Sous quel nom Gisèle Halimi peut-elle entrer au Panthéon ?
En mars 2023, le président Emmanuel Macron a annoncé la décision de faire entrer au Panthéon l’avocate Gisèle Halimi, décédée en 2020. Mais le projet tarde à se réaliser. Et si l’administration se heurtait à un problème de patronyme ? C’est l’hypothèse que formulent Xavier Labbée et Marie Christine Rouault. Explications.

Gisèle HALIMI est décédée en 2020 ; la question de son entrée au Panthéon a été plusieurs fois posée et le 6 Mars 2023, le Président de la République l’a affirmé : « le processus d’entrée de l’avocate féministe Gisèle Halimi sera mené jusqu’à son terme »[1]. Mais depuis lors, les choses ne semblent pas avoir bougé.
Et si c’était en raison d’un obstacle procédural lié à l’usage du patronyme de son second mari ?
En 1959, Gisèle Halimi divorce de Paul Halimi mais conserve son nom
Zeiza TAIEB, née en 1927, s’est mariée le 17 Avril 1947 avec un sieur ZEMMOUR dont elle divorça le 27 Mai 1950. Le 4 Juin 1951, elle épousa Paul HALIMI avec lequel elle eut deux fils. Elle s’inscrivit dans la foulée au Barreau de Paris la même année sous son nom d’épouse et devint ainsi Gisèle HALIMI ; un jugement de divorce fut rendu le 17 Novembre 1959, dans lequel Monsieur HALIMI ne s’est pas opposé à ce que son ex-femme continuât d’utiliser son nom. Mais la requérante se remaria avec Claude FAUX dont elle eut un fils. Elle poursuivit cependant sa brillante carrière d’avocate sous le nom de son ex-mari.
Comment se règle la question du nom de la femme divorcée ?
Une femme divorcée reprend par principe son nom de naissance, qu’elle n’a d’ailleurs jamais perdu. Mais elle peut garder l’usage du nom de son ex-mari si celui-ci est d’accord ou si le juge l’y autorise. C’est l’article 264 du code civil[2]. Mais que se passe-t-il si elle se remarie ? Il semble dès lors logique qu’elle prenne l’usage du nom du nouveau conjoint si celui-ci est d’accord, et dès lors qu’elle ne souhaite pas utiliser son propre patronyme. Mais il semble tout aussi logique qu’elle perde de plein droit l’usage du nom de son ex-époux. La circulaire du 26 Juin 1986 définissant le nom d’usage[3] indique ainsi : « le nom patronymique doit être distingué des noms dont une personne peut avoir le droit d’user. Les noms d’usage s’établissent comme suit : pour la femme divorcée, par le maintien du droit à l’usage du nom de l’ex-époux… soit par convention avec l’ex-époux… soit par jugement (art. 264) Toutefois la femme divorcée qui a conservé l’usage du nom de son ex-conjoint, les veufs et les veuves perdent le droit d’user du patronyme ou du nom d’usage du précédant conjoint lorsqu’ils se remarient et quel que soit le devenir de cette nouvelle union »
La jurisprudence paraît fixée : l’autorisation donnée par le mari à son ex-épouse, à l’occasion de la procédure de divorce, d’utiliser son nom devient caduque du fait du remariage de l’épouse[4]. Beaucoup de femmes divorcées et remariées sont pourtant aujourd’hui connues sous le nom de leur ex-mari : l’exemple le plus connu est celui de Madame Angéla MERKEL (V° Xavier LABBEE La double vie d’Angéla SAUER : AJ Famille 2012 p. 305). Suite à son remariage avec Claude FAUX, Gisèle HALIMI aurait donc dû se faire appeler Gisèle FAUX ou Gisèle TAIEB. Pourtant, elle continua à utiliser le nom d’HALIMI.
À quelles conditions une femme divorcée peut-elle continuer à utiliser le nom de son ex-époux, si tant est qu’elle le puisse ?
