Chronique de droit de l’énergie (juillet 2017 – juin 2018) (1re partie)

Publié le 17/09/2018

La présente chronique, qui couvre la période allant de juillet 2017 à juin 2018, dresse un panorama de l’actualité législative, française et européenne, ainsi que de la jurisprudence, judiciaire et administrative, concernant les sources du droit de l’énergie, les énergies renouvelables et les hydrocarbures.

Concernant les sources du droit de l’énergie, les sources européennes sont à l’honneur, avec l’adoption des premiers textes mettant en œuvre le paquet Énergie propre. S’agissant des énergies renouvelables, la chronique s’intéresse en particulier au développement de l’autoconsommation et au contentieux dans les secteurs de l’énergie solaire et de l’énergie éolienne. Quant aux hydrocarbures, enfin, la période couverte par la présente chronique a bien sûr été marquée par l’adoption de la loi du 30 décembre 2017 visant à mettre fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures.

I – Les sources du droit de l’énergie

Sources européennes : adoption des premiers textes mettant en œuvre le paquet Énergie propre : PE et Cons. UE, dir. n° 2018/844 du 30 mai 2018 modifiant la dir. n° 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la dir. n° 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique1. On se souvient que, le 30 novembre 2016, la Commission européenne avait présenté, dans sa communication intitulée « Une énergie propre pour tous les Européens »2, le paquet dit Énergie propre ou Winter package. Dans la continuité des travaux relatifs à l’Union de l’énergie, la Commission annonçait ainsi un train de mesures visant à compléter le cadre d’action de l’Union en matière d’énergie et de climat. Partant du constat que l’atteinte des engagements pris par l’Union européenne dans le cadre de l’accord de Paris dépend « dans une large mesure de la réussite de la transition vers un système d’énergie propre » et que cette transition doit profiter à tous les Européens, la Commission visait ainsi « à accélérer, modifier et consolider la transition de l’économie de l’UE vers une énergie propre et, ce faisant, à créer de l’emploi et à générer de la croissance dans de nouveaux secteurs économiques et de nouveaux modèles d’entreprise ». Pour ce faire, le paquet Énergie propre poursuit trois grands objectifs qui sont de privilégier l’efficacité énergétique, de parvenir au premier rang mondial dans le domaine des énergies renouvelables et d’adopter des mesures équitables pour le consommateur. La Commission avait alors présenté, pour l’essentiel, 8 propositions de textes.

Depuis lors, les premiers résultats ont été atteints. Durant la période couverte par cette chronique, le premier des textes annoncés a été définitivement adopté, à savoir la directive révisée relative à la performance énergétique des bâtiments, et trois autres ont fait l’objet d’accords politiques entre le Parlement et le Conseil, salués par la Commission, annonçant ainsi leur prochaine adoption formelle.

La directive du 30 mai 2018 révise la directive n° 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et, plus accessoirement, la directive n° 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique. Elle était attendue comme l’un des principaux textes à adopter en vue d’atteindre le premier objectif du paquet Énergie propre, qui est de placer l’efficacité énergétique au premier rang des priorités. Le constat, établi de longue date, demeure en effet que le secteur du bâtiment compte parmi les plus énergivores et émetteurs de gaz à effet de serre, le parc immobilier étant actuellement responsable d’environ 36 % des émissions de CO2 dans l’Union européenne. Sans bouleverser la logique antérieure, la directive entend donc renforcer le cadre juridique actuel. Sans pouvoir en développer tous les aspects, on relèvera que la directive s’attache en particulier :

  • à prévoir l’élaboration par les États membres de stratégies nationales de rénovation à long terme pour soutenir la rénovation du parc national de bâtiments résidentiels et non résidentiels, tant publics que privés, et ce « en vue de la constitution d’un parc immobilier à haute efficacité énergétique et décarboné d’ici à 2050, facilitant ainsi la transformation rentable de bâtiments existants en bâtiments dont la consommation d’énergie est quasi nulle »3. Cette stratégie devra notamment comprendre une feuille de route comportant des mesures et des indicateurs de progrès mesurables établis au niveau national, avec des jalons indicatifs pour 2030, 2040 et 2050 ;

