Chronique de droit du sport (janvier 2019 – février 2020) (1re partie)

Publié le 15/03/2021

La présente chronique couvre la période située entre les mois de janvier 2019 et février 2020.

I – Le cadre juridique du sport

A – Les législateurs du sport

Une nouvelle instance de gouvernance partagée du sport : l’Agence nationale du sport

Officiellement consacrée1, non sans quelque résistance2, par la loi n° 2019-812 du 1er août 2019, l’Agence nationale du sport (ANS) est constituée sous forme d’un groupement d’intérêt public3 ayant la personnalité morale de droit public ; et non comme on aurait pu s’y attendre sous statut d’un établissement public4.

L’ANS associe au sein de quatre collèges des représentants de l’État, du mouvement sportif5, des collectivités territoriales6 et des acteurs économiques et sociaux7.

Son organisation interne est sans réelle originalité puisqu’on y trouve au titre de la collégialité une assemblée générale et un conseil d’administration, qui profitent de l’assistance d’une direction générale et d’un président épaulant un bureau chargé de préparer les réunions des deux instances. Reste que la répartition des droits de vote de chacun des quatre collèges dans les instances obéit à une logique spécifique. En effet, quand une répartition plutôt égalitaire est arrêtée pour les décisions ordinaires : 30 % chacun pour les collèges « État », « mouvement sportif », « collectivités territoriales » et 10 % pour le collège « acteurs économiques et sociaux » ; une répartition différente est prévue notamment pour les décisions budgétaires et financières à l’égard desquelles l’État dispose de 60 % des droits de vote, tandis que les autres collèges se partagent le solde de 40 % au prorata de leurs droits statutaires.

L’ANS peut compter sur des ressources fiscales provenant principalement du produit de taxes auparavant affectées au Centre national pour le développement du sport (CNDS)8 telles que les prélèvements perçus sur les jeux, loteries et paris sportifs et la contribution sur la cession de droits audiovisuels9. Elle peut cela dit collecter tout type de ressources auprès de personnes morales de droit privé et ainsi passer des contrats de sponsoring ou des conventions de mécénat, comme recevoir des dons et des legs.

Si l’agence est représentée dans les régions, elle y possède des organes déconcentrés : « les conférences régionales du sport » constituées sous le même modèle de coopération. Elles doivent instituer en leur sein une ou plusieurs conférences des financeurs du sport et sont chargées d’établir un projet sportif local tenant compte de leurs spécificités territoriales. Chaque projet donne lieu à la conclusion de contrats pluriannuels d’orientation et de financement.

L’ANS est chargée de la mission « quasi-ministérielle » de développer « l’accès à la pratique sportive pour toutes et tous et de favoriser le sport de haut niveau et la haute performance sportive, en particulier dans les disciplines olympiques et paralympiques »10. Cette mission est exécutée dans le cadre de la stratégie définie par l’État dans une convention d’objectifs pluriannuelle d’une durée comprise entre 3 et 5 ans conclue entre l’Agence et l’État.

L’ANS veille à la cohérence entre les projets sportifs territoriaux et ceux des fédérations. Elle apporte son concours aux projets et aux acteurs, notamment les fédérations sportives, les collectivités territoriales et leurs groupements, contribuant au développement de l’accès au sport de tous les publics sur l’ensemble du territoire hexagonal et ultramarin, au sport de haut niveau et à la haute performance sportive. Elle doit précisément élaborer une stratégie nationale et internationale de mise en œuvre des objectifs nationaux concernant le haut niveau et la haute performance sportive, en particulier dans les disciplines olympiques et paralympiques. Elle doit accompagner financièrement et opérationnellement les fédérations, les équipes techniques et les athlètes dans le cadre de ces objectifs stratégiques. Surtout, elle doit produire des connaissances à forte valeur ajoutée dans les domaines de la performance et de l’intelligence sportives.

Les missions de l’ANS ne sont rien d’autre que les compétences dévolues au ministère des Sports qu’il peut ainsi déléguer à cette instance de gouvernance partagée et à ses organes déconcentrés. Le mouvement sportif y trouve un supplément d’autonomie et évidemment de responsabilités. Reste que si la création de l’ANS a conduit à une certaine mise en retrait du ministère qui a perdu quelques compétences11 et qui partage avec elle la construction et la mise en œuvre des politiques sportives nationales, il détient encore les cordons de la bourse et dispose de suffisamment de droits de vote dans l’Agence pour que son rôle soit considéré. Plutôt qu’amoindri12, le rôle du ministère s’est en réalité recentré sur des missions essentielles de coordination, de règlementation et de contrôle.

Tenue de publier un rapport annuel d’activités, l’ANS est en outre soumise au contrôle de l’Agence française anticorruption, à celui d’un commissaire du gouvernement et au contrôle économique et financier de l’État. Elle doit aussi supporter un certain regard du pouvoir législatif puisque son conseil d’administration comprend parmi ses membres deux députés et deux sénateurs, disposant chacun d’une voix consultative et que son président et son directeur général doivent présenter chaque année le rapport d’activité de celle-ci devant les commissions permanentes chargées des affaires culturelles et des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’action de l’ANS est encore évaluée annuellement de manière indépendante et le sera globalement après la tenue de jeux de Paris 2024 afin que les membres puissent confirmer le bien-fondé du GIP et de ce nouveau modèle sportif français.

Outre la disparition du CNDS et du Conseil national du sport13, la création de l’ANS s’est accompagnée d’une restructuration très profonde de l’administration ministérielle. En effet, il existait, jusqu’en octobre 2019, une inspection générale de la jeunesse et des sports, placée sous l’autorité directe du ministre de la Jeunesse et des Sports. Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2019-1001 du 27 septembre 2019, cette inspection générale spécialisée a été absorbée dans une inspection générale interministérielle : l’inspection générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche qui prend donc le relais de l’inspection générale de l’Éducation nationale, de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, de l’Inspection générale de la Jeunesse et des Sports et de l’inspection générale des bibliothèques. Placée sous l’autorité directe mais conjointe des ministres chargés de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de la Jeunesse et des Sports, cette nouvelle institution dispose des compétences jusqu’alors dévolues aux inspections générales de ces différents ministères.