Paul HALIMI était-il d’accord ? Rien n’est moins sûr puisqu’il écrivit en 1962 à son employeur (le ministère de l’Agriculture) pour s’opposer à ce que l’administration écrive à son ex-femme sous le nom de « HALIMI ». Il intervint également en ce sens auprès de la caisse d’allocations familiales qui lui versait les allocations au titre des deux enfants nés du mariage. On peut déduire de cette attitude qu’il ne voulait plus que son épouse porte son nom. Mais il ne fit pas cependant de procédure judiciaire visant à obtenir une mesure d’interdiction. Il ne s’est pas judiciairement opposé à ce que son épouse continue d’utiliser sans droit ni titre son nom professionnellement. Faut-il y voir un accord tacite ? Il est habituellement jugé que « l’absence d’opposition du mari qui avait connaissance de l’usage de son nom par son ex-épouse et qui n’a pas protesté ne peut être considérée comme un accord tacite, faute de preuve d’acte positif démontrant sa volonté »[5]
L’avocate multiplie les recours pour avoir le droit d’utiliser le nom « Halimi », en vain…
L’avocate continua néanmoins d’exercer sa profession sous le nom de Gisèle HALIMI sans solliciter – semble-t-il – de la juridiction familiale l’autorisation de continuer à porter le nom de son ex-mari après remariage… L’aurait-elle obtenu en invoquant un « intérêt particulier » ? Rien n’est moins sûr à la lecture de l’article 264 du code civil. On ne peut pas saisir le juge aux fins de retrouver l’usage d’un nom qu’on a officiellement perdu par caducité. La jurisprudence était nette à l’époque. Elle l’est peut-être un peu moins aujourd’hui[6]. Aurait-elle obtenu l’autorisation exceptionnelle de son ex-mari à continuer de porter son nom après son remariage ? On peut en douter compte tenu de ce qui a été dit.
Pourrait-on alors valablement soutenir que Gisèle TAIEB aurait utilisé le nom d’HALIMI comme pseudonyme ? La doctrine et la jurisprudence sont nettes : il ne saurait être admis qu’une femme qui n’a pas obtenu le droit de continuer à user du nom de son mari prétende désormais en faire usage sous ce label[7].
En fait, Gisèle HALIMI avait bien conscience de ne pas avoir le droit d’utiliser le nom d’HALIMI puisqu’elle saisit finalement le ministère de la justice d’une demande de changement de nom, indiquant au Garde des Sceaux qu’elle voulait voir substituer le nom d’HALIMI à celui de TAIEB. Autorisation qui lui fut refusée en considération des observations présentées par son ex-mari, qui invoquait le préjudice que porterait ce changement de nom à son épouse et à sa fille née d’un second mariage. Monsieur HALIMI s’était remarié lui aussi, n’était pas bigame et n’aurait pu avoir deux femmes portant son nom. Gisèle HALIMI introduit en conséquence un recours en annulation de cette décision de refus devant le Conseil d’Etat qui, statuant au contentieux, rejeta lui aussi sa demande, par arrêt du 20 décembre 1993[8].
La célèbre avocate fit alors une nouvelle demande au ministère de la justice, aux fins d’être autorisée à substituer à son patronyme de naissance celui, composé, de GISELE-HALIMI. Se serait-elle alors appelée Gisèle GISELE-HALIMI ? L’autorisation lui fut accordée par décret, mais Monsieur Paul HALIMI fit à nouveau un recours pour s’opposer à ce décret. Et par arrêt du 12 Mars 1999, le Conseil d’État fit droit à sa demande aux motifs que la défenderesse a demandé à porter le nom sous lequel elle a mené son activité professionnelle et politique, toutefois, ni la notoriété attachée à ce nom, ni la possession d’état dont elle se prévalait n’étaient de nature à lui conférer l’illustration lui donnant un intérêt légitime justifiant sa demande de changement de nom.