  • à promouvoir l’usage des nouvelles technologies pour le développement de bâtiments intelligents, censés contribuer aux économies d’énergie grâce à une information précise des consommateurs sur leurs modes de consommation tout en permettant au gestionnaire de réseau de gérer ce dernier plus efficacement. À cet égard, la directive prévoit notamment que la Commission adoptera d’ici fin 2019 un acte délégué établissant un système facultatif commun de l’Union d’évaluation du « potentiel d’intelligence des bâtiments », fondé « sur une analyse des capacités d’un bâtiment ou d’une unité de bâtiment à adapter son fonctionnement aux besoins des occupants et du réseau et à améliorer son efficacité énergétique et sa performance globale »4 ;

  • à promouvoir le déploiement d’infrastructures de recharge dans les parcs de stationnement des bâtiments résidentiels et non résidentiels. Des exigences différenciées d’installation de points de recharge sont posées selon la nature du bâtiment (neuf ou ancien, résidentiel ou non résidentiel) et le nombre de places de stationnement5 ;

  • à mieux mobiliser les investissements et financements privés comme publics.

Cette directive, d’harmonisation minimale, n’empêche pas les États membres de fixer des exigences plus ambitieuses. Ils doivent en tout cas procéder à la transposition de cette directive au plus tard le 10 mars 2020.

La proposition de révision de la directive relative à l’efficacité énergétique6 a quant à elle donné lieu à un accord politique entre la Commission, le Parlement et le Conseil le 19 juin 20187. Cet accord consacre notamment l’objectif de 32,5 % d’efficacité énergétique pour 2030 au niveau de l’Union, tout en prévoyant une clause de révision à la hausse en 2023. Pour ce faire, le futur texte étendra notamment l’obligation annuelle d’économies d’énergie prévue par l’article 7 de la directive n° 2012/27/UE pour la période 2021-2030, renforcera les règles relatives au calcul des économies d’énergie et l’information des consommateurs sur leur consommation d’énergie, et imposera aux États membres de disposer de règles nationales transparentes et accessibles sur la répartition des coûts du chauffage, des systèmes de climatisation et d’eau chaude dans les copropriétés équipées d’installations collectives.

On précisera par ailleurs que les dispositions relatives à l’étiquetage énergétique, dont la révision était prévue avant même le paquet Énergie propre, ont d’ores et déjà été revues. Ainsi, le règlement adopté le 4 juillet 2017 établissant un cadre pour l’étiquetage énergétique8, entré en vigueur le 1er août 2017, abroge et remplace la directive n° 2010/30/UE. Le choix a été fait de recourir au règlement en vue de procéder à une harmonisation totale et éviter ainsi les disparités nationales. Sur le fond, le schéma reste globalement le même que par le passé (champ d’application comparable du fait de la reprise de la notion de « produit lié à l’énergie » établie dans la directive de 2010 ; obligation de fournir une étiquette et une fiche comportant les informations définies pour chaque type de produit dans un acte délégué…), mais ce nouveau texte vise à actualiser et améliorer le dispositif, notamment en améliorant la classification des produits ; en imposant non seulement une étiquette « papier » mais aussi sa disponibilité en ligne, accompagnée de fiches d’informations téléchargeables ; en imposant l’affichage de la classe d’efficacité énergétique dans les publicités visuelles et tout matériel promotionnel ; ou encore en créant une base de données des produits et un portail en ligne accessible à tous les consommateurs.

Quant aux énergies renouvelables, un accord politique a également été trouvé le 14 juin 2018, qui sera formalisé par la voie d’une refonte de la directive actuellement en vigueur9. Cet accord consacre notamment l’objectif d’atteindre en 2030 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique de l’Union, avec une clause de révision à la hausse en 2023. Le futur texte aura essentiellement pour but d’améliorer et de stabiliser les dispositifs de soutien au développement des énergies renouvelables, de simplifier les procédures administratives en la matière, d’établir un cadre juridique clair et stable pour l’autoconsommation et d’améliorer la durabilité de l’usage des bioénergies.

