La Marne retrouvera-t-elle bientôt sa bonne humeur d’antan ?
Au début du XXe siècle, les bords de Marne étaient « the place to be » du week-end pour le Tout-Paris. Sur la rive, les classes sociales se mélangeaient dans les bals ou les guinguettes, tandis que sur les plages, les nageurs slalomaient entre les barques remplies d’amoureux. Aujourd’hui, tout cela appartient au passé… ou non ?
En 1944, les trémolos dans la voix de Lina Margy font de la chanson Le petit vin blanc, l’hymne de la Libération de Paris : « Ah ! Le petit vin blanc ; qu’on boit sous les tonnelles ; quand les filles sont belles ; du côté de Nogent… ». Ce que célèbre cet air, c’est la légèreté, la gaieté et l’insouciance des bords de Marne. Une histoire qui symbolise l’importance dans l’histoire de la région et du pays, des guinguettes – comme la fameuse Chez Gégène –, des bals – comme la Maison Convert – et des baignades, qui ont nourri plusieurs générations d’artistes, d’Auguste Renoir à Yvette Horner, en passant par Victor Hugo, Jean Marais ou encore Édith Piaf.
Les bords de Marne sont passés en l’échelle de quelques décennies, d’une mosaïque de villages et de parcelles agricoles, à de chics lotissements et dynamiques villes moyennes où il fait si bon faire la fête le week-end. Ce phénomène est dû à l’arrivée du chemin de fer, la ligne Paris-Mulhouse d’abord (en 1857) et surtout la ligne Bastille-Marles-en-Brie voulue par Napoléon III. « Mais Jeanne de Bourbon donnait déjà des fêtes sur les îlots de la Marne », explique Vincent Villette, historien et directeur du Musée de Nogent-sur-Marne, qui rappelle, face à une grande carte datant du XVIIe siècle, que Nogent se trouvait sur l’axe de fuite royale constituée par le Louvre, Bastille, Vincennes, Château de Beauté (autrefois situé à Nogent).
Nogent-sur-Marne préserve la mémoire
Si l’on marche le long de la rivière sinueuse – à Nogent-sur-Marne, Joinville-le-Pont ou Noisy-le-Grand –, se fait davantage entendre le vacarme de l’autoroute que le son des accordéons. Si quelques éléments sporadiques peuvent rappeler les riches heures des bords de Marne – une petite tonnelle animée, la guinguette Chez Gégène qui donne toujours des bals musette, un loueur de barques à Nogent, le siège de la Fédération française d’Aviron (à la place de l’ancienne plage de la Maison Convert) –, le territoire n’est plus ce get-away festif, sportif et bon vivant qu’il fut autrefois. Le Modern Casino a été changé en lofts luxueux et sur la promenade ne passent que des voitures et des piétons pressés. On déplore depuis la fin des années 90, la fermeture d’établissements mythiques : Chez Mimi la Sardine à Noisy-le-Grand, le restaurant de l’Île du Moulin-Bateau à Bonneuil, une ancienne guinguette qui existait depuis plus de 100 ans, et enfin le Petit Robinson à Joinville-le-Pont.
Ce lustre suranné, on le retrouve au musée de Nogent-sur-Marne, qui est situé à quelques encablures des anciennes plages de la cité. La collection de tableaux, photographies, cartes postales et affiches de spectacles donne une idée du dynamisme qui existait ici auparavant. L’exposition, construite chronologiquement, explore les facettes du territoire, ses origines rurales, la création des premiers lotissements pour résidences secondaires (Le Perreux), l’expansion des sports nautiques et surtout les lieux de sociabilité intense que furent les bals, guinguettes et autres maisons. On comprend au fil de la visite combien il s’agissait là d’un exode dominical, magnifié dans un film documentaire de Marcel Carné datant de 1929, Nogent, eldorado du dimanche. « Les guinguettes du dimanche, c’était aussi une rencontre des différentes classes et des cultures », explique Vincent Villette. « À l’époque, il y avait une grande vague d’immigration italienne dans la région, car il y avait un fort besoin de main d’œuvre, ils ont apporté aux guinguettes une certaine idée de la fête ».
