À Nanterre, la Nuit du droit ouvre les portes de l’université à un public extérieur
L’Université Paris Nanterre prépare la troisième édition de la Nuit du droit. Au programme, un grand jeu de Cluedo, des reconstitutions d’audiences, des conférences mettant les droits des personnes au cœur des débats, et un large panel de professionnels venus du siège, du parquet, de la police nationale, de l’administration pénitentiaire ou de l’école des greffes… Une manière ludique de découvrir les grandes problématiques du droit. Et de tisser des liens forts entre le tribunal judiciaire de Nanterre et l’université, qui travaillent en partenariat sur le programme de cette grande soirée. Interview croisée des doyennes de l’université de Nanterre, Aurore Chaigneau et Anne-Laure Chaumette, et des chefs de juridiction, Benjamin Deparis, président du tribunal judiciaire, et Pascal Prache, procureur près le tribunal judiciaire de Nanterre.
Actu-Juridique : Que représente la Nuit du droit pour vous et vos institutions ?
Aurore Chaigneau et Anne-Laure Chaumette, co-directrices de l’UFR de Droit et de Science politique de l’université de Nanterre : La Nuit du droit nous permet d’inviter les étudiants à rester à l’université un soir dans l’année et de leur proposer des activités atypiques par rapport à leur cursus, à la fois instructif et ludique. Nous organisons cet événement en partenariat avec la juridiction. Ce travail commun est très important pour l’université. D’une part, cela permet aux étudiants d’avoir des échanges avec les professionnels du monde judiciaire, ce qui est très précieux. D’autre part, il nous permet de rester proches des magistrats du siège et du parquet, de concevoir ensemble des ateliers où différentes professions juridiques vont prendre la parole en même temps sur un même sujet. On arrive à organiser simultanément une dizaine de conférences ce soir-là, avec la présence de très nombreux professionnels. C’est une grande chance. Rares sont les événements réunissant autant de personnes compétentes dans un même bâtiment. La Nuit du droit ouvre les portes de l’université à un public extérieur : au personnel de l’université et aux collègues d’autres disciplines, et, au-delà des murs du campus, aux élèves et habitants des quartiers proches. Cela permet de faire connaître les études de droit au grand public. C’est une très bonne chose, car le droit est très demandé par les élèves de terminale. Ces derniers peuvent ainsi mettre un pied à l’université.
Benjamin Deparis, président du TJ de Nanterre et Pascal Prache, procureur de la République : La Nuit du droit est maintenant un événement bien identifié dans les juridictions depuis quelques années. Plus d’une centaine de juridictions y participent. Corrélativement, ce succès quantitatif a abouti à ce que son objet a un peu muté depuis l’origine. Conçu par le président du Conseil constitutionnel comme un outil de connaissance du droit et des fondamentaux de l’état de droit, cet objet s’est désormais élargi à la connaissance du fonctionnement des juridictions, des professions judiciaires et parajudiciaires, des problématiques judiciaires spécifiques telles que les violences intrafamiliales ou les modes alternatifs de règlement des différends, des techniques et moyens d’enquête, des pratiques des divers professionnels, des projets de juridiction ou de la présentation de compétences nouvelles. Tel a été le cas, l’an dernier avec succès, de la présentation de notre grande nouveauté pour le tribunal judiciaire de Nanterre, la création du Pôle des crimes sériels ou non élucidés (PCSNE), appelé souvent par facilité mais improprement pôle « Cold cases ». Il s’agit du seul pôle national unique qui n’est pas implanté au tribunal de Paris. C’est évidemment aussi l’occasion de faire connaître nos juridictions, pour celles qui peuvent ouvrir les murs. À Nanterre, pour des raisons bâtimentaires et de proximité, ainsi que du nombre des étudiants concernés, nous avons choisi ce partenariat très étroit avec l’Université Paris Nanterre et, pour la deuxième année consécutive, cette Nuit du droit 2023 se tiendra au sein de cette dernière. Nous avions eu, l’an dernier, l’honneur de la première visite de la toute nouvelle secrétaire générale du ministère, Madame Carine Chevrier. Nous espérons que cette édition 2023 attira un nombre tout aussi important de visiteurs.
