« Nous voulons faire confiance à des gens innovants »

Publié le 26/05/2017

Sourire franc et débit mitraillette, Moussa Camara a le charisme de ceux qui ont de l’énergie à revendre. Ce trentenaire, originaire de Cergy-Pontoise, a fondé l’association « Les déterminés » pour promouvoir l’entrepreneuriat dans les quartiers populaires d’Île-de-France. Pour les Petites Affiches, il revient sur son parcours et détaille l’offre de formation à destination des créateurs d’entreprises qu’il a pu mettre en place avec l’aide du Medef.

Les Petites Affiches – Comment est née votre association « Les déterminés » ?

Moussa Camara – J’ai grandi dans le quartier de la Croix petit, à Cergy. En 2007, ce quartier a été détruit. Cet événement a été très mal vécu, cela a été un électrochoc. Avec quelques habitants du quartier, nous avons voulu transformer cela en énergie positive. Nous avons créé l’association « Agir pour réussir », qui existe toujours. Nous traitons de citoyenneté, de questions citoyennes locales : l’éducation, le logement, les sorties pour les jeunes… Cette action associative m’a amené à me questionner. « Agir pour réussir » s’intéresse aux questions sociales, pas aux questions économiques. Or, au fil du temps passé sur le terrain, il m’est apparu clairement qu’il n’y aurait jamais de justice sociale sans justice économique. De ce constat est née l’envie de fonder une autre association, pour agir sur l’emploi et les questions économiques.

LPA – Quel est l’objectif de l’association ?

M. C. – Nous essayons de créer des passerelles entre les différents acteurs du monde du travail : la ville, les entreprises, Pôle emploi… La première action que nous avons mise en place a été de créer des temps de rencontre entre chefs d’entreprise et jeunes en recherche d’emploi. Les chefs d’entreprise ont alors pu expliquer en quoi consistait le savoir-faire de leur boîte, les jeunes ont pu s’ouvrir au sujet de la difficulté d’habiter le mauvais quartier quand on cherche un travail…

LPA – Quel a été votre parcours personnel ?

M. C. – Je me suis lancé dans la création d’entreprise à 21 ans. Plein de jeunes ont cette envie là, mais manquent de formation pour y arriver. J’ai eu un parcours classique, j’ai eu mon bac et j’ai ensuite fait des études de comptabilité et de logistique. J’ai eu la chance de faire une rencontre déterminante. À 20 ans, j’ai rencontré un entrepreneur en télécoms qui cherchait un sous-traitant pour installer des box chez les gens. J’ai ainsi obtenu le premier contrat qui m’a poussé à créer mon entreprise. J’étais audacieux et déterminé, et je n’avais rien à perdre ! J’ai pour moi le fait d’être travailleur. Par contre, je n’avais pas le réseau, l’accompagnement…

LPA – Une autre rencontre a été déterminante : celle de Pierre Gattaz…

M. C. – Oui, j’ai eu la chance de le croiser à un événement au Sénat, qui réunissait des médias, des acteurs politiques et associatifs. Je savais à peine qui était Pierre Gattaz, je savais à peine ce qu’était le Medef à l’époque ! Je lui ai parlé de mon envie de développer l’entrepreneuriat avec des jeunes des quartiers populaires, et il a été immédiatement à l’écoute. Quelques jours après notre rencontre, son cabinet m’a rappelé pour me proposer de l’aide. Je l’ai invité à Cergy pour qu’il rencontre une centaine d’entreprises. Il est venu, sans dispositif médiatique mais avec des chefs d’entreprise du territoire. Je crois qu’il s’est dit qu’il y avait vraiment quelque chose à faire pour l’entrepreneuriat en banlieue. Depuis, il a mis à notre disposition son réseau, des locaux pour nos formations, les financeurs de la première session de formation… On sait qu’on lui doit beaucoup.

LPA – À qui s’adresse votre formation ?