Enfin, durant la période couverte par la présente chronique, un accord politique a également été trouvé, le 20 juin 2018, concernant le futur règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie10, qui vise essentiellement à prévoir la manière dont les États membres et la Commission européenne doivent collaborer en vue d’atteindre les objectifs européens en matière d’énergie et de climat pour 2030 et à prévoir les contributions nationales à l’atteinte de ces objectifs. Les États membres devront ainsi établir des plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat, qui devront être cohérents avec les objectifs européens tout en prenant en compte les spécificités nationales.

II – Droit des énergies renouvelables

A – L’avenir de l’autoconsommation

Délibérations de la Commission de régulation de l’énergie sur le cadre contractuel, technique et économique de l’autoconsommation individuelle et collective (CRE, délib. n° 2018-027, 15 févr. 2018, portant orientations et recommandations sur l’autoconsommation ; CRE, délib. n° 2018-115, 7 juin 2018, portant décision sur la tarification de l’autoconsommation et modification de la délibération de la CRE du 17 nov. 2016 portant décision sur les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité dans les domaines de tension HTA et BT). Par ordonnance du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité11, complétée par le décret du 28 avril 201712, le régime juridique de l’autoconsommation a été précisé et intégré aux articles L. 315-1 et suivants et D. 315-1 et suivants du Code de l’énergie13. Depuis, l’ordonnance a été ratifiée14 et, parallèlement, la Commission de régulation de l’énergie a fait connaître ses recommandations et décisions en vue d’un développement harmonieux de l’autoconsommation d’électricité, qu’elle soit individuelle ou collective.

Partant du constat que, si les opérations d’autoconsommation sont encore d’un volume limité à l’heure actuelle15, elles sont en revanche appelées à se développer considérablement dans un avenir très proche, la CRE a en effet lancé en 2017 une vaste concertation afin d’examiner les conséquences du développement de l’autoconsommation sur le modèle énergétique français, et ce en vue de formuler ensuite des recommandations et décisions. En effet, selon les termes de la délibération portant orientations et recommandations sur l’autoconsommation16, « c’est la façon dont s’articuleront l’ensemble des signaux de prix et les diverses exigences réglementaires qui sera décisive pour permettre un développement harmonieux de l’autoconsommation selon des modalités bénéficiant à l’ensemble du système électrique ». La CRE ne s’est donc pas concentrée seulement sur la question des tarifs d’utilisation des réseaux mais s’est intéressée, bien plus largement, à l’ensemble des sujets liés à l’autoconsommation.

La première délibération17 s’intéresse ainsi essentiellement à trois sujets, à savoir les cadres technique et contractuel de l’autoconsommation ainsi que les dispositifs de soutien. De manière générale, la CRE poursuit un triple objectif : il s’agit de faciliter et sécuriser le raccordement des installations, de simplifier les relations entre les acteurs et de fixer des règles de fonctionnement simples et garantissant une utilisation optimale des installations et enfin, d’offrir un cadre de soutien économique robuste et stable.

Concernant le cadre technique et contractuel, il s’agit avant tout de faciliter l’accès de tous à l’autoconsommation tout en faisant respecter les règles indispensables à la sécurité et au bon fonctionnement du système électrique. Au titre de la première exigence, sont notamment recommandés une simplification des modalités de raccordement, la mise en place de plates-formes dématérialisées facilitant et simplifiant la déclaration des installations de production, une simplification du cadre contractuel reposant sur la mise en place de contrats uniques pour l’autoconsommation individuelle. Au titre de la seconde exigence, la CRE recommande en particulier que soit imposée une exigence de déclaration.