AJ : Cette édition porte comme titre : « droits versus Droit ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Aurore Chaigneau et Anne-Laure Chaumette : Après une édition consacrée à « la justice dans tous ses états » l’an dernier, la juridiction a eu l’idée de ce titre, qui conceptualise les différents ateliers. Le programme fait une large place aux droits des personnes : les droits des prisonniers seront abordés dans le cadre de la conférence sur les 40 ans du travail d’intérêt général, le droit à la protection de la vie privée sera au cœur de la conférence intitulée : « preuve pénale et nouvelles technologies », où sera questionnée la place d’outils tels que la reconnaissance faciale et les drones, les droits des enfants et des parents seront présentés lors des reconstitutions d’audiences devant le juge aux affaires familiales. Le respect des droits des personnes en fin de vie sera abordé pendant la table ronde portant sur les questions médicales et éthiques, au cours de laquelle il sera question des dons d’organes, des autopsies, du référé fin de vie. Le titre de la Nuit du droit résume bien cette attention portée aux prérogatives que chacun et chacune peut revendiquer. La question est de savoir comment ces droits dits subjectifs, s’articulent avec le Droit dit objectif, qui est l’ensemble des règles de conduite régissant la vie en société. Il est explicité par le sous-titre, « à la recherche d’un équilibre en démocratie ».
Benjamin Deparis et Pascal Prache : La confrontation du droit positif et de la reconnaissance des droits subjectifs est une dialectique contemporaine bien vivante. Les droits précèdent-ils le droit ou est-ce l’inverse ? On ne sait vraiment, mais l’on peut dire que l’un nourrit l’autre. En droit, les textes évoluent avec la société, au sens des revendications sociales et collectives, mais l’on peut aussi dire que c’est l’office juridictionnel de création du droit, son effet normatif par l’interprétation des lois qu’en font les juridictions qui reconnaît les droits subjectifs. On connaît bien cette dualité à travers la notion d’accès au droit, à laquelle l’autorité judiciaire concourt, dit-on, en vue d’assurer un égal accès de tous à la reconnaissance de ses droits en justice. À l’échelle de notre événement, on peut dire que la Nuit du droit est aussi un peu la Nuit des droits à travers le programme diversifié qui sera proposé.
AJ : Comment préparez-vous cette Nuit du droit ?
Aurore Chaigneau et Anne-Laure Chaumette : La Nuit du droit est une manifestation organisée sous l’égide du Conseil constitutionnel, pour rendre hommage à la Constitution, au sein des institutions qui font vivre le Droit au quotidien. À l’origine, elle était organisée au sein du tribunal judiciaire de Nanterre. L’an dernier, le tribunal était en travaux, raison pour laquelle l’événement avait été accueilli au sein de l’université. Ce fut un tel succès que nous avons décidé de renouveler l’expérience. Nous tenons à ce que les étudiants soient pleinement associés à la manifestation. Ils le sont un peu plus chaque année. Pour cette troisième édition, ils interviennent activement sur deux ateliers, portant sur les reconstitutions d’audiences familiales et sur les résolutions de litiges. Cet atelier, intitulé : « Amiable ou juge, quelle voie choisir ?», partira des mésaventures fictives d’un ou d’une étudiante en droit. À partir de ce cas pratique, ils exposeront les différents modes de règlement des conflits et notamment la voie amiable dont l’essor fait l’objet d’une grande actualité législative. Les praticiens spécialistes réagiront à leurs propositions. Pour les reconstitutions d’audiences familiales, les étudiants se mueront en comédiens qui interpréteront les rôles des différents acteurs de ces audiences. Le scénario leur sera fourni par un membre de la juridiction et l’exercice sera encadré par les responsables de master. Les enseignants-chercheurs travaillent sur la Nuit du droit depuis le mois de juin. Dès le premier jour de l’année universitaire, ils vont préparer les ateliers avec les étudiants. À Nanterre, cela permet en début d’année de créer un lien avec les étudiants, qui se sentent ainsi valorisés car ils ont la chance de participer à cet événement atypique. Cet événement fait partie