La ménagerie de verre

Publié le 16/11/2018

Pour s’évader d’une réalité monotone – celle de sa famille installée à Saint-Louis dans le Missouri – Tennessee Williams (1911-1983), se réfugiait dans l’écriture : sa mère, dit-on, lui offrit une machine à écrire dès ses 12 ans. Il commença à publier très jeune, mais doit son premier succès à cette Ménagerie de verre, une pièce fort en vogue ces dernières années sur les scènes de théâtre. Nous avions dit grand bien de sa représentation, il y a deux ans au théâtre de la Colline, et resterons sur le terrain des éloges pour celle-ci.

Il s’agit sans doute de la pièce la plus délicatement intimiste de l’auteur, toute en nuances et non-dits, différente de ses succès à venir, par sa légèreté, sa grâce et sa poésie.

Le huis clos de cette famille qui se décompose s’inspire de la jeunesse de l’auteur, ce qui explique sans doute une pudeur et des retranchements dans la description des sentiments. Un absent dont on parle beaucoup, le père, qui est parti sans un mot d’explication et quatre personnages : Tom, le fils bien et mal aimé par une mère castratrice mais aussi protectrice, sa sœur Lara, handicapée, qui se réfugie dans le réconfort fragile de petits animaux de verre – sa ménagerie – et Jim, collègue de Tom à l’usine, invité par la mère qui s’obstine à marier sa fille.

Pas d’action, à part cet intermède avec ce brave garçon, venu d’ailleurs, le temps d’un bref dîner, car l’intensité de Lara ne manque pas d’effrayer Jim dont les rêves sont beaucoup plus réalistes.

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L’action rebondit à la fin lorsque Tom – que son copain surnomme Shaskespeare – réalise son vieux projet d’évasion en quittant brusquement cette prison étouffante que sont souvent les familles. Il ira vers sa vocation d’écrivain, choisira une ville où il vivra librement son homosexualité – ce qu’avait fait le dramaturge en s’installant à la Nouvelle-Orléans – sans pouvoir se détacher de ces deux femmes qui l’ont aimé à leur manière et du remords d’avoir abandonné sa sœur aux brutalités d’une lobotomie.

Il faut beaucoup de maîtrise pour mettre en scène ces sentiments confondus, ces bonnes intentions qui se transforment en névroses, cet enfermement, ce temps immobile, ces destins en suspens et beaucoup d’habileté pour faire aller de concert les aspects tragiques et comiques qui ne cessent de se télescoper.

La mise en scène de Charlotte Rondelez, toute en subtilité, entraîne le spectateur dans ces entrelacs de caractères et de sentiments et met en avant l’ambivalence des personnages. Entre les membres de ce trio, il y a plus d’amour que de haine, plus de fraternité et de souci de l’autre que d’égoïsme narcissique.

Ainsi dirigés, les comédiens sont à la hauteur et la performance de la belle Cristiana Reali est remarquable de sensualité, d’ambiguïté, et de charme : un numéro d’actrice dans la lignée des femmes victimes mais souveraines de Tennessee Williams. Ophélia Kolb est une Lara à l’étrange séduction, mystérieuse plus que pathétique, et Charles Templon joue le rôle de Tom avec une certaine retenue qui convient bien au mélange de soumission volontaire et de révolte nécessaire de son personnage.

LPA 16 Nov. 2018, n° 139u7, p.14

Référence : LPA 16 Nov. 2018, n° 139u7, p.14

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