Concernant les dispositifs de soutien, la CRE entend recommander aux pouvoirs publics un dispositif équilibré, prenant en compte la diversité des situations et assurant la maîtrise de la dépense publique. Elle insiste sur le fait que le soutien à l’autoconsommation doit être étudié dans le cadre plus global du soutien à la filière photovoltaïque et sur la nécessité, pour évaluer le niveau du soutien public, de bien prendre en compte l’ensemble des dispositifs, qu’ils soient directs (tarifs d’achat, appels d’offres) ou indirects (exonérations de taxes et contributions). Elle recommande un cadre de soutien direct différencié en fonction de la taille des installations, de leur mode de fonctionnement (autoconsommation individuelle ou collective, vente en totalité) et de l’implantation géographique, en distinguant la métropole et les zones non interconnectées. Elle recommande également de limiter l’exonération de CSPE et taxes locales aux plus petites installations en autoconsommation individuelle.

La seconde délibération, du 7 juin 2018, porte quant à elle décisions quant au cadre tarifaire. Elle distingue l’autoconsommation individuelle et l’autoconsommation collective18, leur impact sur le réseau étant naturellement différent. La principale question était de savoir si, afin de refléter les coûts générés par les différents utilisateurs du réseau, des tarifs de réseaux spécifiques devaient être mis en place. La CRE a conclu que l’autoconsommation individuelle n’impliquait pas, à ce jour, une telle décision, l’autoconsommation devant donc être traitée comme toute autre forme de consommation d’électricité dans le cadre du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). S’agissant en revanche de l’autoconsommation collective, la CRE a décidé de mettre en place une nouvelle formule tarifaire, optionnelle, fondée « sur une distinction entre les flux locaux et les autres flux afin de valoriser la réduction de la sollicitation des réseaux amont », visant ainsi à « inciter les autoconsommateurs à privilégier les flux locaux, en particulier aux heures critiques pour le réseau ». La CRE a précisé que la tarification ainsi prévue ferait l’objet d’un retour d’expérience et d’éventuelles modifications à l’occasion de l’établissement du TURPE 6.

B – Divergences jurisprudentielles sur le champ d’application du moratoire sur la filière solaire

Cass. 1re civ., 6 sept. 2017, n° 16-13546, PB ; CE, 7 févr. 2018, n° 399683, Sté ACMM : AJDA 2018, p. 1140, obs. Idoux P., Nicinski S. et Glaser E. ; Énergie-env.-infrastr. 2018, comm. 21, note Boda J.-S. Les conséquences du « moratoire » sur la filière solaire décrétée fin 2010 n’en finissent plus d’envahir les prétoires, aussi bien de l’ordre judiciaire que de l’ordre administratif. Rappelons que, par décret du 9 décembre 201019, il a été décidé de suspendre provisoirement l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil, pesant sur EDF (ou les entreprises locales de distribution). Cette suspension n’avait qu’une durée de trois mois, et présentait certes des justifications, en particulier le coût de plus en plus lourd pour la collectivité de ce mécanisme du fait d’un afflux massif de demandes de contrats d’achat dans la filière solaire, étant rappelé que les charges qui en découlent pour EDF sont répercutées sur les factures des consommateurs d’électricité par la voie de la contribution au service public de l’électricité. Mais la manière dont l’évolution de ce mécanisme a été opérée a surpris de nombreuses entreprises, en particulier celles qui avaient déposé leur demande de raccordement peu de temps avant l’adoption du décret mettant en place ce moratoire, et qui se trouvaient donc à un stade très avancé de leur projet lorsque ce texte a été adopté. Leurs demandes de contrat d’achat ne furent pas examinées, les entreprises étant invitées, en application des dispositions du décret20, à présenter une nouvelle demande à l’issue du moratoire, demande qui se verrait alors appliquer les nouvelles conditions tarifaires adoptées entre temps, fatalement moins attractives. Un contentieux immense en a découlé, dont cette chronique atteste régulièrement. Si le Conseil d’État a rejeté les recours contestant la légalité du décret21, de même que ceux recherchant la responsabilité de l’État22, cela n’a pas tari le contentieux, loin s’en faut, celui-ci s’étant simplement déplacé. Les décisions commentées en attestent une nouvelle fois, tout en répondant à une question essentielle relative au champ d’application temporel du moratoire, en retenant cependant des positions divergentes, démontrant une interprétation différente des dispositions du décret du 9 décembre 2010 par la Cour de cassation et le Conseil d’État.

