Inaya Yoga Ngoumdjam : « Je savais qu’il fallait que je travaille plus que les autres pour avoir une chance de réussir » !

Publié le 05/10/2023

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La Journée de la femme digitale (JFD) est l’accélérateur de croissance des femmes qui changent le monde. Seul prix tech féminin sous le haut patronage du président de la République française, le Prix les Margaret de la JFD récompense depuis plus de 10 ans, des femmes entrepreneures, intrapreneures et des jeunes filles de 7 à 18 ans, européennes, africaines, et désormais canadiennes, dont les projets et innovations répondent aux grands enjeux de notre société. À tout juste 16 ans, Inaya Yoga Ngoumdjam a reçu, au printemps dernier, le prix Margaret Junior pour l’Europe. Sur la photo de la remise des prix, elle prend la pose dans une veste de costume beige, qui la fait paraître plus sérieuse et plus âgée. Lorsqu’on la rencontre quelques mois plus tard, c’est une adolescente détendue, débordante de rêves et d’énergie, qui assume ses ambitions et espère aider les jeunes à réussir leurs études. Elle a bénéficié de plusieurs dispositifs qui visent à promouvoir l’égalité des chances en Île-de-France. Entretien.

Actu-juridique : Tu es la lauréate du prix Margaret pour l’Europe. Peux-tu te présenter ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : Je ne m’attendais pas à gagner ! Je pensais que plein de gens en Europe seraient plus talentueux que moi. J’ai 16 ans et je suis au lycée Julie-Victoire Daubié à Argenteuil, en classe de première. Je suis très curieuse, j’aime l’actualité et la sociologie. Je vis avec mes parents et deux petites sœurs que j’encourage tous les jours à devenir la meilleure version d’elles-mêmes. Enfin, j’habite dans un quartier populaire. C’est important pour moi de le dire : ce n’est pas pour cela qu’on ne peut pas faire de grandes choses. Il faut juste avoir les clés. Je veux être un modèle pour les jeunes de mon quartier. J’aime beaucoup aider les gens et j’aimerais que tout le monde réussisse, peu importe d’où il vient. Depuis que je suis petite, j’ai la chanson « Banlieusards » du rappeur Kerry James dans les oreilles : « Banlieusards et fiers de l’être, on n’est pas condamnés à l’échec ! »

AJ : En quoi consiste Youngsess, l’application pour laquelle tu as été récompensée ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : C’est une contraction de Young et Success. Je l’ai créée en vue du concours des prix Margaret. Youngsess a pour but de fonctionner comme un réseau social et de mettre en relation des jeunes des quartiers avec des mentors qui sont dans la vie active, dans tous les métiers : professeurs, avocats, médecin, ou secrétaire d’État ! Les réseaux sociaux, ma génération a grandi avec. Cela peut être nocif, mais aussi donner des clés si on les utilise bien. Le jeune pourra remplir un formulaire avec des critères. Par exemple, si une jeune fille veut avoir un mentor femme parce qu’elle est plus à l’aise avec une femme, elle pourra le préciser. L’application proposera des liens vers les différentes écoles et études. Des métiers se créent tous les ans, on ne les connaît pas tous : l’application permettra de centraliser ces informations et de rester à jour. Pour le moment, elle est à l’état de prototype. Je veux que ce soit parfait avant de la lancer, je cherche des fonds et des développeurs pour certaines fonctions car l’école ne me laisse pas assez de temps pour tout finaliser seule. Mais à ce jour, j’ai déjà eu une avalanche de propositions sur LinkedIn, de professionnels de tous horizons qui acceptent d’être mes mentors !