Jean-Michel MARMAYOU

B – Les lois du sport

1 – Légalité des décisions des fédérations

Pas de QPC pour le Salary Cap et les organes de contrôle de gestion du rugby français

CE, 11 déc. 2019, n° 434826, Sté Montpellier Hérault Rugby Club. Conformément aux dispositions des articles L. 131-16 et L. 132-2 du Code du sport, la Ligue nationale de rugby (LNR) a mis en place une règlementation fixant un montant maximal que la masse salariale de chaque club participant à un championnat professionnel ne peut dépasser14. Ce plafond, accompagné de sanctions, communément appelé Salary Cap, était vivement critiqué par certains clubs au point que l’un d’entre eux, le Montpellier Hérault Rugby Club, en a demandé l’abrogation au comité directeur de la LNR. Le refus de l’instance dirigeante du rugby professionnel français est à l’origine du recours pour excès de pouvoir formé par le club héraultais devant le Conseil d’État. Le club a demandé au juge du Palais-Royal de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 131-16 et L. 132-2 du Code du sport. En particulier, il invoquait une atteinte injustifiée à la liberté d’entreprendre, à la liberté d’association et à la liberté contractuelle en ce sens que les dispositions contestées instaurent un dispositif de contrôle et de sanction du plafonnement maximal de la rémunération des sportifs.

Dans son arrêt rendu le 11 décembre 2019, le Conseil d’État a refusé de renvoyer la QPC aux motifs que la question ne présentait pas un caractère sérieux et que les dispositions de l’article L. 131-16 du Code du sport, relatives au Salary Cap, et celles de l’article L. 132-2 du Code du sport, relatives aux prérogatives des organes de contrôle de gestion des clubs, étaient justifiées par des motifs d’intérêt général15. Pour les premières, le juge administratif considère que le dispositif mis en place par la LNR ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, à la liberté d’entreprendre et à la liberté d’association en matière sportive. Pour les secondes, il en va de même dans la mesure où elles définissent l’étendue et la nature des pouvoirs confiés à ces organes. Elles sont d’ailleurs assorties de garanties considérées comme suffisantes par le juge.

Au-delà de refuser de transmettre la QPC, les magistrats du Palais-Royal justifient la mise en place du Salary Cap et des organes de contrôle de gestion des clubs dans le rugby français par un motif d’intérêt général et les valident constitutionnellement. Se faisant le porte-voix de leurs homologues de Montpensier, ils reconnaissent la justification des dispositions par un double impératif : celui de garantir l’équité sportive des championnats et celui d’assurer la stabilité et la bonne situation financière des clubs. Il aurait été sans doute préférable de justifier ces dispositions, en particulier l’article L. 132-2 du Code du sport, à l’aune du déroulement loyal des compétitions dans la mesure où la garantie de « l’équité sportive » avait conduit par le passé le Conseil d’État à rendre une décision contestable16.

Même si le raisonnement du juge administratif a de quoi convaincre, une certaine retenue doit être observée notamment sur la validité définitive du système de Salary Cap. En effet, la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 131-16 du Code du sport, selon lesquelles les règlements fédéraux « peuvent contenir des dispositions relatives (…) au montant maximal, relatif ou absolu, de la somme des rémunérations versées aux sportifs par chaque société ou association sportive », résulte d’une appréciation du Conseil d’État qui dépasse ici sa fonction de filtre en matière de QPC. Par ailleurs, dans un passé pas si lointain, le juge du Palais-Royal répétait inexorablement que l’ancienne procédure d’auto-saisine devant l’Agence française de lutte contre le dopage n’était pas inconstitutionnelle17, avant de revenir sur sa position et de transmettre in fine une QPC au Conseil constitutionnel18. Enfin, d’autres recours sont envisageables contre le dispositif du Salary Cap. Le requérant n’est visiblement pas le seul club de rugby français à contester la légitimité de cette règlementation19.

Romain BOUNIOL

Le dispositif du JIFF de la Ligue nationale de rugby sous le prisme de la libre circulation

CE, 1er avr. 2019, n° 419623. À compter de la saison 2010-2011, la Ligue nationale de rugby (LNR) a mis en place une règlementation imposant à chaque club participant à un championnat professionnel de compter dans son effectif un nombre minimum de joueurs issus des filières de formation (JIFF). Il s’agit des joueurs qui ont passé au moins 3 saisons – consécutives ou non – au sein d’un centre de formation agréé d’un club de rugby ou qui ont été licenciés (et ont évolué de manière effective) pendant au moins 5 saisons – consécutives ou non – à la Fédération française de rugby (FFR)20. En février 2018, la LNR a augmenté le nombre de joueurs issus des filières de formation exigé sur les feuilles de match. Cette décision a donné naissance à un contentieux initié par un joueur d’origine sud-africaine ne disposant pas du statut de JIFF mais employé par plusieurs clubs français depuis 2008. Considérant que la décision de la LNR était à l’origine de son départ du club de Clermont Auvergne et qu’elle avait, en outre, sensiblement restreint la possibilité pour les autres clubs de le recruter, il a saisi le juge administratif dénonçant l’illicéité du système du JIFF au regard du principe de la libre circulation des travailleurs sur le territoire de l’Union européenne21.

Dans son arrêt rendu sur le fond de l’affaire le 1er avril 2019, le Conseil d’État a tout d’abord considéré que les règles relatives aux JIFF n’ont introduit aucune discrimination directement fondée sur la nationalité dans la mesure où elles sont indistinctement applicables, quelle que soit la nationalité des joueurs22. Ensuite, il a reconnu que le dispositif du JIFF poursuit des objectifs de formation et de promotion des jeunes rugbymen et se trouve donc justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général. La haute juridiction a également vérifié que les normes litigieuses sont effectivement proportionnées aux finalités qui leur sont assignées, c’est-à-dire que les mesures prescrites ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les satisfaire. Concrètement, le juge a considéré que les seuils fixés pour les joueurs non issus des filières de formation et pour ceux disposant du statut de JIFF ne sont pas excessifs au regard de la volonté de la LNR d’inciter les clubs à former leurs joueurs et les faire bénéficier d’une situation privilégiée au sein de leur effectif. Finalement, le Conseil d’État a reconnu la validité du règlement de la LNR, comme il l’avait déjà fait au sujet de la règlementation de la Ligue nationale de volley-ball23.

À notre point de vue, il n’est pas concevable de déduire une position de principe des arrêts du Conseil d’État car la reconnaissance de la validité des règlements concernés est liée à une analyse casuistique qui s’est révélée positive mais qui pourrait tout aussi bien être défavorable dès lors que les ligues décideraient d’accroître les contraintes pesant sur les clubs. De même, une telle analyse s’oppose à la transposition à d’autres sports des solutions retenues pour le volley-ball et le rugby en raison, notamment, du fait que le juge s’est fondé sur des éléments spécifiques à la discipline en cause, comme par exemple le nombre limité de pays où le rugby est pratiqué24.