Pourquoi la Marne avait-elle été préférée à la Seine pour ces épanchements festifs ? « Parce que la Marne était plus difficilement navigable, contrairement à la Seine qui était réservée au transport des marchandises », ajoute Vincent Villette qui semble nostalgique d’une période qu’il n’a pas connue. « Les guinguettes ont commencé à péricliter autour de 1914. Le paiement en liquide des musiciens a été interdit et, dès lors, les établissements n’ont plus fait appel à ces grands orchestres qui mettaient tant d’ambiance. Ils ont préféré se transformer en restaurants ». Si les baignades et autres sports nautiques ont continué d’animer les bords de Marne dans les années 40 et 50, ils furent interdits en 1974 : l’urbanisation massive de la banlieue de Paris, et l’installation des industries chimiques ont donné à la Marne, un parfum de scandale sanitaire, plus que de petit vin blanc.
Les plages bientôt de retour sur les bords de Marne ?
Depuis les années 90, pourtant, une armée de petits soldats essaie de redorer le blason des bords de Marne. Par quel moyen ? La mise en œuvre du schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE), créé pour améliorer la qualité de l’eau. C’est un collectif de riverains, qui voyant les berges de sa rivière se dégrader ont décidé de mettre en place une association : Marne Vive. C’était en 1993, aujourd’hui, il s’agit d’un syndicat mixte regroupant les communes riveraines.
Au début des années 90, plusieurs fois par an, des pollutions à caractères industriel (fuites, fûts renversés, dysfonctionnement) et des pollutions liées au réseau unitaire des eaux usées et eaux de pluie montraient bien qu’en cas d’incident ou de pluies soudaines et importantes, la rivière n’était pas protégée. Claire Beyeler est chargée de mission au syndicat Marne Vive. Elle se souvient de cette période où tout était à faire : « Il y a eu de gros efforts menés auprès des industriels, nous avons été accompagnés par les politiques publiques (dont l’agence de l’eau). Mais la pollution qui reste la plus compliquée, c’est la pollution d’origine urbaine, avec deux systèmes des eaux usées qui coexistent encore » !
Selon la militante, les efforts ont tout de même déjà porté leurs fruits : « En dix ans, il y a eu une grande avancée : nous n’avons plus de gros chocs, avec des centaines de poissons ventre à l’air », explique-t-elle. « Entre 2001 et 2011 on a progressé en assainissement, l’eau a atteint la qualité requise pour la baignade ces étés-là et on a mis en place un suivi plus régulier pour comprendre cette amélioration. Aujourd’hui, les dernières campagnes de suivi bactériologiques montrent des secteurs avec une qualité d’eau baignade sur plusieurs jours d’affilée, on va aller finement sur le terrain recenser chaque rejet et comprendre le risque et quelle action on peut mettre en place ». Malgré cela, la baignade reste encore interdite dans la Marne, même si certaines manifestations nautiques sont autorisées (comme le Big Jump, organisé chaque année à Saint-Maur-des-Fossés à l’initiative du syndicat mixte lui-même). « On espère installer des sites de baignades bientôt, mais surveillés, car la baignade en rivière est dangereuse parce qu’il y a du courant et qu’on ne voit pas en profondeur, chaque année nous déplorons des victimes. Mais ces espaces pourraient être des lieux de rafraîchissement très importants pour les communes », détaille Claire Beyeler. Selon elle, la moitié des communes membres du syndicat mixte se sont d’ores et déjà portées volontaires pour étudier la question : Gournay-sur-Marne (qui s’inquiète des frais de sécurité que pourrait induire la gestion d’une plage), Chelles, Nogent-sur-Marne et Champigny-sur-Marne qui sont très engagées, Saint-Maur-des-Fossés et Saint-Maurice.
Mais ce qui pourrait accélérer les choses, c’est la dynamique des Jeux olympiques : « la ville de Paris tient à mettre en valeur l’héritage de la région dans l’organisation des Jeux olympiques, donc la Marne pourra se trouver actrice de cet événement (en particulier pour son rôle dans l’avènement des sports nautiques, comme l’aviron) ». Plusieurs épreuves vont se jouer sur la Seine et donc la qualité de la baignade est devenue une thématique prioritaire dans l’organisation des JO, et si la Seine doit être propre, la Marne également !