Dans le prétoire : une audience qui fait du bien

Publié le 03/06/2024

Liz Beege est le pseudonyme d’une avocate qui parcourt les juridictions de France et raconte ses impressions d’audience. Le 6 mai dernier à Strasbourg, elle a découvert une audience surchargée mais rendue sereine par une excellente organisation. Comme quoi, lorsqu’avocats et magistrats travaillent main dans la main, tout le monde y gagne…

Dans le prétoire : une audience qui fait du bien
Palais de justice de Strasbourg (Photo : ©AdobeStock)

Ce lundi 6 mai, Strasbourg grisaille tristement dans les flaques, des quais jusqu’au palais en grès gris du Tribunal judiciaire.

Le contraste s’installe dans l’espace lumineux de la salle des pas perdus : voûtes transparentes et led en auréoles éclairent les deux Sphinx.

Une file de personnes attend d’entrer dans la salle n° 203 où le Juge des intérêts civils est chargé de statuer sur l’indemnisation des victimes des infractions pénales préalablement jugées par les juges correctionnels du Tribunal.

Un étrange référent

A l’intérieur, l’atmosphère est chaleureuse. Des faisceaux brillants éclairent la salle en bois blond. Des va-et-vient se font entre les arrivants et un « référent ». Mais la configuration est inhabituelle. Qui est donc ce référent ?

Bien qu’assis sur le côté, surélevé par rapport à l’assistance comme un greffier ou un représentant du Ministère public, il n’est ni l’un ni l’autre. Il n’est pas davantage l’huissier-audiencier chargé d’accueillir les personnes convoquées pour les coter au rôle.

C’est l’« avocat de fiche » ou « avocat rapporteur », qui rend service à tous ses confrères empêchés en rapportant au Juge leurs « fiches » contenant leurs instructions et toutes sortes d’informations utiles au déroulement de l’affaire concernée.

La greffière, quant à elle, est assise en face de l’assistance, à côté des deux magistrats qui vont siéger, comme s’il s’agissait de l’un d’eux. Seule l’absence de parements satinés du plastron de sa robe révèle que sa mission n’est pas de juger.

Mais pourquoi donc deux magistrats siégeraient-ils aujourd’hui alors que le Président siège à juge unique sur les intérêts civils ? C’est simplement que le Président a, à ses côtés, un autre magistrat en formation.

Une liste de 102 affaires sur 8 pages 

Courtois, le Président attend que l’avocat de fiche ait terminé de recueillir les instructions des derniers avocats passés pour repartir aussitôt à une autre audience. Puis l’appel des causes commence : chacune des affaires inscrites au rôle va être appelée et examinée pour déterminer si elle est en état d’être plaidée puis jugée.

Ici, sur les huit pages de la liste de ces affaires, on en dénombre 102. Et cela va représenter plus de deux heures de mise en état et une troisième heure consacrée aux plaidoiries.

L’assistance est nombreuse, constituée de civils ou de professionnels de toutes sortes, prêts à défendre des points de vue divergents. Signes d’agacement ou manifestations d’irritation, de part et d’autre, seraient prévisibles …

Tout au contraire, c’est une audience qui fait du bien, car la bienveillance attentive instaurée par le Président domine l’audience.

Pendant toute la mise en état en effet, le Président et l’avocat de fiche vont constamment échanger dans un rituel cordial auquel participeront la greffière, les avocats présents et les parties venues en personne sans avocat.

Calme et cordialité

Quelquefois, il y aura une pause pour laisser aux uns le temps d’écrire les observations des autres. Car la procédure est orale de sorte que la greffière doit consigner les informations et les propos relatifs à chaque affaire, sur le plumitif d’audience ; l’avocat de fiche les rapporte lui aussi sur sa copie du rôle pour ses confrères absents qui les consulteront à l’Ordre des avocats ; les avocats présents en font autant.

Dans le prétoire : une audience qui fait du bien
Palais de justice de Strasbourg (Photo : ©Liz Beege)

Quelquefois même l’on interrompra le Président en lui demandant de revenir un peu en arrière pour s’assurer de la teneur de sa décision dans la précédente affaire. Et cela se fera posément, pour s’assurer que tout est bien clair. Le calme s’associe à la cordialité.

Il y aura malgré tout bien sûr quelques visages las de la longueur de l’appel des causes.