Enfin, le Conseil d’État a estimé inutile la saisine de la CJUE d’une question préjudicielle. Pour notre part, nous considérons que l’intervention du juge européen serait au contraire tout à fait opportune dans la mesure où il s’agit d’une question d’interprétation de l’article 45 du TFUE sur laquelle son analyse ne serait pas, loin s’en faut, superflue.

Fabrice RIZZO

Les ligues sportives calédoniennes agréées sous contrôle de la juridiction administrative

CE, 9 oct. 2019, n° 421367. La juridiction administrative est-elle compétente pour connaître de la légalité des sanctions disciplinaires prononcées par les ligues sportives agréées par le gouvernement calédonien ? C’est à cette question que le Conseil d’État a répondu pour la première fois le 9 octobre 2019 à propos d’une sanction infligée par la Fédération calédonienne de football à un entraîneur-dirigeant d’un club de futsal le 27 octobre 2015. Il y a répondu positivement.

La réponse était moins évidente que ce l’on pourrait penser de prime abord. La Fédération calédonienne de football n’est ni une fédération délégataire, au sens du Code du sport25, dont les sanctions disciplinaires constituent en principe des actes administratifs unilatéraux26, ni un organe local d’une telle fédération (comme une ligue régionale de football), pouvant être regardé comme agissant lui-aussi par délégation du ministre chargé des Sports et ainsi voir ses actes qualifiés de la même façon27. Elle est, dans l’ordre sportif, une « association nationale » membre depuis 2004 de la Fédération internationale de football association (FIFA), au même titre que la Fédération française de football (FFF). Elle est, dans l’ordre étatique, une ligue sportive néo-calédonienne soumise, non au Code du sport, mais à la délibération n° 251 du 16 octobre 2001 relative au sport en Nouvelle-Calédonie adoptée par son Congrès. Le sport est en effet une compétence que l’État a largement transférée à la Nouvelle-Calédonie28.

Toute la question était donc de savoir si le droit calédonien du sport contenait les éléments nécessaires à la compétence de la juridiction administrative pour connaître des sanctions disciplinaires sportives. D’une manière générale, pour qu’une décision individuelle émanant d’une personne privée mérite cette qualification, il faut, selon une jurisprudence constante, que cette personne soit chargée de l’exécution d’une mission de service public administratif et que sa décision procède de l’usage de prérogatives de puissance publique qui lui ont, le cas échéant, été confiées pour l’accomplissement de cette mission29. À s’en tenir au vocabulaire utilisé par la délibération de 2001 relative au sport en Nouvelle-Calédonie, il pouvait a priori être permis de douter que la Fédération calédonienne de football entre dans ce cadre jurisprudentiel. Le texte ne mentionne qu’un « agrément » des ligues sportives et non une quelconque délégation à leur profit30. Or le Conseil d’État juge que les sanctions disciplinaires prononcées par des fédérations simplement agréées, au sens du Code du sport, constituent des actes de droit privé relevant de la compétence de la juridiction judiciaire31.

Derrière les mots se cache toutefois une réalité juridique bien différente. Selon la rapporteure publique, dont les conclusions sont d’autant plus éclairantes que l’arrêt est implicite sur la question de la compétence, l’agrément calédonien est « équivalent en dépit de son appellation à la délégation prévue par le droit métropolitain. De cet agrément résulte en effet un monopole (art. 14) pour l’organisation des compétitions sportives à l’issue desquelles sont délivrées les titres de « champion de Nouvelle-Calédonie »32. Cela a assurément été décisif. Si le Conseil d’État refuse de reconnaître la compétence de la juridiction administrative pour connaître des sanctions disciplinaires des fédérations sportives françaises simplement agréées, ce n’est pas tellement parce qu’elles ne seraient pas suffisamment associées à l’exécution d’un service public. C’est avant tout parce que l’agrément ne leur conférant aucun monopole (à la différence de la délégation du ministre chargé des Sports), les sanctions qu’elles édictent relèvent du pouvoir disciplinaire inhérent à toute association et en aucun cas de l’exercice d’une prérogative de puissance publique33. Dès lors qu’une seule ligue par discipline sportive peut être agréée par le gouvernement calédonien pour exercer des missions matériellement proches de celles qu’exercent les fédérations sportives ayant reçu délégation du ministre chargé des Sports, il était effectivement justifié, du point de vue de la nature de leurs actes, de les assimiler à celles-ci, de préférence à des fédérations françaises simplement agréées.

Il n’en reste pas moins que si toutes les ligues sportives calédoniennes agréées ont donc vocation à voir leurs sanctions disciplinaires qualifiées d’actes administratifs unilatéraux, toutes les sanctions qu’elles sont susceptibles d’édicter ne méritent pas pour autant nécessairement de recevoir cette qualification. Encore faut-il que la sanction présente un lien avec une mission « monopolistique » de service public. Sur ce point, les conclusions sur l’arrêt commenté contiennent des développements dont l’intérêt dépasse le cas des ligues sportives calédoniennes. Plutôt que de s’attacher aux faits fondant la sanction, il y est suggéré de se référer à la portée de la sanction prononcée. En application de ce critère, une sanction se rapportant seulement à la vie de l’association, à l’image d’une interdiction d’exercer une fonction au sein du bureau d’une fédération délégataire ou d’une ligue agréée, ne relèverait ainsi jamais de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le comportement réprimé.

En l’espèce, cela n’avait guère d’importance : les faits reprochés (agissements brutaux à l’encontre d’un arbitre et falsification d’un document officiel) avaient été commis à l’occasion d’un match relevant de la mission d’organisation des compétitions de la Fédération calédonienne de football et la sanction prononcée avait notamment pour effet de lui interdire de participer à l’avenir à ces compétitions en tant qu’entraîneur ou dirigeant de club (radiation à vie de toutes fonctions officielles, interdiction de stade pendant 5 ans et interdiction de vestiaires des arbitres et de banc de touche à vie). Une telle sanction est-elle proportionnée à la faute commise ? C’est ce que devra juger la cour administrative d’appel de Paris après que le Conseil d’État a annulé son arrêt au motif qu’elle avait fait une inexacte interprétation de la décision attaquée. Contrairement à ce qu’avait estimé la cour, la sanction ne reposait pas sur des faits matériellement erronés dans la mesure où cette sanction ne faisait pas référence à une quelconque situation de récidive, mais seulement à la circonstance que l’intéressé avait déjà fait l’objet dans le passé d’une procédure disciplinaire pour des faits similaires. Ce n’est pas la même chose.