M. C. – Nous sélectionnons quinze jeunes d’Île-de-France, qui ont entre dix-huit et trente-cinq ans. Peu importe d’où ils viennent : nous accompagnons des gens habitant Paris, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, l’Essonne… Nous commençons aussi à nous développer au niveau national, avec de nouvelles formations proposées à Nancy et à Lyon. Les seuls critères qui comptent à nos yeux sont la motivation et l’envie. On ne choisit pas des projets mais des personnes. Si vous arrivez avec le meilleur projet mais sans motivation, cela ne fonctionne pas. Inversement, on peut réajuster un mauvais projet. Un entrepreneur sait de toute manière pivoter, évoluer en fonction de la clientèle et du monde dans lequel il évolue ! Nous voulons juste faire confiance à des gens innovants. Nous avons eu quatre promotions en deux ans, et jusqu’ici, pas un seul abandon.

LPA – Comment se déroule la formation que vous proposez ?

M. C. – La formation se déroule en deux grandes étapes. La première phase, de cinq semaines, consiste en une formation intensive, à temps plein, au cours de laquelle on travaille pendant une semaine sur la confiance en soi, avant d’aborder les études de marché, la fiscalité, la communication et le media training… La dernière semaine de cette première phase se clôt par un oral : tous les participants sont invités à « pitcher » leur projet devant un jury composé de banquiers et de chefs d’entreprise. Vient ensuite une deuxième étape, après la formation, où nous suivons de près l’évolution des projets. Cette deuxième phase dure entre six et douze mois.

LPA – Il existe de nombreux dispositifs dont le but est de favoriser la création d’entreprise. Quelle est la spécificité du vôtre ?

M. C. – De nombreuses structures existent en effet déjà pour aider les aspirants chefs d’entreprise. Mais elles s’adressent généralement à des personnes dont le projet est déjà assez avancé. Il y a par exemple des incubateurs, dont le rôle est de soutenir les jeunes entrepreneurs. Il n’y a en revanche pas d’offre d’accompagnement lorsque l’on est aux balbutiements d’un projet, qu’il n’est encore qu’à l’état d’idée… C’est sur ce créneau que nous nous situons. Nous travaillons vraiment sur l’envie. Une fois sortis de notre formation, les participants peuvent aller vers d’autres structures d’accompagnement. Comme elles ne sont pas toujours connues, nous jouons également un rôle d’information, en invitant les participants à aller voir ces autres structures. Nous voulons créer des passerelles entre ces différents dispositifs.

LPA – Pouvez-vous déjà mesurer les résultats de votre action ?

M. C. – Sur les deux premières années, nous avons accompagné la création de quinze entreprises dans des secteurs d’activité aussi différents que les télécoms, le prêt-à-porter, l’alimentation, la restauration, l’audiovisuel… Pour le moment, ces structures tiennent, mais nous manquons encore de recul : avant trois ans d’existence, il est difficile de se prononcer sur la solidité d’une entreprise. En revanche, nous savons que plus les créateurs d’entreprise sont accompagnés, plus ils ont de chances de réussir. Notre association offre un réseau solide pour cela. Ils savent qui appeler pour trouver de l’aide.

LPA – Tous les participants à votre formation se sont-ils lancés dans la création d’entreprise ?

M. C. – Non. Pour certains, le projet d’entreprise n’était pas mûr ou pas viable, et a fini par être abandonné. Cela n’est pas synonyme d’échec, car d’une manière ou d’une autre, toutes les formations ont abouti à un retour à l’emploi. Au bout de cinq semaines dans un milieu entrepreneurial, vous êtes forcément stimulé ! Au bout de cinq semaines, on voit des gens se transformer. À l’arrivée, tous les participants sont capables de résumer leur projet en une phrase, de présenter un business plan cohérent… Quelle que soit la direction qu’ils prennent ensuite, ces acquis sont importants et valorisables.

X