Devant la Cour de cassation, c’est aujourd’hui essentiellement le contentieux indemnitaire engagé à l’encontre d’ERDF (devenue Enedis) qui occupe le terrain23. En effet, de nombreux producteurs sont tombés sous le coup du moratoire du fait du retard d’ERDF dans la gestion des demandes de raccordement au réseau, qui constitue un préalable nécessaire à la conclusion du contrat d’achat avec EDF. Elles ont dès lors recherché la responsabilité civile d’ERDF. Or, la Cour de cassation a admis clairement, depuis un arrêt du 9 juin 201524, que ce retard constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité civile d’ERDF, dès lors que les demandeurs établissent une perte de chance d’obtenir la conclusion d’un contrat d’achat à des conditions plus attractives, c’est-à-dire au tarif antérieur au moratoire. C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a été appelée à préciser les limites exactes du champ d’application temporel du moratoire.

Les dispositions du décret souffrent en effet d’un silence sur un point souvent déterminant en pratique. L’article 1er du décret prévoit la suspension de l’obligation d’achat dans la filière solaire pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur, à savoir le 10 décembre 2010. L’article 3 exclut cependant du champ d’application du moratoire les installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau son acceptation de la proposition technique et financière (PTF) avant le 2 décembre 2010. Ce texte évoque donc la situation « normale » prévue par la documentation technique d’ERDF, envisageant l’envoi d’une PTF dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande complète de raccordement. Or, en pratique, il n’est pas rare qu’ERDF recoure à une procédure accélérée, et qu’elle transmette au producteur, non pas une proposition technique et financière, mais directement une convention de raccordement. Cette hypothèse n’est cependant pas évoquée par le décret, ce qui pose une difficulté au regard de son champ d’application exact, la PTF et la convention de raccordement n’étant pas assimilables. Comme le CoRDIS et la Cour de cassation ont eu l’occasion de l’affirmer à plusieurs reprises, la PTF est un document préparatoire au contenu susceptible d’évolution alors que la convention de raccordement envoyée par ERDF est un document définitif qui n’a plus qu’à être accepté par le producteur et permet un processus accéléré de conclusion du contrat.

La Cour de cassation a tiré toutes les conséquences de cette différence de nature. Elle en a tout d’abord déduit, dans le cadre de litiges relatifs à l’exécution de conventions de raccordement, que les dispositions de l’article 3 du décret du 9 décembre 2010 sont inopposables aux producteurs ayant reçu directement des conventions de raccordement, retournées signées avant le 10 décembre 2010, date d’entrée en vigueur du moratoire, peu important qu’elles l’aient été après le 2 décembre 2010. ERDF a dès lors été condamnée à exécuter ces conventions de raccordement considérées comme définitivement conclues25.

Dans ce contexte, la seule question dont la Cour de cassation était saisie était cependant de savoir si ERDF était ou non en droit de refuser d’exécuter la convention de raccordement. Mais plus récemment, la Cour de cassation a été appelée à tirer toutes les conséquences de ce raisonnement dans le contentieux indemnitaire dirigé contre ERDF. En effet, dans son arrêt en date du 6 septembre 2017, publié au Bulletin civil, la Cour de cassation a jugé qu’une entreprise ayant reçu directement une convention de raccordement, renvoyée signée le 6 décembre 2010, pouvait prétendre à la conclusion d’un contrat d’achat au tarif applicable à la date de demande complète de raccordement, donc au tarif applicable avant le moratoire, et ce, sans que soit nécessaire la signature du contrat d’achat lui-même avant la date d’entrée en vigueur du décret du 9 décembre 201026. Ce faisant, elle a confirmé un arrêt d’appel qui avait fait droit à la demande d’indemnisation formée par un producteur contre ERDF et visant à réparer sa perte de chance de conclure le contrat d’achat au tarif plus avantageux existant avant le moratoire, ERDF ayant fautivement considéré le dossier comme entrant dans le champ du moratoire.