Mathieu MAISONNEUVE

2 – Concours de normes

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Sports, association sportive

C – La justice du sport

1 – Droit disciplinaire

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2 – Arbitrage : Tribunal arbitral du sport

Les athlètes intersexuées, le « sexe sportif » et la lex sportiva

TAS, 30 avr. 2019, nos 2018/O/5794 et 2018/O/5798, Mokgadi Caster Semenya & Athletics South Africa c/ International Association of Athletics Federations (IAAF). Madame Caster Semenya, double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, n’a pas participé aux Mondiaux d’athlétisme de Doha à l’automne 2019. Elle en a été empêchée par l’entrée en vigueur, le 8 mai, du règlement « régissant la qualification dans la catégorie féminine (pour les athlètes présentant des différences du développement sexuel) » édicté par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF, devenue depuis World Athletics) et validé par le Tribunal arbitral du sport (TAS) le 30 avril.

Selon ce règlement, pour pouvoir participer en compétition internationale aux épreuves féminines allant du 400 mètres au mile, les athlètes intersexuées ayant un génotype 46XY qui, en conséquence, présentent un taux de testostérone supérieur à 5 nanomoles par litre de sang, doivent, sauf à ce qu’elles n’aient pas une sensibilité suffisante aux androgènes, non seulement être de sexe légal féminin ou neutre, mais aussi abaisser leur taux sanguin de testostérone en dessous d’un seuil autorisé pendant une période ininterrompue d’au moins 6 mois puis le maintenir ensuite constamment sous ce seuil. Caster Semenya a refusé de suivre un traitement hormonal sous la forme de pilules contraceptives qui aurait pu lui permettre de remplir cette condition.

Qu’une femme ne puisse pas concourir avec les autres femmes, en raison de certaines de ses caractéristiques biologiques naturelles, peut légitimement choquer. Ainsi que la formation arbitrale l’a rappelé, Caster Semenya « est une femme. À la naissance, il a été décidé qu’elle était de sexe féminin, donc elle est née femme. Elle a été élevée en tant que femme. Elle a vécu en tant que femme. Elle a couru en tant que femme. Elle est – et a toujours été – reconnue en droit comme étant une femme et a toujours été identifiée comme étant une femme »34. Le règlement litigieux heurte-t-il pour autant le droit ? Indépendamment de toutes les sévères critiques dont ce règlement peut faire l’objet de bien des points de vue, la stricte question de son illégalité méritait à tout le moins discussion. Une censure était possible. Une validation a été préférée par le TAS. Aux termes de la sentence rendue, le règlement contesté « est discriminatoire mais (…), sur la base des preuves soumises à la formation, une telle discrimination constitue un moyen nécessaire, raisonnable et proportionné d’atteindre l’objectif de ce qui est décrit comme l’intégrité de l’athlétisme féminin et la préservation de la “catégorie protégée” des athlètes féminines dans certaines épreuves »35.

À la lecture de cette sentence longue de 163 pages, le sentiment qui prédomine est que la formation arbitrale a fait preuve de retenue : tout d’abord au stade du test de nécessité ; ensuite au stade du contrôle de proportionnalité.

S’agissant de la nécessité de la discrimination instituée, une fois admis que le principe de la bicatégorisation sexuée des compétitions d’athlétisme, qui n’était pas ici remis en question, visait, dans une logique typiquement sportive, à « éviter aux individus dont les corps se sont développés d’une certaine façon après la puberté d’avoir à concourir contre des individus qui, du fait que leurs corps se sont développés d’une façon différente après la puberté, possèdent certains traits physiques leur donnant un avantage compétitif si significatif que toute compétition juste entre les deux groupes ne serait pas possible »36, toute la question était de savoir si les athlètes intersexuées concernées par le règlement de l’IAAF disposaient d’un tel avantage sur les autres femmes athlètes. Si oui, il était nécessaire d’encadrer leur droit à concourir pour atteindre l’objectif légitime d’assurer une concurrence loyale dans la catégorie des compétitions d’athlétisme. Si non, ce n’était pas nécessaire.

La réponse à cette question était avant tout scientifique. Pour se décharger du fardeau de la preuve pesant sur elle, l’IAAF s’appuyait principalement sur deux études : l’une scientifique proprement dite37, l’autre simplement observationnelle38. Cela a suffi à convaincre les arbitres. Compte tenu du nombre réduit d’études produites et des réserves dont elles ont fait l’objet de la part de certains experts, tout semble ainsi indiquer que c’est à l’aune du standard de preuve le moins exigeant de la Common Law – celui dit de la prépondérance des probabilités (balance of probabilities) – que la formation arbitrale a fait le choix de juger de la nécessité de la mesure. Elle s’est montrée d’autant plus accueillante que, à supposer même que l’on accepte comme probantes ces études, l’avantage compétitif qu’elles mettent en évidence au profit des athlètes intersexuées par rapport aux autres femmes est sans commune mesure avec celui dont disposerait les hommes. Caster Semenya par exemple, qui est pourtant la quatrième meilleure performeuse mondiale de tous les temps sur 800 mètres dans la catégorie féminine (1 min 54 s 25), serait ainsi très loin d’atteindre ne serait-ce que les minimas fixés par l’IAAF pour se qualifier aux Jeux olympiques de Tokyo 2020 (ou 2021) sur cette distance dans la catégorie masculine (1 min 45 s 20).

Il y a en revanche une autre question scientifique qui semblait moins faire débat parmi les experts. C’était celle de savoir ce qui pouvait expliquer l’avantage compétitif dont disposeraient les hommes par rapport aux femmes. La formation arbitrale s’est en effet fondée sur une opinion émise par 42 experts internationaux en science et en médecine du sport pour considérer que « la testostérone était le principal facteur de l’avantage physique et, dès lors, de la différence sexuelle dans les performances sportives, entre les hommes et les femmes »39. Si cela est bien exact, et en adoptant la logique sportive de la bicatégorisation sexuée des compétitions, l’IAAF devait alors nécessairement prendre en considération, pour déterminer les conditions de participation aux compétitions féminines, le cas des athlètes intersexuées, lesquelles sont a priori les seules femmes dont l’hyperandrogénie serait de nature à améliorer significativement leurs performances. En outre, dès lors que la différence de taux de testostérone est a priori la principale différence naturelle expliquant la différence entre les femmes et les hommes en sport, il était raisonnable de ne pas prendre en considération d’autres différences naturelles. Que la testostérone ne constitue pas le seul facteur naturel déterminant le succès athlétique ne fait pas de doute. La taille d’un athlète et/ou son type de fibres musculaires sont des exemples de caractéristiques innées susceptibles de l’avantager, de manière variable selon les disciplines sportives, par rapport à ses concurrents. La question n’était toutefois pas de savoir, en poussant la logique de la bicatégorisation sexuée des compétitions jusqu’à l’absurde, s’il ne faudrait pas créer des sous-catégories biologiques au sein des catégories féminines et masculines. Elle était de savoir quel élément biologique prendre en considération pour déterminer, en plus du sexe légal, le « sexe sportif » d’un athlète.