« Gisèle TAIEB dite HALIMI » déposa alors un recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l’Homme, faisant valoir que « lui refuser le droit d’utiliser son nom professionnel comme nom patronymique revient d’une part à lui dénier le droit à l’épanouissement de sa personnalité, et d’autre part à effacer le vécu social qui lui permet d’être identifiée, condamnant pour l’avenir son identité professionnelle politique et sociale ». Cependant, la Cour EDH déclara son recours irrecevable car, si le nom sollicité par la requérante (GISELE-HALIMI) n’est pas exactement le même que celui de son ex-mari (HALIMI) il est néanmoins de nature à créer une confusion entre eux. Et c’est bien pour protéger la vie privée et familiale de Monsieur HALIMI, et non celle de son ex-épouse, que la cour européenne a débouté la requérante[9].
Force est donc de constater que Gisèle TAIEB semble avoir utilisé professionnellement le nom d’HALIMI sans droit ni titre. Sinon que vaudraient toutes ces procédures vainement menées ?
Faut-il s’en tenir à son nom de jeune fille, Gisèle Taieb ?
Quelles sont les règles relatives au nom ? Celles-ci sont définies par la loi du 6 Fructidor an II « Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance ». On sait qu’en pratique, il existe de nombreux tempéraments et d’ailleurs l’usage du pseudonyme est licite. Cependant, la portée de la loi de fructidor an II doit être analysée à la lueur de l’article 433-19 du code pénal qui fixe un interdit et punit de « six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende le fait, dans un acte public ou authentique, ou dans un document administratif destiné à l’autorité publique et hors les cas où la réglementation en vigueur autorise à souscrire ces actes ou documents sous un état civil d’emprunt : de prendre un nom ou un accessoire autre que celui assigné par l’état civil 2) de prendre changer, altérer ou modifier le nom ou l’accessoire du nom assigné par l’état civil » : en application de cet article à titre d’exemple, la chambre criminelle de la cour de cassation, a pu déclarer coupable de l’infraction (et condamner à 3000 francs d’amende) une personne qui avait déposé une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du juge d’instruction, en utilisant le pseudonyme sous lequel elle était connue depuis de nombreuses années. (CRIM 11 Janvier 1990). La connaissance que le nom patronymique utilisé dans l’un des actes énumérés à l’article 261 du code pénal n’est pas légalement le sien suffit à caractériser l’élément intentionnel du délit prévu par l’article[10].
Sur la tombe renfermant les cendres de Gisèle HALIMI est indiqué « Gisèle FAUX née TAIEB, dite Gisèle HALIMI ». Puisque la panthéonisation d’une personne résulte d’un décret (qui est un acte administratif pris par l’autorité publique) il nous semble que seule Gisèle TAIEB peut être panthéonisée puisque la Cour européenne et le Conseil d’état n’ont pas donné suite aux demandes de changement de nom présentée par Gisèle TAIEB dite HALIMI et qu’on ne peut, sans commettre une infraction, utiliser un nom de fantaisie seul dans un acte officiel. En outre, la méconnaissance par une personne publique de l’autorité absolue de la chose jugée qui s’attache aux décisions rendues en l’espèce par le Conseil d’État constitue une illégalité, l’autorité de chose jugée excluant que ce qui a été jugé puisse être méconnu ou contesté, sauf par un recours contre la décision contestée. Ce moyen est d’ordre public et doit être soulevé d’office par le juge (CE, 6 juin 1958, Ch. com. Orléans et a., Rec. 315, concl. M. Long, sol. impl. – CE, 22 mars 1961, Simonet : Rec. 211).
Ces développements nous permettraient-ils de comprendre pourquoi « la procédure » de panthéonisation de Gisèle HALIMI risque de prendre du temps pour être « menée jusqu’à son terme » ?
