Île-de-France

En Île-de-France, le rideau tarde à se rouvrir

Publié le 21/07/2020

Septembre 2020, janvier 2021, voire 2022 ? Le retour à la normale dans le milieu du spectacle n’est pas (du tout) prévu pour demain. L’Île-de-France, le cœur culturel de la France, est particulièrement impactée par la situation.

L’Île-de-France, avec ses théâtres de boulevard, ses scènes mythiques, ses centaines de cinémas et ses stades de banlieue, concentre une très grande partie de la vie culturelle française. C’est simple, tous les jours, c’est plus d’un millier d’événements, de films et de spectacles qui sont proposés dans la région. En temps normal ! Pendant la crise du coronavirus (et après) la région est devenue une zone rouge, et reste sous surveillance à la veille d’une deuxième vague…

Or au gré des mesures gouvernementales interdisant les rassemblements, tous lieux recevant des spectateurs et spectatrices ont été progressivement fermés. L’éventualité d’un retour à la normale ne s’envisage pas avant 2021, voire 2022 : les mesures barrières imposent des demi-jauges or un spectacle n’est souvent rentable qu’à partir d’un taux de 80 % de remplissage. Avec les salles, restées portes closes, ce sont des milliers d’entreprises sous-traitantes basées dans la région qui trinquent : le catering de concert, la sécurité, les loueurs de matériels, les sociétés d’ingénieurs du son, les boîtes de producion, les tourbus et autres transporteurs de matériel de tournée sont à l’arrêt.

Le 6 mai dernier, le président de la République annonçait une aide pour le secteur de la culture avec un prolongement des droits aux seuls intermittent.e.s et ce jusqu’au mois d’août 2021, un geste loin de satisfaire les centaines de milliers d’acteurs et d’actrices du spectacle, plus souvent en auto-entreprise, petit.e.s patron.ne.s ou salarié.e.s en CDDU. Confronté.e.s à une absence de plan de sauvetage de grande ampleur pour leur secteur (comme le plan pour l’industrie automobile), ils et elles ont été nombreux.ses à se rassembler pour crier. Le collectif des Artisans des spectacles, composé d’entrepreneurs et entrepreneuses et de salarié.e.s en CDDU, a rassemblé plus de 1 500 signatures sous le mot d’ordre « le spectacle vivant est plongé dans le noir, aidez-nous à remettre la lumière »!

L’Officiel des spectacles, l’hebdomadaire culturel francilien qui fait figure d’institution (il existe depuis 1946), s’est ainsi retrouvé sur le carreau : « la décision de suspendre la publication a été prise le 14 mars dernier au soir (pour le numéro du 18 mars). L’Officiel n’avait jamais suspendu sa sortie en kiosque auparavant, à une exception près : en mai 1968. Néanmoins, nous avons poursuivi quotidiennement le travail de mise à jour de l’agenda (annulations des événements puis reprogrammation/reprise) sur notre site web www.offi.fr et application mobile. Nous avons mis à profit cette pause imposée pour préparer notre nouvelle formule. Le travail est toujours en cours, la sortie en kiosque est prévue pour la fin de l’été », nous a expliqué Valérie Rousselot, directrice de publication.

Cette mise à profit du temps de pause, tout le monde n’a pas pu en profiter. À Roissy, la société Dushow est exsangue. Créée en 1980, à une époque où les productions musicales commençaient tout juste d’exploser, la société est un incontournable dans la location de matériel de concerts (structures scéniques, son, lumière). Elle déclare 57 à 58 millions de chiffre d’affaires chaque année, dont 32 rien qu’en Île-de-France. En pleine saison des festivals et des concerts de l’été, ses 120 000 m2 de locaux de stockage et de studios sont aujourd’hui remplis de matériel. Cette année, pas de Solidays, de We Love Green ou de Men Square Festival, seule l’activité liée à la télévision a repris timidement. Résultat, 260 salarié.e.s équivalent.e.s temps plein sont au chômage partiel. Les 1 000 intermittent.e.s avec lesquels la société travaille chaque année, sont pour l’instant protégé.e.s par le maintien de leur statut jusqu’en 2021. « On gère tout, du spectacle de marionnette à Mylène Farmer… on devrait être en train de démonter Solidays, ça fait 22 ans que je le fais. C’est surréaliste », estime Xavier Demay, directeur de la société, qui s’étonne encore de l’enchaînement des faits. « Je me souviens qu’en janvier, lors d’une réunion, j’ai dit “il ne faudrait pas que ça vienne en France, on serait dans la merde” et beaucoup avaient rigolé. Quelques semaines après, le gouvernement interdisait les rassemblements de 5 000 personnes et l’anniversaire de Tryo à Bercy sautait. Des mois que l’on répétait. Le château de cartes s’est écroulé ». Si la société a bénéficié du chômage partiel et d’un prêt garanti par l’État (pas encore déclenché), elle n’a pas pu avoir accès à l’exonération de charges, réservée aux sociétés de moins de 250 employé.e.s salarié.e.s équivalent.e.s temps plein.