S’agissant de la proportionnalité de la discrimination instituée, son champ d’application matérielle pouvait interpeller. Il était en effet troublant que l’IAAF ait, d’un côté, fait le choix d’inclure certaines épreuves (le 1 500 mètres et le mile) en se fondant sur des preuves que la formation qualifie de « spéculatives »40 ou de « lacunaires »41 et, d’un autre côté, décidé de ne pas inclure d’autres épreuves (le lancer de marteau et le saut à la perche) pour lesquelles elle disposait d’éléments plus solides prouvant un avantage compétitif supérieur à celui dont jouiraient les athlètes intersexuées sur le 400 et le 800 mètres : respectivement 4,53 % et 2,94 % contre 2,73 % et 1,78 %42. De là à conclure que la logique ayant présidé à la constitution de la liste s’expliquerait moins par des éléments objectifs que par une volonté de cibler les épreuves où Caster Semenya est susceptible d’exceller, il n’y a qu’un pas, pas si éloigné du détournement de pouvoir ou de l’abus de droit, que la majorité de la formation arbitrale a refusé de franchir et même de suggérer.

À cette délimitation contestable de l’étendue matérielle de l’atteinte au droit des athlètes intersexuées de participer à des compétitions d’athlétisme s’ajoutaient bien sûr d’autres éléments qui auraient pu faire pencher la balance du côté de la disproportion de la mesure, tels que la potentielle obligation pesant sur les athlètes concernées de se soumettre à des examens de virilisation, pour vérifier leur sensibilité aux androgènes, que la formation arbitrale qualifie elle-même de « gênant »43 ; l’inévitable publicité donnée à leur statut biologique ; la contrainte de suivre, à leurs frais, un traitement médicamenteux sans que leur santé ne l’exige et sans que des effets secondaires puissent être totalement exclus ; le fait de devoir supporter le coût de la preuve médicale que leur taux de testostérone se situe bien de manière continue en-dessous du seuil autorisé ; ou bien encore le risque que certaines athlètes se voient « incitées » par leur entourage à subir des interventions chirurgicales de nature à éviter toute violation du règlement. Ces atteintes aux droits individuels des athlètes intersexuées n’ont pas pesé suffisamment lourd face à l’intérêt de préserver la loyauté des compétitions féminines d’athlétisme avec lequel la formation arbitrale les a mises en balance. Il n’y avait peut-être pas de disproportion manifeste. Il y avait toutefois une proportionnalité qui aurait pu être appréciée plus strictement.

Caster Semenya a introduit un recours en annulation de la sentence rendue devant le Tribunal fédéral suisse au motif qu’elle violerait l’ordre public44. Si l’on en juge par la motivation de l’ordonnance qu’a rendue la présidente du tribunal le 29 juillet 2019 sur la requête de Caster Semenya visant à l’octroi de mesures provisionnelles, ses chances de succès ne sont pas loin d’être nulles ici. Il lui restera alors, éventuellement, la Cour européenne des droits de l’Homme.

Mathieu MAISONNEUVE

3 – Arbitrage : chambre arbitrale du sport

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4 – Justice publique

La commission d’arbitrage de la Fédération turque de football n’est pas un tribunal indépendant et impartial

CEDH, 28 janv. 2020, nos 30226/10, 17880/11, 17887/11, 17891/11 et 5506/16, Ali Riza et a. c/ Turquie. À la différence du Tribunal arbitral du sport45, la commission d’arbitrage de la Fédération turque de football (TFF) n’est pas, selon la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6, § 1, de la convention EDH. L’arrêt Ali Riza et a. c/ Turquie qu’elle a rendu le 20 janvier 2020 à ce sujet n’est pas une surprise : d’abord parce qu’il ne faisait guère de doutes que cette commission devait offrir toutes les garanties du droit au procès équitable ; ensuite parce qu’il était à peine plus douteux qu’elle n’offrait pas de garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité.

1. S’agissant de la pleine applicabilité de l’article 6, § 1, de la convention EDH, il était clair que le recours à la commission d’arbitrage de la TFF, à supposer même qu’il s’agisse bien d’arbitrage, constituait à tout le moins un arbitrage forcé. Il ne s’agissait pas ici d’un arbitrage volontaire, comme l’est généralement l’arbitrage commercial. Il ne s’agissait pas non plus d’un arbitrage « seulement » imposé par un pouvoir privé, à l’image de l’arbitrage du TAS imposé par le Comité international olympique (CIO) ou les fédérations internationales. Il s’agissait tout simplement d’un arbitrage rendu obligatoire, non seulement par les règles de la TFF, mais aussi par la loi46, laquelle peut même depuis 2011 s’appuyer sur la Constitution47. Or selon la jurisprudence de la CEDH, de tels arbitrages doivent satisfaire à toutes les prescriptions du droit au procès équitable48, ce qu’elle confirme ici49. C’est d’autant plus vrai que les décisions de la commission d’arbitrage de la TFF ne sont susceptibles d’aucun recours et qu’il est donc exclu que le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction, respectant, lui, l’article 6, § 1, permette de remédier à d’éventuelles insuffisances préalables.

À l’époque des faits sur la base desquels la Cour s’est prononcée, les litiges contractuels du football, notamment entre clubs et joueurs, entraient dans le champ de la compétence législative obligatoire de la commission d’arbitrage de la TFF. C’était d’ailleurs un litige de ce type qui était à l’origine de la requête de M. Riza devant la CEDH. Ce n’était en revanche pas le cas avant 2007, ce qui explique que la Cour ait pu considérer, dans sa décision Kolgu c/ Turquie50, que la procédure devant cette même commission d’arbitrage relevait de l’arbitrage volontaire. Ce n’est de nouveau plus le cas depuis que, le 18 janvier 2018, la Cour constitutionnelle de Turquie a censuré la disposition législative imposant le recours à l’arbitrage pour le règlement des litiges contractuels du football51, et que la TFF en a tiré les conséquences en modifiant ses statuts et règlements en juin 2019. En théorie, la commission d’arbitrage de la TFF n’a donc plus à parfaitement respecter l’article 6, § 1, de la Convention EDH pour les litiges contractuels. En pratique, à supposer que ce soit concrètement réalisable, il serait pour le moins inopportun que l’indépendance et l’impartialité de la commission soit renforcée, comme l’a ordonné la Cour à la Turquie, pour les seuls litiges relevant de l’arbitrage forcé.