Par cette décision, la Cour de cassation a donc clairement entendu procéder à une lecture favorable aux producteurs du champ d’application du moratoire, afin d’en tirer les conséquences sur le terrain indemnitaire. Selon la Cour de cassation, dès lors qu’une convention de raccordement est signée par le producteur et notifiée à ERDF avant le 10 décembre 2010, date d’entrée en vigueur du décret, le moratoire n’a pas vocation à s’appliquer. Il est alors possible de considérer qu’en appliquant le décret du 9 décembre 2010 à des cas qui n’entraient pas dans son champ d’application, ERDF a commis une faute, justifiant l’indemnisation des entreprises ayant subi une perte de marge, faute d’avoir pu obtenir la conclusion d’un contrat d’achat aux conditions existant avant le moratoire alors qu’elles pouvaient y prétendre.

Le Conseil d’État, de son côté, appelé à se prononcer sur la même question par d’autres voies, a retenu une tout autre interprétation, comme en témoigne l’arrêt rendu le 7 février 2018, qui énonce notamment qu’il découle des dispositions des articles 1er et 3 du décret du 9 décembre 2010 que « la suspension instituée par le décret ne saurait davantage s’appliquer au cas où une convention de raccordement a été proposée par le gestionnaire de réseau sans formalisation préalable d’une proposition technique et financière et où cette convention a été signée et notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010 »27. C’est bien la date du 2 décembre, visée par l’article 3 du décret, qui est retenue par le Conseil d’État, et non celle du 10 décembre, date d’entrée en vigueur du décret, retenue par la Cour de cassation.

La mise en parallèle de ces décisions démontre ainsi une interprétation différente du sens et de la portée des dispositions du décret du 9 décembre 2010, et en particulier du champ d’application temporel exact qu’il convient de lui reconnaître. Aux yeux de la jurisprudence judiciaire, l’article 3 du décret, qui exclut du champ d’application du moratoire les installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau son acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010, ne s’applique pas lorsque le gestionnaire de réseau envoie une convention de raccordement, cette hypothèse n’étant pas expressément prévue ; il convient alors d’appliquer le seul article 1er prévoyant que l’obligation d’achat est suspendue à compter de l’entrée en vigueur du décret, soit le 10 décembre, ce qui permet donc d’étendre les possibilités d’indemnisation à tous ceux qui ont notifié leur acceptation de la convention de raccordement jusqu’à cette date. Aux yeux du Conseil d’État en revanche, et sans nier que la PTF et la convention de raccordement se distinguent, le silence de l’article 3 sur l’hypothèse de l’envoi d’une convention de raccordement plutôt que d’une PTF n’exclut pas son application, de sorte que seules les installations pour lesquelles soit une PTF, soit une convention de raccordement, a été renvoyée signée avant le 2 décembre 2010 sont exclues du champ d’application du moratoire. Or, étant donné le nombre de litiges dont l’issue se joue à quelques jours près, on comprend combien ce laps de temps peut être déterminant pour les entreprises concernées.