Joséphine Baker panthéonisée avant Gisèle Halimi, mais le décret n’est toujours pas sorti…
Il nous faut à ce stade révéler un secret au lecteur : la question de la candidature de Gisèle HALIMI à la panthéonisation fut posée pour la première fois en 2022 en même temps que celle de Joséphine BAKER… qui fut panthéonisée en un éclair par le Président « sur une simple décision » de celui-ci. Santo subito ! Les plumes et les paillettes auraient-elles été plus efficaces sur notre Président que de longues plaidoiries féministes un peu ennuyeuses ? Un collègue malicieux[11] de l’Université du Panthéon (ça tombe bien) rappela dans un article remarqué, que la panthéonisation d’une personne résulte d’un « procès » (à l’image de la canonisation) : il faut « un décret pris en conseil des ministres. Si la décision… est juridiquement prise par le chef de l’état, elle est le produit « d’une construction administrative dans laquelle le ministère de la culture et en particulier son « comité d’histoire » jouent un rôle important. La décision est prise à l’issue de réunions interministérielles » Or, pour Joséphine BAKER « après avoir tourné et retourné Légifrance dans tous les sens, en utilisant le nom de Joséphine ou son nom de scène, force est de constater que de décret il n’y a point ». La vedette de music-hall est entrée dans l’Olympe sur simple décision présidentielle… en quelque sorte par l’entrée des artistes. Or « Décision n’est pas décret » et le collègue de s’interroger sur le contrôle juridictionnel et le recours possible que pourrait mener quelque atrabilaire mal léché à l’encontre de cette fameuse décision… Car qui en voudrait à Joséphine Baker ?
Les services de l’Elysée auraient eu connaissance de l’article et auraient conseillé respectueusement à Emmanuel Macron de respecter désormais la procédure… Voilà pourquoi, peut-être, Gisèle HALIMI tarde à entrer dans l’ancienne église Sainte Geneviève (une autre femme)…
[1] www.francetvinfo.fr
[2] Depuis la loi du 26 MAI 2004, la possibilité pour un conjoint de porter le nom de l’autre a été instaurée : « l’un des époux peut néanmoins conserver l’usage de l’autre, soit avec l’accord de celui-ci, soit avec l’autorisation du juge, s’il justifie d’un intérêt particulier pour lui ou ses enfants ». Un homosexuel marié peut donc porter le nom de son époux.
[3] Circulaire du 26 Juin 1986 relative à la mise en œuvre de l’article 43 de la loi n°85 61372 du 23 Décembre 1985 JO 3 JUILLET p 8245
[4] TGI Paris 10 Février 1981 : JCP 1981 II 19624, note D. HUET WEILLER
[5] V° par exemple REIMS 27 Février 2009 JCP 2009 act. 281 et JCP 15 Juin 2009 page 20 Note Thierry GARE, Dalloz 2010, 782 Obs. LEMOULAND et VIGNEAU ;
[6] V° par exemple, décidant que le remariage de l’épouse ne fait pas disparaitre l’intérêt particulier qu’elle a à conserver le nom de son ex-mari REIMS 27 Février 2009 précité
[7] Bernard TEYSIIE Les personnes LITEC 6eme édition page 130 V° également PARIS 25 Mai 1971 JCP 1972 Ed G II 16950 Conclusions GRANJON
[8] C.E, 20 Décembre 1993, n°111617 : JCP 1994 IV 579, obs. M.-C. ROUAULT
[9] Décision du 20 Mars 2001 (3eme section) statuant sur la recevabilité de la requète n°50614/99 présentée par Gisèle TAIEB dite HALIMI contre la France
[10] CRIM 11 Janvier 1990 GAZ PAL 1991, 1, 298 Note DOUCET
[11] Frédéric ROLIN Le billet Faisons un peu de droit public avec Joséphine Baker 6 Décembre 2021 actu.dalloz-étudiant.fr
Référence : AJU495558