AJ : Comment as-tu entendu parler des prix Margaret ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : Dans mon quartier, la plupart des élèves ne connaissent pas Sciences Po, ou les grands lycées parisiens. Moi, En CM1, j’avais vu un documentaire sur Henri IV et je voulais y rentrer ! Quand j’étais en cinquième, j’avais déjà la tête sur les épaules. Je savais qu’il fallait que je travaille plus que les autres pour avoir une chance de réussir ! L’école m’a proposé de participer à l’association Télémaque, qui accompagne les élèves dès le collège pour améliorer l’égalité des chances. Finalement, je n’ai pas pu profiter du programme parce que je n’étais pas boursière, et que des élèves en avaient plus besoin que moi. Cela a été partie remise : deux ans plus tard, le collège m’a proposé d’intégrer le programme de Rev’Elles, une association qui accompagne les jeunes filles de quartiers populaires pour qu’elles prennent confiance en elles. J’ai réussi à entrer dans l’association et j’ai rencontré une de mes amies proches qui m’a parlé d’une autre association, Become Tech. Cette dernière est une association nationale qui promeut la mixité dans l’informatique et le numérique, des domaines qui attirent peu les filles. Elle est présente en Île-de-France, dans le Val-d’Oise, le Val-de-Marne, les Yvelines, et Paris. Je n’avais rien à faire de mon été, j’ai tenté ma chance et j’ai réussi à intégrer ce programme. C’est là qu’on m’a parlé des prix Margaret junior.

AJ : Comment s’y prend-on pour créer une application ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : Avant d’intégrer Become Tech, je pensais que pour créer une appli il fallait être un geek ou un génie ! Je me mettais des barrières, je m’autocensurais. Pourtant, quand on a la formation, c’est simple. Chez Become Tech, on apprend à coder et à maîtriser la communication digitale. Je suis donc partie des connaissances que Become Tech m’a données. En octobre dernier, on m’a demandé si je voulais candidater pour les prix Margaret Junior. J’ai foncé ! Mais j’avais un syndrome de l’imposteur. J’essaye de grandir en me disant que je suis légitime, qu’il s’agisse de créer une application ou de faire de grandes études. Je peux faire ce que je veux tant que cela ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui !

AJ : Qu’est-ce que le prix a changé pour toi ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : Je me sens plus légitime. J’ai rencontré plein de professionnels et cela a élargi mon champ des possibles. La Journée de la femme digitale m’a apporté beaucoup. J’ai acquis des savoir-faire et des savoir-être. Je pars avec un bagage plus rempli que les autres.

AJ : Que penses-tu faire après le Bac ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : Le champ des possibles est tellement large ! J’aimerais bien tenter Sciences Po et faire un métier dans la diplomatie, ou en lien avec le droit et la science politique. Je veux être utile, faire quelque chose que j’aime, découvrir chaque jour. Et gagner de l’argent… C’est une revendication pour mes ancêtres qui ont été colonisés. Une revanche. Le fait de gagner de l’argent serait une manière de les rendre fiers. En attendant, je participe à l’atelier Sciences Po de mon lycée pour préparer le concours. Je suis aussi l’atelier Graine d’orateur et j’ai été demi-finaliste du prix Cicéron, organisé par la Business School Skema.

AJ : Qui sont tes mentors ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : Aujourd’hui, mon mentor, c’est ma mère ! Elle se bat pour nos droits, pour nous inculquer des valeurs. Quand j’étais petite, elle m’emmenait au musée tous les premiers dimanches du mois. Elle m’a poussée à lire, à avoir une bonne élocution pour pouvoir m’intégrer et m’adapter à différents environnements. Elle m’inspire et j’essaye de la rendre fière. Je préfère la citer elle que des personnes que je ne connais pas ! Même si Martin Luther King ou Rosa Parks m’inspirent, je ne les connais pas dans leur vie personnelle.

AJ : Avec une application comme Youngsess, quels mentors voudrais-tu rencontrer ?

Inaya Yoga Ngoumdjam : J’irai voir tout un tas de professionnels : des auteurs, pour voir comment on écrit un roman. Des journalistes, parce que j’aime rencontrer des gens et retranscrire leur pensée. Des médecins pour voir le courage qu’il faut avoir pour tenir un cœur entre ses mains. En fait, j’irais voir un panel de métiers pour pouvoir me construire une manière de voir les choses. À mon âge, on est encore en construction, et on apprend les uns des autres.

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