Affaire Duhamel : « Les réactions politiques ne sont pas à la hauteur de l’enjeu » estime le professeur Darsonville
Suite à la publication de la Familia Grande, Emmanuel Macron s’est dit favorable à une réforme pour mieux protéger les enfants victimes d’inceste et de violences sexuelles. Trois textes devraient voir le jour. Pour l’heure, la polémique est vive concernant notamment la possible définition d’un âge du consentement et l’allongement de la prescription. Audrey Darsonville, professeur de droit pénal à l’université Paris Nanterre et spécialiste des violences sexuelles estime que les textes actuels sont largement suffisants. Le vrai problème porte sur les moyens. Explications.
Actu-Juridique : Quel regard global portez vous sur le débat qu’a déclenché la parution du livre Familia Grande ?
Audrey Darsonville : C’est toujours assez intéressant d’avoir un livre témoignage sur un sujet aussi important mais où la parole est si difficile. On pourra regretter que le débat sociétal ne s’engage enfin que lors de ce type de révélations car c’est dommageable, mais le problème c’est que la parole des associations ne porte pas. Sans une affaire ultra-médiatisée, rien n’avance. Ensuite, s’agissant des réactions politiques, elles ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. La précipitation avec laquelle on veut tout changer, tout refaire, tout modifier sans même s’interroger sur ce qui existe déjà est dramatique. En résumé, je dirais que le débat est salutaire, mais les réactions inadaptées.
Actu-Juridique : L’un des débats les plus vifs porte sur la pertinence ou non de créer un âge de consentement, qu’en pensez-vous ?
AD. : On ferait mieux de se poser la question de savoir comment protéger plus efficacement les mineurs. Il y a deux ans Marlène Schiappa, à l’occasion de son texte sur les violences sexuelles, avait posé la question sans parvenir à mener cette réforme. Et pour cause, fixer un âge minium en-dessous duquel il y aura forcément présomption de viol se heurte, comme l’a rappelé le conseil d’Etat, à un obstacle majeur. Cela revenait en effet à poser une présomption de culpabilité, ce que la convention européenne des droits de l’homme interdit au nom du respect des droits de la défense. Alors certes, la présomption existe un peu dans notre droit mais pour des contraventions. Là, on parlait d’instaurer une présomption de culpabilité pour un crime puni de 20 ans de réclusion criminelle
Actu-Juridique : Mais de quoi parle-t-on exactement quand on évoque le « consentement » d’un mineur ?
AD. : Qu’il s’agisse d’un viol ou d’une agression, l’infraction se définit par un geste sexuel commis sans le consentement de la victime. Il existe quatre moyens qui permettent de démontrer cette absence de consentement : la violence, la contrainte, la surprise ou la menace. Le juge doit obligatoirement décrire le moyen utilisé pour caractériser l’infraction. Ce qui ne veut absolument pas dire qu’on peut considérer qu’un enfant de 5 ans est consentant, même s’il y a eu de dramatiques ratés de jurisprudence. On utilise les mêmes critères pour les majeurs. La difficulté en jurisprudence, c’est que les viols sur mineurs sont le fait le plus souvent de l’entourage proche et que l’adulte agit alors par contrainte morale, ce qui est très difficile à démontrer pour un adolescent. Précisons au passage qu’il n’existe pas de majorité sexuelle en droit pénal. En revanche, il y a un interdit relatif aux relations sexuelles entre un majeur et un mineur de moins de 15 ans. Au-dessus de 15 ans, cet interdit disparait si le mineur est consentant aux relations sexuelles.
Actu-Juridique : On a quand même le sentiment que fixer un âge du consentement simplifierait les choses….
AD. : C’était la logique de la loi Schiappa, supprimer le problème de la preuve en présumant l’absence de consentement. A l’heure actuelle on voit surgir plusieurs propositions pour tenter de contourner la difficulté. Notamment il est proposé de créer une infraction autonome d’atteinte sexuelle sur mineur de treize ans qui serait punie de 20 ans de de réclusion criminelle. Je ne suis pas certaine que ça passe devant le Conseil constitutionnel, tout dépendra de la rédaction finale de la loi. Sur le fond je suis réservée. Pour que ça ne devienne pas une présomption de culpabilité, le texte dit « sous réserve que le majeur ait connaissance de l’âge ». Il me semble qu’on va simplement déplacer le problème. Le risque est que la personne poursuivie dise qu’elle ne savait pas que la victime avait moins de treize ans ,ce qui sera une nouvelle source de difficulté en termes de preuve. Le deuxième obstacle, c’est qu’on parle d’atteinte sexuelle et plus de viol ; dans une société qui a du mal à regarder la réalité en face sur cette question, il faut garder les mots, un viol d’enfant doit s’appeler un viol.
Actu-Juridique : pourquoi notre système accorde-t-il tant d’importance à cette notion de consentement qui apparait si choquante pour un enfant ?
AD. : Parce que ce qui fonde la répression de l’agression sexuelle, ce n’est pas la protection de l’intégrité physique mais celle du consentement à l’acte sexuel. Voilà pourquoi on ne peut pas supprimer le consentement du raisonnement. Pour l’instant on parle des mineurs, mais on a tout autant de mal à prouver parfois l’absence de consentement chez les majeurs. Alors on pourrait interdire toute relation sexuelle en-dessous d’un certain âge, mais il faudrait assumer ce nouvel interdit, étant précisé qu’il y a aussi des relations sexuelles entre mineurs.
Actu-Juridique : Au fond, pensez-vous qu’une nouvelle réforme soit nécessaire ?
AD. : Absolument pas. Les textes sont largement suffisants. Le vrai problème réside dans la manière dont on les applique. C’est un contentieux massif, les moyens ne sont pas à la hauteur. Il y a aussi des besoins importants de formation, notamment sur la question complexe de l’emprise. Faire autant de propositions en 15 jours suite à la parution d’un livre alors que la loi Schiappa a tout juste deux ans…Il faudrait se calmer, observer si le nouveau dispositif fonctionne, recenser et évaluer ce qui existe déjà, avant d’annoncer de nouveaux textes.
Actu-Juridique : L’autre polémique porte sur la prescription. Faut-il l’allonger ? Que penser de la prescription glissante ?
AD. : Je suis absolument opposée à l’imprescriptibilité. Ce débat est biaisé par l’actualité médiatique. La prescription vient d’être allongée à 30 ans après la majorité, on peut donc porter plainte jusqu’à l’âge de 48 ans. Raisonner sur des faits qui ont eu lieu dans les années 70 cela n’a plus de sens. On nous répond que cela permettrait aux victimes de porter plainte même très longtemps après. Mais pour quoi faire ? Il n’y a plus de preuves, donc il n’y aura pas de procès. En plus, on risque de brider la parole car on sait que certaines victimes parlent précisément à partir du moment où les faits sont prescrits. Autre risque, si la prescription n’existe plus, on attendra encore plus longtemps pour parler ce qui diminuera les chances de pouvoir poursuivre l’auteur. La vraie question à se poser n’est pas sur la durée de la prescription, mais pourquoi les victimes ne parlent pas, c’est ça le sujet. Quant à la « prescription glissante » pour peu que je comprenne ce qu’on met dans cette nouvelle expression, je ne vois pas comment, si la prescription est acquise, ou pourrait réouvrir le délai au bénéfice d’une première victime.
Référence : AJU165169