La solution du Conseil d’État peut paraître d’autant plus sévère dans la situation d’espèce dont il était saisi, qui place le producteur concerné dans une situation proprement absurde. En l’espèce, une société avait sollicité son raccordement au réseau auprès d’ERDF, qui lui avait communiqué en novembre 2010 une convention de raccordement, laquelle avait été renvoyée signée le 3 décembre 2010. ERDF lui a cependant fait savoir par la suite qu’elle tombait sous le coup du moratoire. La société avait alors saisi une première fois le CoRDIS du différend l’opposant à ERDF. Le CoRDIS, dont la décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris, avait décidé qu’ERDF ne pouvait invoquer le décret du 9 décembre 2010 pour s’opposer à l’exécution de la convention de raccordement. À la suite de ce qui semblait être une première victoire pour le producteur, ERDF a procédé aux travaux de raccordement et l’installation a été mise en service. Mais la société s’est alors heurtée au refus d’EDF de conclure un contrat d’achat, le moratoire étant selon elle applicable, la convention ayant été renvoyée le 3 décembre 2010. EDF invitait alors la société à déposer une nouvelle demande de raccordement auprès d’ERDF, alors que, comme il a été dit, le raccordement avait d’ores et déjà été fait. L’intéressé a sans doute goûté la saveur de sa situation… Il a donc saisi à nouveau le CoRDIS, cette fois-ci d’une demande de sanction, à l’encontre notamment d’EDF, qui a cependant été rejetée par le membre désigné par le CoRDIS. C’est du recours en annulation de cette décision que le Conseil d’État a été saisi, et qu’il a rejeté en retenant notamment cette lecture défavorable au demandeur du champ d’application du moratoire. La solution apparaît donc d’autant plus sévère dans un tel contexte. Elle a cependant d’ores et déjà été réitérée28.

On ajoutera que cette décision du Conseil d’État présente un deuxième intérêt notable. Il s’agit en effet de la première décision par laquelle le Conseil d’État se déclare compétent pour connaître d’un recours formé à l’encontre d’une décision du CoRDIS refusant de donner suite à une demande de sanction. Certes, en matière de règlement des différends, l’article L. 134-24 du Code de l’énergie confie à la cour d’appel de Paris le soin de connaître des recours exercés contre les décisions et mesures conservatoires prises par le CoRDIS. Mais l’article L. 134-34 du même code prévoit en revanche que les décisions de sanction prises par le CoRDIS peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction et d’une demande de sursis à exécution devant le Conseil d’État. Ce dernier précise aujourd’hui, dans sa décision du 7 février 2018 et dans le silence des textes, qu’il est également compétent, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, pour se prononcer sur le recours formé contre une décision refusant de donner suite à une demande de sanction.

Dans le même temps, le Conseil d’État a confirmé la compétence du CoRDIS lui-même s’agissant d’éventuelles sanctions à prononcer à l’encontre d’EDF : selon le Conseil d’État, le CoRDIS est bien « compétent pour examiner la demande de sanction formée par la société ACMM à raison du non-respect par la société EDF, utilisateur du réseau en sa qualité de fournisseur d’électricité, de l’obligation d’achat à laquelle cette dernière est tenue en application de l’article L. 314-1 du Code de l’énergie ». C’est donc bien du fait de sa qualification « d’utilisateur du réseau en sa qualité de fournisseur d’électricité » que, conformément aux prévisions de l’article L. 134-25 du Code de l’énergie, EDF est susceptible de faire l’objet d’une sanction prononcée par le CoRDIS, bien que, dans le cadre d’un contrat d’achat, elle agisse en tant qu’acheteur.

(À suivre)

C – Contrats de vente et d’installation de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes : obligation d’information sur la productivité de l’installation

D – Les règles relatives au démarchage au secours des acquéreurs d’installations photovoltaïques

E – Les frontières de la compétence du juge judiciaire en matière d’enlèvement d’éoliennes

