Les 15 ans du Collège de droit d’Assas – Conférence-anniversaire « Éloge du généraliste »

Publié le 16/07/2024

Le Collège de droit de l’université Paris-Panthéon-Assas a été créé à la rentrée universitaire de 2008. Filière universitaire d’excellence et complétant la licence en droit, ce diplôme favorise la cohésion au sein de promotions réduites et intègre dans sa communauté ses partenaires du monde professionnel et ses alumni. Son projet pédagogique est tourné vers une approche résolument pluridisciplinaire, l’acquisition de compétences essentielles à l’exercice de toute profession juridique et le développement d’expériences pédagogiques innovantes, notamment par des travaux collectifs. Le Collège de droit fut le premier fondé en France. Il célébre cette année ses 15 ans.

Université Paris-Panthéon-Assas

Ouverte par le président de l’université, Stéphane Braconnier, et la directrice du Collège de droit, Cécile Pérès, la conférence-anniversaire des 15 ans du Collège de droit d’Assas s’est tenue le 11 juin 2024 au centre Vaugirard.

Les premières interventions ont permis à l’un des fondateurs du Collège, Louis Vogel, président honoraire de l’université, sénateur et membre de l’Institut, de rappeler les origines de ce diplôme. Inspiré par son expérience universitaire au sein de la faculté états-unienne de Yale, Louis Vogel souhaitait créer une formation permettant à ses étudiants de découvrir un ensemble généraliste de matières diversifiées au-delà du droit. Il avait également pour projet de décloisonner les formations de l’enseignement supérieur, scindées en France entre universités et grandes écoles, et de faire davantage venir l’école à l’université. Par ailleurs, les professeurs Cécile Pérès et Louis Vogel ont évoqué la mémoire du professeur Pierre Crocq, premier directeur du Collège de droit, sans lequel la création et le développement du Collège n’auraient pas été envisageables.

Puis, le général Laurent Bitouzet, commandant de l’École des officiers de la gendarmerie nationale, et le Général Hubert Charvet, commandant de l’École de gendarmerie de Dijon, qui accueillent chaque année les étudiants du Collège de droit en séminaire d’intégration dans leurs écoles respectives, ont poursuivi l’ouverture de cette cérémonie en exposant la nécessité de former des juristes-citoyens. Ils ont souligné que les formations du juriste et du gendarme poursuivent un objectif commun : l’interdisciplinarité que permet l’ouverture à toutes les sciences humaines et sociales. En outre, le travail collectif s’impose aux juristes comme aux gendarmes en dépit de la technicité de leurs tâches. Ces interventions ont également été l’occasion de souligner les diverses facettes du partenariat entre l’université et la Gendarmerie nationale.

Ces prolégomènes achevés, deux tables rondes se sont succédé. Le thème choisi par l’Association des étudiantes du Collège de droit pour cet anniversaire – « Éloge du généraliste » – fait écho à l’esprit d’ouverture du diplôme et à son projet pédagogique. Suggérant un parti pris assumé en faveur des vertus d’un esprit généraliste en droit face à l’ultra-spécialisation contemporaine, il invitait à interroger tout à la fois des universitaires et des praticiens.

Le regard des universitaires sur l’« Éloge du généraliste », a été l’objet de la première table ronde. Laurent Leveneur, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas, a ouvert cette réflexion par l’évocation du droit civil. Le droit civil est en effet le berceau du généraliste juridique. Et c’est bien une approche généraliste qu’ont développée les plus grands auteurs de la doctrine du droit civil dont Jean Domat dans Les lois civiles dans leur ordre naturel (1644), ouvrage considéré comme la première tentative de synthèse générale du droit, ou plus tard Marcel Planiol, auteur du Traité élémentaire de droit civil (1899). C’est encore une pensée généraliste qui a imprégné les œuvres des frères Henri, Léon, et Jean Mazeaud, de Philippe Malaurie, de Georges Ripert et de tant d’autres. Eugène Thaller, considéré comme le fondateur de la discipline du droit des affaires, s’est d’ailleurs inspiré de la méthode généraliste pour rédiger son Traité élémentaire de droit commercial (1910), tout en reconnaissant que sa matière était un miroir du droit civil. Certes, comme l’a souligné Laurent Leveneur, la spécialisation guette désormais jusqu’aux civilistes eux-mêmes, par exemple, l’un est spécialiste du droit extrapatrimonial tandis que l’autre est spécialiste du droit patrimonial et l’on voit les auteurs de grands manuels de droit civil s’associer à des auteurs spécialisés pour chaque matière. Il faut sans doute y voir une conséquence de l’instabilité et de l’inflation législatives. Cependant, les vertus d’une approche généraliste en droit demeurent et celle-ci doit être préservée.

