Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Flammarion
Florent-Claude Labrouste, 46 ans, déteste son prénom. Mais ce n’est pas la seule chose qu’il déteste vraiment chez lui ! Ce personnage nous raconte alors sa vie, et nous assistons, impuissants, à son inexorable descente aux Enfers…
C’est jeune pour se laisser mourir, 46 ans. Non pas qu’il soit suicidaire, Florent-Claude. C’est plutôt que l’envie l’a quitté, il n’a plus envie de rien et va se laisser aller dans la dépression, voire s’en repaître, et le traitement à base de sérotonine n’y pourra rien, à part l’enfoncer un peu plus et lui causer des troubles de libido et d’obésité…
Sérotonine, le dernier opus de Michel Houellebecq, évoque ce ratage de vie, de ces gens qui passent à côté du bonheur et qui sombrent dans une agonie amère.
Quelle est la place de la dépression dans votre vie ? Dans celle de Florent-Claude, elle est sa raison de vivre. En fait, il se complaît dans cet état, et le « petit comprimé blanc, ovale, sécable », lui permet tout simplement d’adoucir sa vie.
« Si ma vie se termine dans la tristesse et la souffrance cela n’est lié qu’à de fâcheux concours de circonstances, objet de ce livre », énonce sobrement cet antihéros. Nous suivons cet itinéraire qui le conduit inéluctablement vers une fin tragique. Son parcours amoureux est retracé avec humour, et l’on trouvera dans ce livre quelques pages d’amour, mais aussi du sexe, sous toutes ces formes, un peu de médecine, du droit, un précis sur les aides agricoles et les AOC, voire même une formule mathématique pour résoudre l’équation : saut dans le vide, vitesse d’un corps qui chute, durée de la chute…
La chute
Au fil des pages, ce récit devient de plus en plus noir ; l’humour quitte le milieu de l’histoire quand on aborde la Normandie, cette France rurale, avec ses agriculteurs en colère, ses fermes, ses animaux, ses fromages, ses exploitations terrifiantes aussi, où l’on élève des poulets en batterie, ses amours perdus et sa rencontre avec Camille… car c’est certainement cet échec qui a engendré tous les autres.
Tout est précis dans les propos de Michel Houellebecq, même ses références au droit, bien qu’il ne puisse s’empêcher de le tacler : « Il n’y a certainement aucun secteur de l’activité humaine qui dégage un ennui aussi total que le droit » (p. 147). De quoi raviver les mauvais souvenirs des bancs de la faculté…
Maniement des armes, agriculture, médecine, tout est décrit avec des mots justes.
Pourtant, ce roman est drôle et triste à la fois. On voudrait que cet homme se réveille, qu’il sorte de cette torpeur implacable. 46 ans, c’est tôt pour penser que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue…
Toutefois, on ne peut dénier à Michel Houellebecq ce talent pour décrire aussi merveilleusement la médiocrité de ce monde, les petits arrangements avec notre morale, nos grandes réussites, et surtout nos pires ratés !
Il parvient même à faire cohabiter dans une même phrase Rihanna et Proust : « Rihanna aurait fait flasher Marcel Proust » (p. 335) ; et avec quel talent !
Peu importe ce à quoi on carbure : sexe, alcool, cigarettes ou pilules blanches, la vie vaut-elle d’être vécue, et si oui, comment ? Que se rappellera-t-on au moment de rédiger nos dernières volontés, nos amours passés, nos réussites professionnelles, nos échecs ? Ce livre est un peu tout ça à la fois et se veut le récit d’un homme médiocre, entraîné malgré lui dans la dépression, et qui sombre peu à peu.
Qu’est-il préférable : des remords ou des regrets ? Ici, les deux se valent…