L’expérience cubiste
Georges Braque, La Guitare Statue d’épouvante, novembre 1913, papiers collés, fusain et gouache sur papier, 73 x 100 cm. Musée national Picasso, Paris
ADAGP, Paris 2018
Sans doute le mouvement cubiste représente-t-il l’une des plus grandes mutations de l’histoire de la peinture, après l’impressionnisme qui avait déjà déstabilisé le monde de l’art. Il faut remonter à la Renaissance pour retrouver un tel changement.
À ses débuts en 1907, initié par Pablo Picasso et Georges Braque, le cubisme a plongé artistes et amateurs d’art dans une sorte de désarroi. Peu à peu, il s’est imposé, offrant à la création d’autres possibilités. Cette histoire riche et passionnante est expliquée au Centre Pompidou qui, en une exposition didactique et fort complète, retrace cette épopée artistique, initiatrice de l’art moderne, et qui fut menée par artistes, marchands d’art et poètes.
Paul Gauguin et son attirance pour le primitivisme ainsi que l’art africain apparaissent comme des sources de cette nouvelle approche plastique, qui délaisse le classicisme pour des formes simplifiées. Cézanne et la construction de ses paysages traitée dans la géométrie, annonciatrice d’une expression nouvelle, est aussi à la base du cubisme. Leurs compositions sont présentées, ainsi que des œuvres de Derain lui aussi attiré par le primitivisme – en témoigne une sculpture massive.
L’intérêt de l’exposition réside également dans la présentation de peintres et sculpteurs dont les noms sont moins connus et qui ont participé à cette évolution qui ne se souciait pas de la réalité, agençant un jeu de formes construites et déconstruites, mêlant à leur gré les éléments de la composition comme un rébus à déchiffrer.
Dès 1905, Picasso démontre son désir de simplification avec le portrait de Gertrude Stein, son amie et grande collectionneuse. Le visage évoque un masque cependant expressif, inspiré par la sculpture espagnole romane. Il arrive après les périodes bleue et rose et marque une rupture. Puis, ce seront en 1907 les Demoiselles d’Avignon, résultat de nombreuses recherches du peintre. Ami de Picasso au Bateau-Lavoir, Braque, impressionné par ce tableau déroutant, en comprend l’intérêt et la même année réalise son Grand Nu, puis des vues de l’Estaque où apparaît la puissance des masses. Avec tous ces artistes, on assiste alors à l’éclatement de la forme homogène.
Au salon de 1911, peintres et sculpteurs découvrent cette nouvelle écriture ; certains sont intéressés par cette révolution picturale qui remet l’art en question. Chez les cubistes, la palette est sobre : ocre aux teintes plus ou moins foncées et gris pour la réalisation de natures mortes à la guitare, à la bouteille dans lesquelles ils ajoutent papiers collés et écritures. Juan Gris réintroduira la couleur. Albert Gleizes, Jean Metzinger, Fernand Léger, Henri Le Fauconnier… autant de nouveaux adeptes du cubisme parmi d’autres, auquel chacun apporte son regard, sa personnalité. Dans ces compositions apparaissent parfois des éléments lisibles, souvent difficiles à déchiffrer. Picabia et Sonia Delaunay se tourneront assez rapidement vers l’abstraction. Fernand Léger a suivi une voie personnelle, avec La Femme en bleu en 1912 ; il diffère des autres peintres par une couleur vive, et la géométrie visible dans ses toiles : cubes, cylindres et rectangles évacuant le réalisme. Il faut observer longuement cette œuvre pour découvrir quelques éléments, comme du verre et des ciseaux dans un espace dynamique.
Dans les années 1913/1914, le cubisme dépasse les frontières et l’on voit exposées dans les salons des compositions d’artistes russes : Pietr Mondrian, Archipenko ou Malévitch, qui apportent un souffle nouveau.
Les sculpteurs ne sont pas en reste, intéressés par cette expression différente de la réalité qui leur ouvre d’autres perspectives ; ainsi, Henri Laurens réalise des « constructions » innovantes à base de bois et de tôle de fer polychromés dans d’élégantes créations : La Bouteille de Beaune, où alternent pleins et vides, entre tubes et plaques dressés.
C’est encore Joseph Csaky et bien d’autres. Le cubisme a entretenu des liens étroits avec les poètes : Apollinaire, qui a beaucoup soutenu les artistes, ou Max Jacob, ainsi que les marchands d’art tels Daniel-Henry Kahnweiler ou Ambroise Vollard.
L’exposition explore toutes ces facettes et révèle cette décantation voulue du visible.