Seine-Saint-Denis (93)

« L’ascenseur qui ne marche pas, c’est le symbole de la relégation, du délaissement, du mépris… »

Publié le 07/12/2020

Le collectif Plus sans ascenseurs se bat depuis trois ans pour que la mobilité verticale soit considérée à sa juste valeur par les pouvoirs publics. Il pourrait enfin avoir gain de cause, grâce au Sénat. Troisième adjoint de la ville de Bobigny (93) et également porte-parole du collectif Plus sans ascenseurs, Fouad Ben Ahmed nous parle de son combat.

Dans les hautes tours de banlieue parisienne, l’ascenseur n’est pas là pour simplifier la vie, c’est un enjeu social crucial. Sans ascenseur, la vie dans la cité est bloquée pour ses habitants âgés, souffrants ou en situation de handicap, et rendue très compliquée pour les parents de jeunes enfants, les personnes en surpoids ou les gens qui font des courses. C’est-à-dire tout le monde ! Pourtant, lorsqu’un ascenseur est en panne, beaucoup, fatalistes, font le dos rond et grimpent les marches quatre à quatre ou petit à petit. Le bailleur, jugé trop puissant, est rarement inquiété.

« Ce n’est pas parce qu’un besoin n’est pas exprimé qu’il n’existe pas », est la devise du collectif Plus sans ascenseurs, qui se bat depuis 2016 pour que la voix des sans ascenseurs ou des accidentés des ascenseurs, gagne du terrain. Sur le site internet de l’association, chacun est invité à prendre en photo un ascenseur en panne pour enclencher des mises en demeure automatiques : Livry-Gargan, Bobigny, Bagneux, Saint-Denis, Romainville, Noisy-le-Sec, Vanves, Drancy, Villepinte, Paris, Aulnay-sous-Bois ou Carrière-sous-Poissy, les demandes affluent régulièrement depuis toute l’Île-de-France.

Avec le soutien bénévole de l’avocat Charles Morel, le collectif s’est également porté au secours de cas particulièrement difficiles : celui de Nelly, femme aveugle et dialysée, habitant dans un logement social à Bobigny, qui a vécu sans ascenseur pendant 5 ans ou encore celui de Vincent, partiellement handicapé suite à la chute de son ascenseur du 8e étage de son HLM et licencié en raison de son invalidité. Celui également de la famille d’Othmane, enfant de 7 ans, décédé à Mantes-la-Jolie en octobre 2015, étouffé par sa trottinette, restée coincée dans la porte de l’ascenseur défectueux. Dans ce dernier cas, l’ascensoriste a été condamné à verser 60 000 € à la famille de l’enfant.

Le collectif a décidé en juillet 2019 de lancer une expérimentation pour aider les habitants privés d’ascenseurs, la solution d’assistance à la mobilité verticale (SAMV). Troisième adjoint de la ville de Bobigny et également porte-parole du collectif Tous sans ascenseurs, Fouad Ben Ahmed nous parle de son combat.

Les Petites Affiches : L’ascenseur a beau être partout, on en parle que très rarement dans les médias. Existe-t-il des données chiffrées des incidents et autres pannes ?

Fouad Ben Ahmed : C’est un chiffre noir ! Il faudrait demander aux bailleurs de communiquer le nombre d’incidents, des données qui ne reflètent d’ailleurs pas la réalité : sur le papier, un appareil peut être tombé trois fois en panne, mais il ne sera pas mentionné que ces pannes ont duré trois mois à chaque fois. Les ascenseurs sont généralement munis de boîtes noires comme une carte mémoire, avec toutes les informations, mais les compiler est un travail titanesque.

Ce que l’on peut dire, c’est qu’il y a un rapport de 600 pages du cabinet Xerfi sur la question. Mais se le procurer est onéreux. Nous allons travailler avec le Parlement européen pour que les consommateurs puissent avoir accès aux informations qu’il contient sur les données des pannes. Il faut savoir que l’ascenseur est le premier moyen de transport au monde et en France : c’est 100 millions de trajets par jour ! Ce serait donc intéressant d’avoir un accès aux données.

LPA : Vous dénoncez les ascenseurs en panne et les accidents. Que représente l’ascenseur pour les habitants et habitantes ?

F.B.A. : Depuis juillet 2016 on dénonce les problématiques de pannes et on s’est aperçus que cela ne touchait pas uniquement les immeubles vétustes ou squattés. Ce sont aussi des immeubles rénovés. Nous avons pris conscience qu’il ne fallait pas être résignés. En 2016, c’était normal de monter sans rien dire 14 étages quand l’ascenseur ne marchait pas : on se disait qu’on ne savait pas comment fonctionnait un ascenseur et qu’on ne pouvait rien y faire. Depuis, nous avons compris par exemple que les ascenseurs ne supportent pas tous les usages. Un bailleur qui choisit le mauvais matériel, c’est comme un taxi qui avalerait 600 km par jour avec une petite citadine. Les pièces lâchent. Nous n’acceptons pas qu’une économie soit faite sur le poste ascenseur. Ils doivent pouvoir absorber la fréquence d’utilisation.