Pour que l’article 6, § 1, de la convention EDH s’applique, il faut aussi que le tribunal ait à décider à propos de « constations sur des droits et obligations de caractère civil » ou « du bien fondé de toute accusation en matière pénale ». En l’espèce, les litiges tranchés par la commission d’arbitrage de la TFF dans les affaires portées devant la Cour par M. Ali Riza (n° 30226/10) et par M. Serkan Akal (n° 5506/16) entraient assurément dans la première catégorie52. Le litige opposant M. Riza, un footballeur professionnel, à son ancien club employeur portait sur les conséquences pécuniaires de la rupture du contrat les liant. Le litige concernant Serkan Akal, alors arbitre assistant professionnel de la catégorie « top niveau », portait sur la légalité de la décision de la rétrograder dans la catégorie niveau « provincial ». Cela avait bien sûr des conséquences sur sa carrière d’arbitre assistant, mais aussi sur ses revenus. En revanche, les litiges concernant MM. Arslan (n° 17880/11), Serin (n° 17887/11) et Berber (n° 17891/11) ne relevaient matériellement ni de l’une ni de l’autre des deux catégories de litiges mentionnées à l’article 6, § 1, de la convention EDH53. Ces trois requérants avaient été sanctionnés disciplinairement d’1 an de suspension pour avoir influencé le résultat d’un match. Pour la Cour, les faits qui leur étaient reprochés ne constituaient pas une accusation en matière pénale, dans la mesure où, en tout cas au moment des faits, il s’agissait uniquement d’une infraction disciplinaire pour comportement antisportif punissable au maximum de 3 ans de suspension. Toujours selon la Cour, il ne s’agissait pas non plus d’une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil, au motif que les personnes sanctionnées étaient des footballeurs amateurs et que l’exercice de leur profession n’était pas en jeu. Tout au plus aurait-il pu en aller différemment si, bien qu’amateurs au regard des règles de la TFF, ils avaient réussi à prouver qu’ils percevaient quand même une rémunération allant au-delà du simple remboursement de frais.

2. S’agissant de l’insuffisance des garanties d’indépendance et d’impartialité offertes par la commission d’arbitrage de la TFF, la Cour a suivi un raisonnement en deux temps. Dans un premier temps, elle s’est interrogée sur les liens structurels unissant le comité directeur de la TFF à la commission d’arbitrage. Elle n’a alors pu que constater qu’ils étaient « forts »54. Si la Cour a estimé que le fait que les 9 membres (en incluant son président) de cette commission soient discrétionnairement nommés par le comité directeur sur proposition de son président n’était pas un problème en soi (pas plus que la fixation du montant de leur rémunération et du remboursement de leurs frais par ce même comité directeur), elle a en revanche considéré que l’alignement de la durée de leur mandat sur celui des membres et du président du comité directeur qui les a nommés, quand bien même il ne peut être mis fin à leurs fonctions en cours de mandat, était problématique. Elle note aussi un manque de mécanismes permettant d’assurer qu’ils exercent leurs fonctions avec le niveau requis d’indépendance. Les membres de la commission d’arbitrage, qui ne sont pas des juges professionnels, ne bénéficient d’aucune immunité juridictionnelle dans l’accomplissement de leurs fonctions. Ils ne sont pas liés par des règles professionnelles de conduite. Ils ne sont pas tenus de prêter serment ou de faire une déclaration solennelle avant de prendre leurs fonctions. Ils ne sont pas obligés de révéler, dans chaque cas, les circonstances qui pourraient affecter leur indépendance ou leur impartialité. Il n’existe pas de procédure spécifique de récusation, ni même un organe désigné pour statuer sur une telle demande.

Dans un deuxième temps, la Cour s’est demandée si l’influence structurelle que le comité directeur de la TFF était susceptible d’avoir sur la commission d’arbitrage avait pour conséquence que les membres de celle-ci ne pouvaient pas être regardés comme indépendants et impartiaux, que ce soit objectivement ou subjectivement, vis-à-vis des parties aux litiges. Pour les litiges de nature contractuelle, notamment ceux opposant un club à un joueur, elle a jugé que tel était bien le cas. Le congrès, qui élit les membres du comité directeur, est en majorité composé de représentants des clubs, et le comité directeur, qui nomme les membres de la commission d’arbitrage, est largement, si ce n’est exclusivement, composé d’anciens membres ou dirigeants de clubs55. Dès lors, selon la Cour, « le fait que les joueurs ne bénéficient pas du même niveau de représentation que les clubs peut être considéré comme faisant pencher la balance en faveur des clubs dans les procédures devant la commission d’arbitrage portant sur des litiges contractuels avec leurs joueurs »56. Pour les litiges de nature réglementaire, en tout cas pour celui auquel M. Akal était partie, le biais était sans doute encore plus fort57. La liste des arbitres (de terrains) est préparée par un organe de la TFF, la commission centrale des arbitres, sur laquelle le comité directeur a une considérable influence, et cette liste doit en outre être soumise à son approbation préalable. Le comité directeur de la TFF est ainsi directement intéressé par les litiges naissant de cette liste et l’influence qu’il a sur la commission d’arbitrage compétente pour les trancher en dernier ressort peut légitimement faire douter de son indépendance et de son impartialité.

Dans son arrêt Rizal et a. c/ Turquie, la Cour européenne des droits de l’Homme, tout en reprenant en substance le raisonnement qu’elle avait suivi dans son arrêt Mutu et Pechstein c/ Suisse, est donc parvenue à une conclusion différente.

Mathieu MAISONNEUVE

Le bénéfice d’un avantage social versé à un sportif ne peut pas être refusé en raison de sa nationalité

CJUE, 3e ch., 18 déc. 2019, n° C-447/18, UB c/ Generálny riaditel’ Sociálnej poist’ovne Bratislava. La situation des anciens sportifs tchécoslovaques est à l’origine d’une décision qui aura sans doute des conséquences sur les règlementations des fédérations sportives nationales. Grâce au recours déposé par un ancien champion de hockey sur glace, la Cour de justice a eu l’occasion de préciser le champ d’application en matière sportive du règlement européen relatif à la libre circulation des travailleurs du 5 avril 201158. En l’espèce, un ressortissant tchèque, ancien champion d’Europe et vice-champion du monde de hockey sur glace avec l’équipe nationale de la République socialiste tchécoslovaque, a demandé à bénéficier d’une allocation versée par l’État slovaque. En effet, en 2015, une loi slovaque est venue récompenser les sportifs de haut niveau médaillés lors des compétitions internationales dans lesquelles ils ont représenté la Slovaquie ou son prédécesseur en droit, la Tchécoslovaquie. Pour autant, elle subordonne le versement de cette allocation aux seuls citoyens de la République slovaque. Pour sa part, en 1992, l’ancien sportif tchécoslovaque a choisi la nationalité tchèque mais a continué à résider sur le territoire de la Slovaquie et à y travailler. Face au refus de l’assurance sociale de Bratislava de lui verser cette allocation, il a saisi la cour régionale de Košice en faisant valoir que la loi de 2015 avait un effet discriminatoire au regard du droit de l’Union européenne. Son recours a été rejeté. Dès lors, il a saisi la Cour suprême de la République slovaque. Elle a reconnu que le sportif a été traité différemment de ses coéquipiers de l’équipe nationale tchécoslovaque de hockey sur glace alors qu’il a contribué lui aussi aux résultats collectifs de l’équipe nationale. Elle a donc décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la conformité de la législation slovaque au droit unioniste.

