L’éternel premier

Publié le 13/11/2018

DR

Une fois de plus, voici un roman adapté pour le théâtre à partir d’une habile méthode : un comédien raconte l’histoire et incarne l’ensemble des personnages ; les changements de décor se font par les éclairages, ceux de situation par les costumes et la pièce se construit autour d’un héros : Jacques Anquetil.

Le récit a été écrit par Paul Fournel, bien connu du monde de l’édition, ancien président de la Société des gens de lettres et désormais « écrivain à plein temps et cycliste le reste du jour ». Son Anquetil tout seul a été adapté pour le théâtre par Roland Guenoun, qui signe aussi une mise en scène élégante et épurée, mettant en valeur un texte fort bien tourné et la subtilité du caractère de celui qui fut décrit comme « le plus doué, le moins conformiste et sans doute le plus mystérieux des champions de son époque ».

C’est d’abord l’histoire d’un petit garçon. L’auteur, qui, très jeune, a été fasciné par « la plus belle machine à pédaler du monde », en a fait son dieu et n’a cessé de suivre son fulgurant parcours : trois cent quarante victoires en 16 ans (de 1953 à 1969), le Tour de France remporté cinq fois, des doublés avec les Tours d’Espagne et d’Italie et neuf victoires au Grand Prix des Nations !

Les temps forts de cette épopée ont été choisis, ainsi que l’importance de sa liaison passionnée avec Janine, dite Nanou, ex-femme de son médecin, qu’il épouse à l’âge de 24 ans. Elle sera l’indispensable partenaire qui le stimule et le suit sur tous les parcours. Autre personnage central : Raphaël Geminiani, son adversaire devenu son directeur de course, qui ne cessera de le pousser vers des performances extrêmes, comme ce fut le cas lors d’un Paris-Bordeaux où Anquetil, épuisé, s’était réfugié dans la voiture de son coach, refusant de continuer.

On sait qu’en dépit de ses victoires exceptionnelles, celui qu’on appelait l’aristocrate du vélo, l’homme d’affaires, ou le chatelain qui revendiquait son désir d’élévation sociale, était peu aimé et jugé trop orgueilleux et indépendant. Et il ne faisait rien pour que cela change. On lui préférait l’éternel second, Raymond Poulidor : « Poupou », brillant rival qui deviendra sur le tard son ami. On reprochait aussi à Anquetil ses propos sur le dopage, qu’il avouait avoir testé « comme tout le monde », mais également son indifférence à l’égard de la discipline et de la frugalité : il aimait la bonne chère, le champagne, le gros-plant. Tout ceci concourt à sa légende, comme son clan familial peu ordinaire avec ses trois générations de femmes.

Il méritait d’être à nouveau sur le devant de la scène : cette fois-ci d’un théâtre, et la représentation donnée à la Pépinière – aux choix toujours éclectiques – est tout à fait réussie. Matila Malliarakis est un Anquetil criant de vérité : mince, élégant, en tension permanente, force du corps et de l’esprit, performance sur scène pour rester fidèle à celle des circuits. Clémentine Lebocey et Stéphane Olivié Bisson ont cette même aisance et la mise en scène a une intensité nerveuse et une « classe » à l’image de celle du champion.

LPA 13 Nov. 2018, n° 139u1, p.15

Référence : LPA 13 Nov. 2018, n° 139u1, p.15

Plan
X