III – Droit des énergies fossiles

Notes de bas de pages

  • 1.
    JOUE, 19 juin 2012.
  • 2.
    COM (2016), 860 final.
  • 3.
    Dir. n° 2010/31/UE, art. 1er, 2°, insérant un art. 2 bis.
  • 4.
    Dir. n° 2010/31/UE, art. 1er, 10°, complété par l’annexe I bis.
  • 5.
    Dir. n° 2010/31/UE, art. 1er, 3°, modifiant l’art. 8.
  • 6.
    Dir. n° 2012/27/UE.
  • 7.
    Accord politique sur la révision de la dir. relative à l’efficacité énergétique (Comm. UE, 19 juin 2018, n° 18/3997, Statement).
  • 8.
    Règl. (UE) nº 2017/1369 du PE et du Cons. du 4 juillet 2017 établissant un cadre pour l’étiquetage énergétique et abrogeant la dir. n° 2010/30/UE (JOUE, 28 juill. 2017).
  • 9.
    Accord politique sur la refonte de la directive relative à la promotion des énergies renouvelables (Comm. UE, 14 juin 2018, n° 18/4155, Statement).
  • 10.
    Accord politique sur la gouvernance de l’Union de l’énergie (Comm. UE, 20 juin 2018, n° IP/18/4229).
  • 11.
    Ord. n° 2016-1019, 27 juill. 2016, relative à l’autoconsommation d’électricité (JO, 28 juill. 2016).
  • 12.
    D. n° 2017-676, 28 avr. 2017, relatif à l’autoconsommation d’électricité et modifiant les articles D. 314-15 et D. 314-23 à D. 314-25 du Code de l’énergie (JO, 30 avr. 2017).
  • 13.
    V. « Chronique de droit de l’énergie (Juin 2016-Juin 2017) », LPA 19 déc. 2017, n° 129w0, p. 5 et s., spéc. p. 14 et s., obs. Lamoureux M.
  • 14.
    L. n° 2017-227, 24 févr. 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-2019 du 27 juill. 2016 relative à l’autoconsommation et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables (JO, 25 févr. 2017).
  • 15.
    La délibération rappelle ainsi que, d’après les chiffres diffusés par Enedis, ce gestionnaire de réseaux comptabilisait, fin 2017, environ 20 000 autoconsommateurs.
  • 16.
    p. 1.
  • 17.
    Délib. du 15 févr. 2018 portant orientations et recommandations sur l’autoconsommation.
  • 18.
    Étant rappelé que l’autoconsommation individuelle est définie par l’article L. 315-1 du Code de l’énergie comme « le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation », tandis que l’autoconsommation collective vise, selon l’article suivant, le cas dans lequel « la fourniture d’électricité (est) effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage sont situés en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne et basse tension ».
  • 19.
    D. n° 2010-1510, 9 déc. 2010 suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil (JO, 10 déc. 2010).
  • 20.
    D. n° 2010-1510, 9 déc. 2010, art. 5.
  • 21.
    CE, ord., 28 janv. 2011, n° 344973, Sté Ciel et Terres et a. ; CE, 16 nov. 2011, n° 344972, Sté Ciel et Terres et a. : Lebon T. 2011, p. 746 ; JCP A 2012, 2149, note Pauliat H.
  • 22.
    CE, 25 sept. 2015, n° 376431, Sté Planet Bloo : AJDA 2016, p. 450, note Minet-Leleu A. ; Énergie - Env. - Infrastr. 2015, comm. 88, note Le Baut-Ferrarese B.
  • 23.
    Pour une étude plus exhaustive de la jurisprudence judiciaire en la matière, v. Lamoureux M., « Le contentieux civil du moratoire sur la filière solaire, Un état des lieux de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la responsabilité d’ERDF (devenue Enedis) », Énergie - Env. - Infrastr. 2018, étude 13.
  • 24.
    Cass. com., 9 juin 2015, nos 14-15074, 14-15123 et 14-15592, PB : Énergie - Env. - Infrastr. 2015, comm. 78, note Guérin M. ; LPA 23 nov. 2016, n° 120d4, p. 5, obs. Lamoureux M.
  • 25.
    V. en particulier Cass. com., 24 juin 2014, n° 13-17843, PB ; Cass. com., 7 juill. 2015, n° 14-17397 ; Cass. com., 15 sept. 2015, n° 14-17399.
  • 26.
    Il importe peu, en effet, que le contrat d’achat ait ou non été définitivement conclu, l’applicabilité du moratoire s’agissant des demandes en cours ne reposant pas sur ce critère. Quant au tarif d’achat, c’est bien la date de la demande complète de raccordement au réseau qui détermine ce tarif, conformément aux prévisions de l’arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil, jugé applicable en la cause.
  • 27.
    CE, 7 févr. 2018, n° 399683, Sté ateliers de construction mécanique de Marigny, sera publié au recueil Lebon.
  • 28.
    V. CE, 28 mars 2018, n° 414986.
X