des actions menées par l’université pour promouvoir les sciences auprès du grand public, pour lesquelles l’Université de Nanterre a reçu le label « Science avec et pour la société » (SAPS) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Benjamin Deparis et Pascal Prache : Nos équipes se réunissent régulièrement depuis plusieurs mois, et plus intensément depuis quelques semaines. Il s’agit d’abord de caler, de notre côté, au siège et au parquet, ce que l’on veut pour équilibrer les sujets et façons d’aborder les choses, puis nous échangeons étroitement avec l’Université, dont la liberté est plus grande pour évoquer tous les sujets. Nous, nous souhaitons rester sur une vocation pédagogique et ludique, même si des problématiques de fond y sont abordées comme les violences intrafamiliales au pénal ou les modes alternatifs de règlement des différends au civil. Les magistrats qui interviennent se doivent de respecter le secret professionnel ou du délibéré, préserver leur impartialité actuelle et future, et en même temps présenter leur action dans la réalité de leur exercice, avec précision et illustration, ce qui n’est pas toujours chose aisée. Nous l’avons vu l’an dernier avec l’évocation du PCSNE, dit pôle Cold cases. Il est très difficile de ne pas évoquer les affaires particulières, mais on y arrive tout de même à la condition de ne pas trop s’exposer, particulièrement dans tout ce qui relève de la matière pénale et des affaires couvertes par le secret de l’enquête ou le secret de l’instruction.
AJ : Qu’est-ce qui plaît le plus, dans cette Nuit du droit ?
Aurore Chaigneau et Anne-Laure Chaumette : Les étudiants aiment entendre les professionnels parler de leur métier. Et surtout, ce qui est intéressant est de pouvoir les entendre se confronter sur leur compréhension et leur pratique du droit. Par exemple, l’an dernier, une vive discussion avait eu lieu sur l’efficacité des dispositifs judiciaires dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales. Les avis n’étaient pas les mêmes selon qu’un avocat de partie civile ou un magistrat s’exprimait. Chacun pouvait développer auprès des étudiants des idées très précises et étayées.
Benjamin Deparis et Pascal Prache : Il est certain que les mises en situation, reconstitutions de scènes de crime ou d’audience, et simulations d’audience sont des bons points d’entrée concrets et illustratifs pour appréhender la complexité des procédures, des techniques et des missions. Elles sont généralement très appréciées, au point que beaucoup de juridictions pratiquent désormais de la sorte au titre des événements marquant la Nuit du droit sur tout le territoire national.
AJ : Le programme fait la part belle aux scènes jouées. Comment passe-t-on du droit au théâtre ?
Aurore Chaigneau et Anne-Laure Chaumette : Les enseignants comme les magistrats ont l’habitude de la mise en scène ! Et les étudiants sont toujours friands de reconstitutions de procès et de moments de la vie juridique et judiciaire. Contrairement à la lecture de dossiers, qui serait difficile à faire en public, la reconstitution de scènes de crime a toujours un énorme succès. Les locaux de l’université sont bien conçus pour cela. Ils permettent à la police judiciaire, présente ce jour-là, de reconstituer une scène de crime. Pour les reconstitutions de procès civils, nous utilisons des salles de cours ou de petits amphithéâtres. Nous avons besoin de cette théâtralité pour donner à nos étudiants le goût du droit. Une approche strictement littéraire ne suffirait pas. Ces scènes jouées s’intègrent parfaitement à la formation des étudiants. Ils sont très demandeurs de prise de parole car beaucoup se destinent à exercer les professions de magistrat, d’avocat, ou d’enseignant-chercheur, au sein desquelles l’oralité prime. Cela fait partie de leur formation.
Benjamin Deparis et Pascal Prache : On dit souvent que la justice est théâtrale, on parle d’effets de manche, de prétoire, de tribune, d’acteurs judiciaires, de justice spectacle, de scène judiciaire… Mais il ne faut pas confondre les actions pédagogiques et la réalité de nos missions. Les étudiants le savent bien, mais encore une fois, c’est un excellent mode d’entrée sur l’exercice de plusieurs professions judiciaires.
Référence : AJU010q4