Benoît Plessix, professeur à l’université Panthéon-Assas, a poursuivi en abordant le sujet sous l’angle du droit public. Celui-ci n’est pas épargné par le phénomène de spécialisation du droit qui s’est manifesté par l’apparition du « Droit gérondif », selon l’expression du professeur Yves Gaudemet. Autrefois, le droit était adjectif, c’est-à-dire qu’il était qualifié (comme le « droit administratif ») ; il est désormais gérondif, il se définit donc par son objet (comme le « droit des contrats publics »), ce qu’illustrent divers exemples. La spécialisation est absolument nécessaire et n’est pas en cause ; cependant, l’ultra-spécialisation produit des effets pervers auxquels la culture juridique permet de remédier. En un mot, il faut savoir combiner le « zoom » de l’expertise technique et le champ large du regard généraliste afin d’appréhender les questions juridiques.

Marie Caffin-Moi, professeur à l’université Paris-Panthéon-Assas, a ensuite abordé la question en droit des affaires à travers une figure composée de trois cercles concentriques. Le premier cercle correspond au droit commun, au frontispice de laquelle figure le droit civil. Toute matière spécialisée dérivant du droit civil lui demeure redevable d’une certaine dépendance. Le deuxième cercle concerne les droits environnants et les sources du droit, c’est-à-dire les droits qui s’imposent, ceux dont l’étude du droit des affaires ne peut se dispenser, particulièrement les droits international et européen qui se sont imposés par la mondialisation des échanges et le droit des droits fondamentaux. Le troisième cercle, c’est celui des sciences voisines qui influencent le droit des affaires telles que la philosophie, les sciences cognitives ou l’économie par le biais du développement de l’éthique des affaires ou de la science des marchés.

Il est enfin revenu à John Cartwright, professeur émérite à l’université d’Oxford, enseignant contractuel à l’université Paris-Panthéon-Assas, qui enseigne dans le Collège de droit depuis l’année universitaire 2010-2011, d’explorer le sujet sous l’angle de l’enseignement généraliste du droit à l’université d’Oxford. Dans une démarche comparatiste, il a d’abord souligné la particularité du contexte anglais. Outre-Manche, il n’existe pas de texte national officiel fixant le programme des études de droit ; chaque université est libre de définir son propre programme et celui-ci varie donc selon les établissements. De plus, en Angleterre, il est tout à fait possible d’avoir une carrière juridique prestigieuse sans avoir étudié le droit. Cela étant dit, l’enseignement du droit à Oxford porte sur un nombre restreint de matières fondamentales (dont le droit romain) et les étudiants ne suivent en option que quelques matières (deux par an). L’ambition n’est donc pas d’étudier largement les différentes disciplines juridiques mais d’en étudier quelques-unes en profondeur. Les étudiants sont invités à un travail personnel conséquent ainsi qu’à la réflexion critique dans le cadre des tutorials (séminaires interactifs d’un professeur avec un à trois étudiants). Cette formation commune constitue un tremplin vers leur spécialisation au sein des Inns of Courts.

Le regard des praticiens sur l’« Éloge du généraliste » a été l’objet de la seconde table ronde. Les 15 ans du Collège ont été ici l’occasion de mettre à l’honneur les partenaires du diplôme et de l’association de ses étudiants, qui sont des professionnels de premier plan dans le monde du droit et de la justice.

Le premier praticien interrogé, Thomas Lyon-Caen, avocat aux Conseils, président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, s’est défini comme un avocat de la légalité au sens large. En effet, les avocats aux Conseils ont une maîtrise essentielle des rapports entre les ordres juridiques. En outre, la Cour de cassation et le Conseil d’État sont des juridictions remarquablement ouvertes aux sciences non juridiques, notamment lorsqu’il est fait appel aux amicii curiae. Les avocats aux Conseils doivent également appréhender des droits qui ne peuvent se comprendre qu’en étant généraliste, comme le droit de l’environnement.