Dans son arrêt rendu le 18 décembre 201959, le juge européen a examiné l’affaire sur un autre fondement que celui sur lequel il avait été interrogé. En effet, la Cour suprême de la République slovaque avait demandé à la Cour si la loi slovaque était conforme au règlement européen du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale. De son côté, la Cour de justice analyse si les dispositions nationales sont contraires au règlement du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs et en particulier son article 7, § 2, qui dispose que « [le travailleur ressortissant d’un État membre] bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ». Les juges de Luxembourg ont donc décidé de placer le litige sur le terrain de la liberté de circulation des travailleurs et de préciser le champ d’application du règlement européen de 2011.

À la lumière des dispositions de l’article 7, § 2, du règlement, ils ont qualifié le sportif de ressortissant étranger60 légitime à se prévaloir des dispositions du règlement. En conséquence, ce travailleur, ressortissant d’un autre État membre, doit bénéficier des mêmes avantages sociaux que les travailleurs slovaques.

En procédant ainsi, la Cour s’est offert tout le loisir de déterminer si l’allocation constituait un « avantage social » au sens du règlement. Tout d’abord, selon elle, « l’allocation en cause au principal a pour finalité de récompenser des athlètes de haut niveau ayant représenté l’État membre d’accueil, ou les prédécesseurs en droit de celui-ci, à des compétitions sportives internationales et remporté des résultats remarquables ». Ensuite, « cette allocation a pour effet non seulement d’apporter à ses bénéficiaires une sécurité financière visant, notamment, à compenser l’absence d’insertion pleine dans le marché du travail pendant les années consacrées à la pratique d’un sport à haut niveau, mais également et principalement de leur conférer un prestige social particulier en raison des résultats sportifs qu’ils ont remportés dans le contexte d’une telle représentation ». Enfin, « le fait, pour le travailleur migrant, de bénéficier de ce prestige, dont jouissent également les ressortissants de l’État membre d’accueil se trouvant dans la même situation, voire ayant remporté des médailles dans la même équipe lors de compétitions de sport collectif, est de nature à faciliter l’intégration desdits travailleurs migrants dans la société de cet État membre »61. Ainsi, la Cour a considéré que l’allocation prévue par la loi slovaque constituait bien un « avantage social » au sens de l’article 7, § 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du 5 avril 2011. Dès lors, l’État slovaque ne saurait refuser d’accorder cette allocation au sportif de nationalité tchèque.

La solution apportée par la Cour témoigne de la singularité de la situation dans laquelle s’est retrouvé l’ancien sportif tchécoslovaque. Néanmoins, elle a des effets au-delà des simples relations entre les sportifs tchèques et slovaques et des frontières entre les deux États. Les États membres ne doivent pas favoriser socialement et fiscalement leurs ressortissants pratiquant une activité sportive. Au regard des dispositions du règlement de 2011, ils sont dans l’obligation d’établir une égalité de traitement entre les sportifs de haut niveau. Il en va de même pour leurs fédérations sportives.

Romain BOUNIOL

(À suivre)