Et l’on doit convenir en effet que la liste des affaires appelées est bien longue et que certaines affaires ont déjà été renvoyées lors de deux ou trois précédentes audiences du Juge des intérêts civils.

C’est que le Tribunal correctionnel renvoie le traitement de l’indemnisation des victimes devant le Juge des intérêts civils pour leur permettre de chiffrer leurs demandes et d’en apporter les justificatifs, et que cela peut prendre un certain temps.

Il en est ainsi des victimes de blessures volontaires ou accidentelles au préjudice déterminé après des mois, le temps que l’expert médical ait été désigné par le Juge et que ce dernier ait statué sur son rapport.

Il est également des victimes qui tardent à transmettre les pièces justificatives de leur préjudice, comme trois des victimes présentes ce jour ; leur affaire est donc renvoyée en septembre, pour la transmission de leurs pièces, s’il reste encore de la place au rôle ou sinon, en octobre prochain.

D’autres affaires vont connaître un sort similaire. Ainsi, une victime de cambriolage n’a présenté qu’un devis de réparation de sa maison à la précédente audience. Questionné par le Président, le cambriolé victime chiffre sa demande à une somme supérieure, celle de la facture définitive des travaux qu’il communique, provoquant ainsi le renvoi de l’affaire à la demande de l’avocate du cambrioleur qui doit en informer son client. L’affaire ne sera donc en état d’être plaidée qu’à la prochaine audience d’automne.

Mais le Président ajoute très obligeamment à l’attention du cambriolé victime que ce dernier pourra s’épargner un nouveau déplacement. La greffière lui donne même son adresse mail ; c’est d’accord, elle lui communiquera la date du jugement. Et les avocats du cambrioleur et des assureurs se mettront en relation avec l’avocat de fiche, on le sait.

Le tout se déroule de façon naturelle et franche et ne provoque du coup aucune aigreur, ni des uns ni des autres. Le Président décode le vocabulaire judiciaire pour les parties non assistées d’un avocat. Le ton est certes au dialogue mais dirigé avec tact.

Qu’un avocat soit en arrêt-maladie, le Président le sait et le renvoi est naturellement ordonné.

Mais qu’un autre avocat soit absent pour deux affaires de son cabinet et le Président s’en inquiète à l’appel de la deuxième affaire et demande si l’un de ses confrères dans la salle pourrait l’appeler afin d’être clairement fixé sur la signification de son absence.

Un regard inquiet se dirige sur le rôle pour contrôler la lente progression de l’appel des causes. Le Président qui en est bien conscient observe en souriant à l’attention de l’assistance qu’il travaille à faire avancer les choses.

Une partie n’a pas répliqué aux conclusions adverses : le Président demande à l’avocat de fiche de lui confirmer qu’il n’a pas d’instructions afin de s’assurer de pouvoir retenir l’affaire pour la trancher. Le Président veille à nouveau à ce que le silence ou l’absence des parties ne soit pas involontaire.

Affaires retenues et plaidoiries

A l’inverse, un silence durable, conservé en connaissance de cause par la victime, est le signe d’un désintérêt et sera considéré comme tel. Le temps perdu à conserver inutilement l’affaire au rôle, ne le sera dès lors pas davantage.

Tout est sujet à un examen précis, selon les mêmes règles énoncées et donc connues de tous. La greffière qui vérifie attentivement quelles parties ont été « touchées » par ses convocations, n’est pas en reste. Elle passe chaque affaire au peigne fin.

Grâce à une vigilance sans faille du Président pour traquer l’abandon, la résolution ou la disposition à être jugée de chaque affaire, une vingtaine d’entre elles va donc être l’objet d’une décision prochaine, ce qui allègera d’autant les fournées de l’automne.

Tandis que l’avocat de fiche s’éclipse en direction des locaux de l’Ordre, ses confrères dont l’affaire a été retenue resteront plaider et seront écoutés avec la même attention que précédemment, pendant une troisième heure.

A une époque où l’on évoque souvent la dégradation des relations entre magistrats et avocats, voilà une audience qui permet de positiver.

Après un saut au greffe et à l’Ordre, quand on repartira le long des quais de l’Ill, les flaques seront moins tristes.

Dans le prétoire : une audience qui fait du bien
Palais de justice de Strasbourg (Photo : ©Liz Beege)
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