En Île-de-France, le rideau tarde à se rouvrir
Alexey Novikov / AdobeStock

« L’impact financier on ne le mesure pas, on mise sur la préservation des emplois. C’est notre priorité : nous sommes des métiers très fidèles ». Une fidélité qui se mesure au secteur entier « Nous formons un maillon, nous sommes souvent clients, fournisseurs de nos concurrents et vice versa. C’est pourquoi, la perte d’une entreprise du secteur est une catastrophe pour tous. Le téléphone a beaucoup sonné pendant le confinement, pour s’assurer que tout le monde allait bien ».

Nichée dans l’Île Seguin, à Boulogne-Billancourt, la Seine Musicale, sa boîte de production, ses 36 000 m2 et ses deux salles de concert, a ouvert ses portes en 2017 avec une affiche prometteuse : Bob Dylan. Une inauguration presque simultanée avec Paris La Défense Arena, (ex U-Arena), l’une des plus grosses salles de concert d’Île-de-France et qui devait accueillir Céline Dion en juillet. Issue d’un partenariat public-privé, la Seine Musicale est née de la volonté du Conseil des Hauts-de-Seine, à l’époque dirigé par Patrick Devedjian (depuis décédé du Covid-19), d’apporter des équipements culturels dans l’Ouest parisien, alors que l’Est bénéficiait d’un arc Stade de France-Zénith-Bercy.

Selon Olivier Haber, directeur de la Seine Musicale, il sera difficile de se relever de la crise du Covid-19, et de la crise économique qui suivra. « Nous n’aurions jamais imaginé cela. On a tout encaissé à mesure que les choses se sont enchaînées. Depuis 2015, et les attentats qui ont touché le Bataclan et le Stade de France, les salles parisiennes ont beaucoup souffert pour renouer avec les spectateurs et spectatrices. Et puis on a eu les gilets jaunes… tout cela a eu impact sur le long terme ».

La Seine Musicale est protégée par son statut public-privé et par son activité de production, couverte par une assurance. « En tant que producteurs on est accompagnés, cela entre dans la clause de force majeure. En tant que salle, nous ne sommes pas couverts sur la perte d’activité et on a que nos yeux pour pleurer ». Dès septembre, la Seine Musicale pourra pourtant reprendre une activité avec de petites jauges. Les gros concerts, comme Björk, Starmania ou Deep Purple qui étaient prévus, sont repoussés à 2021 voire 2022. Car contrairement aux restaurants qui peuvent rouvrir en un clin d’œil, une réouverture de salle avec des spectacles demande beaucoup de travail en amont. Une “zone grise” qui n’est pas prise en compte dans les calculs de l’État, sur le chômage partiel et l’aide aux intermittents. “Quand la sortie de crise aura vraiment sonné, les spectacles ne pourront reprendre qu’après 6 mois voire un an de travail en amont… aujourd’hui je prépare 2022 ! Comment cela va-t-il se passer si le secteur n’est pas accompagné dans l’intervalle ? S’il n’y a pas de plan d’aide aux entreprises, si nous n’avons pas d’aides sur les charges, sur les loyers, sur le chômage partiel ? ».

Olivier Haber s’inquiète particulièrement pour les entreprises franciliennes sous-traitantes, ses fournisseurs : « Celles qui n’allaient pas bien ne passeront jamais la crise ». Une crise qui ne fait que commencer selon le gestionnaire de salle : « quelles que soient les décisions qui seront prises pour nous, malheureusement la messe est dite pour l’automne, on construit tout sur 2021 en visant un retour à la normale en 2022. Mais après ? On sait qu’il y aura une crise économique, que le pouvoir d’achat des Français.e.s sera atteint. Comment on va gérer cela ? Faudra-t-il baisser nos tarifs ? Mais comment ? Toute la chaîne doit être repensée car dans notre milieu la rentabilité d’une salle tourne autour de 80 % de jauge complète, et le secteur fonctionne en cumul de petites marges, personne ne se taille la part du lion ».

Olivier Haber n’est pas le seul à craindre le pire. Dans une enquête nationale, le Prodiss, Syndicat national du spectacle musical et de variété, a estimé qu’à l’heure actuelle la crise avait coûté 1,8 milliard d’euros aux entreprises et que 50 % des acteurs et actrices du marché étaient au bord de la faillite. Les lumières de Paris auront du mal à se rallumer.

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