L’ascenseur qui ne marche pas, c’est le symbole de la relégation, du délaissement, du mépris… C’est un peu comme cela qu’il est perçu dans les quartiers. Un ascenseur en panne ce sont des personnes qui sont bloquées, que ce soit au premier ou au 14e étage, des personnes confinées sans confinement. C’est également perçu comme un combat perdu d’avance. Voilà pourquoi nous sommes la seule association en France à lutter uniquement contre les pannes d’ascenseur. Les syndics et les amicales de locataires s’engagent très souvent dans des bras de fers interminables qui découragent les usagers de se battre pour la mobilité verticale.

LPA : Comment s’est constitué le collectif ?

F.B.A. : C’est arrivé après que ma commune a organisé une paëlla et qu’une habitante qui aurait dû être là ait manqué à l’appel. La raison ? Une panne d’ascenseur qui durait depuis 2 mois, avec un délai annoncé de réparation de 8 semaines. C’était pourtant un immeuble neuf de six étages, pas une grande tour HLM, comme on aurait pu s’y attendre. On s’est demandé pourquoi on annonçait un délai de 8 semaines, on a demandé des comptes et la panne a été réparée… en 8 jours ! On s’est alors rendu compte que c’était possible de faire valoir les droits des habitants, de se mobiliser sur cette question-là. Des bénévoles nous ont rapidement rejoints. Nous avons rapidement lancé une pétition sur change.org (https://www.change.org/p/plus-sans-ascenseurs), comme une manière de tenir informés les gens de notre combat. Aujourd’hui, nous avons récolté 146 000 signatures, bientôt 150 000. Les signataires nous aident beaucoup et nous envoient des exemples importants, des éléments juridiques, c’est très précieux.

LPA : Les usagers et usagères, touchés par la précarité, ont du mal à se faire entendre. Comment avez-vous convaincu les avocats solidaires de s’engager ?

F.B.A. : Le collectif s’est constitué autours de l’exemple de cette dame et les gens ont commencé à nous appeler d’un peu partout en Île-de-France et ailleurs. Nous n’avons eu aucun mal à convaincre Charles Morel de représenter les familles et les aider à obtenir des dédommagements. Il nous a fait des mises en demeures et lettres-types, ce qui est plus efficace vis-à-vis des bailleurs.

LPA : Quel lien entretenez-vous justement avec les bailleurs ? La constitution du collectif est-il un constat d’échec de l’Association exigence ascenseurs (AEA) ?

F.B.A. : Nous sommes conciliants mais pas complaisants. On peut comprendre les retards pour réparer les pannes mais ils doivent faire en sorte que les ascenseurs soient moins souvent en panne. Quand on les sollicite, ils vont vite et il n’y a aucun problème, 80 % des pannes sont réglées durablement mais il faut trouver là où ça coince : quand les bons de commande sont bloqués chez le bailleur, par exemple, c’est normal que l’ascensoriste n’intervienne pas. On peut aussi faire des mises en demeure, faire des communiqués de presse, ils craignent nos actions.

Concernant l’AEA, il s’agit surtout d’un groupe d’élus et de bailleurs mais il ne se réunit pas régulièrement, cela fait d’ailleurs 4 ans qu’ils ne se sont pas réunis ! J’ai essayé de rencontrer Ian Brossat qui en fait partie et ce, à plusieurs reprises, mais ça ne s’est jamais concrétisé. À mon sens, c’est plutôt un lobby qui veut canaliser les problèmes, plus que les régler.

LPA : Qu’avez vous pensé de la démarche de trois bailleurs parisiens (Paris Habitat, RIVP et Élogie-Siemp), en février dernier, consistant à mettre en place un service de portage pour les personnes en difficulté, chose que vous avez déjà mis en place en 2019 au Blanc-Mesnil ?

F.B.A. : Je pense que c’est une bonne chose : cela montre qu’on prend en compte la mobilité verticale. Il y a eu un appel d’offres sur ce dossier et nous avons candidaté. C’est finalement une société d’aide à la personne qui a été recrutée. Nous considérons que la mobilité verticale est un métier et qu’aussi bon que l’on soit dans l’aide à domicile, on ne peut pas s’improviser transporteur de personnes. C’est pourquoi, nous travaillons actuellement à construire une fiche métier pour faire reconnaître ce métier. Nous suivons la manière dont ça évolue et on a déjà quelques retours, certains n’arrivent pas à avoir accès au service…

LPA : Où en êtes-vous de l’amendement au Sénat sur la mobilité verticale ? Quels sénateurs ou quelles sénatrices se sont engagés à vos côtés ?

F.B.A. : Nous travaillons la question de la mobilité verticale avec le sénateur Olivier Jacquin et la ministre des transports, Élisabeth Borne. Nous travaillons ensemble à un amendement, ils pensent comme nous que la mobilité verticale est un enjeu des prochaines années. Le rapporteur de la loi LOM (loi d’orientation des mobilités) nous a d’ailleurs dit qu’à l’occasion de l’élaboration de cette nouvelle loi, toutes les mobilités avaient été étudiées… sauf la mobilité verticale !

LPA 07 Déc. 2020, n° 157q5, p.9

Référence : LPA 07 Déc. 2020, n° 157q5, p.9

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