Du point de vue du notariat, Coralie Leveneur, notaire associée, étude Cheuvreux, a souligné, notamment à travers l’exemple d’une simple vente immobilière, combien sa profession demande une vision globale et généraliste du droit. En effet, les notaires sont des « praticiens pragmatiques » devant non seulement maîtriser les différentes branches du droit impliquées dans un dossier mais aussi développer diverses « skills » dans les relations humaines, avec ses clients comme avec ses équipes ou encore dans le recours à la médiation, tout en demeurant à même de fournir une expertise. En cela, il est un véritable professionnel généraliste. Même si le métier de notaire comprend des professionnels plus ou moins spécialisés, selon le besoin des clients, il n’en demeure pas moins que le notaire a tout intérêt à être un généraliste dans l’exécution de son obligation de conseils. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’a été conçue la nouvelle formation professionnelle des notaires : former à la fois aux domaines juridiques privilégiés d’intervention du notaire mais aussi les former à des compétences dans les relations humaines, dans la gestion de l’office et aux outils numériques et de l’intelligence artificielle.

Pour Natasha Tardif, avocat au barreau de Paris, managing partner, Reed Smith LLP Paris, l’avocat se doit de mêler des connaissances dans différentes branches du droit. Prenant l’exemple de son domaine d’intervention, le droit de la concurrence, elle a souligné que son activité la conduit à mobiliser notamment le droit des aides d’État et le contrôle des concentrations, ainsi que plusieurs compétences non juridiques, par exemple en matière économique. L’avocat spécialisé doit donc faire appel à d’autres branches du droit, comme le droit public, le régime général des obligations et le droit du travail. Il peut être amené à mettre en œuvre des soft skills, par exemple en matière de ressources humaines au sein du cabinet, d’où sa nature généraliste.

Enfin, le regard d’un éditeur juridique a complété ce panorama. Emmanuelle Filiberti, directrice générale de Lextenso, est revenue sur les grands ouvrages juridiques généralistes et elle a souligné, en même temps que l’importance de la lecture, la nécessité de valoriser les publications entremêlant différentes disciplines, à l’image de la revue Droit et littérature. En effet, l’interdisciplinarité contribue à pallier la spécialisation des revues juridiques. Elle permet aussi d’établir de véritables liens entre les matières, ce qui constitue un avantage non négligeable par rapport à l’intelligence artificielle qui ne sait, elle, que faire des corrélations.

Les 15 ans du Collège de droit se sont achevés par des remerciements, précédés d’un mot des étudiants. Le Collège de droit est une communauté d’étudiants soudés et solidaires d’après Victor Bordereau et Maëlys Meury, président et trésorière adjointe de la section du Collège de droit de l’Association des étudiants du Collège et de l’École de droit. Ils ont également tenu à remercier les intervenants de cette soirée très enrichissante pour les étudiants, ainsi que chacun des membres de l’équipe pédagogique et administrative.

La cérémonie a également permis au président de l’université, Stéphane Braconnier, et à la directrice du Collège, Cécile Pérès, de remercier publiquement John Cartwright, pour l’ensemble des enseignements dispensés au sein du Collège de droit depuis de nombreuses années. John Cartwright a été professeur à Christ Church à l’université d’Oxford jusqu’en 2018, date à laquelle il a pris sa retraite. Il a été le directeur de l’Institut de droit européen et comparé de l’université d’Oxford de 2015 à 2018. Ses principaux centres d’intérêt ont été le droit des biens (property), le droit des contrats, plus généralement le droit privé, avec une dimension comparative, en particulier avec les droits d’Europe continentale et plus spécialement encore avec le droit français. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Cheshire & Burn’s Modern Law of Real Property ; Anson’s Law of Contract ; Contract Law. An Introduction to the English Law of Contract for the Civil Lawyer (4e éd, 2023). Ce dernier ouvrage est tiré de son expérience d’enseignement sur le continent européen, notamment à l’université Paris-Panthéon-Assas : ouvrage unique par sa conception, il est d’une très grande richesse et irremplaçable pour tout juriste français qui veut connaître l’état actuel du droit anglais des contrats.

Enfin, Grégoire Lemarchand-Ghica, chargé de mission pédagogique du Collège et de l’École de droit dont la mission s’achève, a été chaleureusement remercié pour la qualité de son travail et l’importance de son implication auprès des étudiants et de l’équipe du Collège de droit.

Lorine Bostourous et Tess Guettier,

étudiantes du Collège de droit de l’université Paris-Panthéon-Assas

Université Paris-Panthéon-Assas

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