineur op. 92, de 1892, est construit en cinq mouvements disposés en arche : deux Allegros à l’extrême et deux mouvements de facture plus légère entourent un Andante central. Le ton est en général plutôt enjoué. Le premier Allegro passionné se caractérise par la tension que communique un thème dramatique. La partie de piano s’avère très exigeante, rapide, presque au galop. Le développement maintient la tension dans un intéressant travail motivique ouvragé par chacun des trois protagonistes. L’Allegretto fait contraste par son esprit de badinage romantique à la française, lequel s’assombrit dans des accords massifs. Cœur de la pièce, l’Andante con moto chante dans un esprit passionné, offrant au clavier un rôle prédominant. Le « Grazioso », sorte de scherzo, est tout de bonne humeur dans son allure de valse. Le dernier mouvement célèbre la veine romantique dans une souveraine maîtrise d’écriture, la coda montrant pareil achèvement jusqu’à une fin prestissimo ébouriffante. C’est bien le terme qui convient à l’exécution de nos trois musiciens qui allient verve, extraordinaire maîtrise instrumentale et surtout parfaite fusion des voix.