5 – Justice sportive

II – Les acteurs du sport

A – Les groupements sportifs

B – Le sportif

C – Les autres acteurs

III – L’activité sportive

A – Le théâtre de l’activité

B – Les compétitions et manifestations sportives

C – Les responsabilités

D – Les assurances

IV – Le financement du sport

A – Le financement public

B – Le financement privé

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sur cette réforme, v. dossier spécial « Nouvelle gouvernance du sport », Cah. dr. sport 2019, n° 50, p. 10 et s.
  • 2.
    La loi est intervenue plus de trois mois après la constitution de l’ANS sous forme de GIP (A. 20 avr. 2019, portant approbation de la convention constitutive du GIP dénommé « Agence nationale du sport » - NOR:SPOV1911890A). Elle a permis de rendre sans objet les recours en excès de pouvoir formés par l’Association professionnelle de l’inspection générale de la jeunesse et des sports et par le Syndicat national des inspecteurs généraux de la jeunesse et des sports (les référés suspension avaient, eux, été rejetés pour défaut d’urgence : CE, ord., 10 juill. 2019, n° 431408 : Cah. dr. sport 2019, n° 53, p. 12, note Miège C.). Adde Rémy D., « La création de l’Agence nationale du sport entérinée » : Dict. Permanent Droit du sport 2019, bull. actu. n° 270, p. 1.
  • 3.
    A. 20 avr., 2019.
  • 4.
    CE, avis, 6 juin 2019, n° 397803, avis sur un projet de loi portant ratification de l’ordonnance n° 2019-207 du 20 mars 2019 relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
  • 5.
    Comité national olympique et sportif français et Comité paralympique et sportif français.
  • 6.
    Association régions de France, Assemblée des départements de France, France urbaine, Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité.
  • 7.
    Mouvement des entreprises de France, Confédération des petites et moyennes entreprises, Union des entreprises de proximité, Union sport et cycles, CoSMoS.
  • 8.
    Le CNDS a donc été supprimé avec la création de l’ANS qui a repris ses compétences, biens, droits et obligations ainsi que ses fonds (D. n° 2019-346, 20 avr. 2019 et D. n° 2019-347, 20 avr. 2019).
  • 9.
    C. sport, art. L. 411-1 et C. sport, art. L. 411-2, ainsi que CGI, art. 1609 novovicies ; CGI, art. 1609 tricies ; L. n° 99-1172, 30 déc. 1999, art. 59 ; CGI, art. 302 bis ZE.
  • 10.
    C. sport, art. L. 112-10 et s.
  • 11.
    D. n° 2019-1394, 18 déc. 2019.
  • 12.
    Le rôle du ministère des Sports a été autrement plus impacté par le décret n° 2019-1394 du 18 décembre 2019 qui est venu réduire le nombre des décisions administratives individuelles prises par lui pour en confier la responsabilité aux préfets de région.
  • 13.
    D. n° 2019-346, 20 avr. 2019.
  • 14.
    Buy F., « Le rugby adopte le Salary Cap », Cah. dr. sport 2009, n° 15, p. 11.
  • 15.
    CE, 11 déc. 2019, n° 434826, Sté Montpellier Hérault Rugby Club : Jurisport 2020, n° 204, p. 8, note Lagarde F.
  • 16.
    CE, 19 juill. 2010, n° 325892 : LPA 12 avr. 2011, p. 11, note Rizzo F. ; Cah. dr. sport 2010, n° 21, p. 102, note Thomas V.
  • 17.
    CE, 2e/7e ch. réunies, 11 mars 2011, n° 341572 : Cah. dr. sport 2011, n° 24, p. 77, note Raschel E. – CE, 2e/7e ch. réunies, 9 nov. 2011, n° 341658 : AJDA 2011, p. 534 ; D. 2012, p. 704, obs. Centre de droit et d’économie du sport ; RFDA 2012, p. 455, chron. Labayle H., Sudre F., Dupré de Boulois X. et Milano L. ; JCP A 2012, 23, note Dudognon C. ; Cah. dr. sport 2011, n° 26, p. 148, note Colin F. ; p. 153, note Raschel E. – CE, 2e ss-sect., 8 févr. 2012, n° 350275 : Cah. dr. sport 2012, n° 28, p. 70, comm. Yvars M. – CE, ord., 25 août 2017, nos 413350 et n° 413353 : AJDA 2017, p. 2479, comm. Carius M. ; Cah. dr. sport 2017, n° 48, p. 109, note Colin F. et p. 118, note Peltier M.
  • 18.
    Cons. const., 2 févr. 2018, n° 2017-688 QPC : AJDA 2018, p. 251 ; D. 2018, p. 297 ; Dict. Permanent Droit du sport 2018, n° 253, p. 8, obs. Rémy D. ; LPA 20 juin 2018, n° 137e9, p. 6, obs. Brignon B. ; Cah. dr. sport 2018, n° 49, p. 164, comm. Belacel F.
  • 19.
    Selon le Conseil d’État, le Rugby Club toulonnais, qui est intervenu dans le cadre de l’action principale, doit être regardé comme justifiant d’un intérêt suffisant à l’annulation de la décision attaquée par la société Montpellier Hérault Rugby Club.
  • 20.
    À la suite, de certaines ligues professionnelles, dont la LNR, la loi n° 2012-158 du 1er février 2012 (codifiée à C. sport, art. L.131-16) a reconnu aux fédérations la faculté d’adopter des règlements contraignant les clubs à recruter des joueurs formés localement.
  • 21.
    Saisi en référé, le Conseil d’État a rejeté sa requête pour défaut d’urgence (CE, ord. réf., 30 mai 2018, n° 419624 : Dict. Permanent Droit du sport 2018, bull. n° 257, p. 1, obs. Rémy D.). Il faut noter que le joueur a également porté plainte devant la Commission européenne.
  • 22.
    CE, 1er avr. 2019, n° 419623 : Cah. dr. sport 2019, n° 52, p. 141, note Rizzo F., p. 144, note Bouniol R. et p. 149, note Miège C. ; Dict. Permanent Droit du sport 2019, bull. n° 266, p. 7, obs. Rémy D.
  • 23.
    CE, 8 mars 2012, n° 343273 : LPA 10 juin 2013, p. 10, obs. Rabu G. ; Jurisport 2012, n° 124, p. 24, note Collomb P. ; RLDA 2012/75, n° 4286, note Bouniol R. ; Cah. dr. sport 2012, n° 27, p. 151, note Le Reste S.
  • 24.
    Rémy D., obs. sous CE, 1er avr. 2019, n° 419623 : Dict. Permanent Droit du sport 2019, bull. n° 266, p. 7.
  • 25.
    C. sport, art. L. 131-14 et s.
  • 26.
    CE, sect., 26 nov. 1976, n° 95262, Fédération française de cyclisme : Lebon, p. 513. Ainsi que T. confl., 7 juill. 1980, n° 02158, Peschaud : Lebon, p. 510 et CE, sect., 19 déc. 1980, n° 113202, Hechter : Lebon, p. 488. V. toutefois CE, 19 mars 2010, n° 318549, Chotard.
  • 27.
    V., par ex., CE, 26 sept. 2007, n° 285275, Assoc. sportive maximoise : Lebon T., p. 769.
  • 28.
    Selon l’article 22 de la loi n° 99-209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, « La Nouvelle-Calédonie est compétente dans les matières suivantes : (…) 29° Réglementation des activités sportives et socio-éducatives ; infrastructures et manifestations sportives et culturelles intéressant la Nouvelle-Calédonie. »
  • 29.
    CE, ass., 31 juill. 1942, n° 71398, Monpeurt : Lebon, p. 239. Ainsi que CE, sect., 13 janv. 1961, n° 43548, Magnier : Lebon, p. 33. En matière sportive, v. CE, sect., 22 nov. 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport (FIFAS) : Lebon, p. 577.
  • 30.
    Texte, art. 8 et s.
  • 31.
    CE, 19 déc. 1988, n° 79962, Pascau.
  • 32.
    Concl. Roussel S., accessibles sur Arianeweb : https://lext.so/akh6gr.
  • 33.
    CE, 19 déc. 1988, n° 79962, Pascau.
  • 34.
    § 454, traduction libre de l’anglais par l’auteur.
  • 35.
    § 626.
  • 36.
    § 559.
  • 37.
    Handelsman D. J. et a., « Circulating testosterone as the hormonal basis of sex differences in athletic performance », Endocrine Reviews 2018, vol. 39, n° 5, p. 803-829.
  • 38.
    Bermon S. et Garnier P.-Y., « Serum androgen levels and their relation to performance in track and field: mass spectrometry and competition results in elite female athletes », British Journal of Sports Medecine 2017, vol. 51, n° 17, p. 1309-1314.
  • 39.
    § 492.
  • 40.
    § 609.
  • 41.
    § 623.
  • 42.
    § 338.
  • 43.
    § 601.
  • 44.
    Au sens de l’article190, alinéa 2, e, de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP), https://lext.so/luFUym.
  • 45.
    TAS, 2 oct. 2018, nos 40575/10 et 67474/10, Mutu et Pechstein c/ Suisse, https://lext.so/SJmFA6.
  • 46.
    À l’époque des faits, il s’agissait de la loi n° 3813 du 17 juin 1992 sur la constitution et les fonctions de la Fédération turque de football, telle que modifiée par la loi n° 5719 du 29 novembre 2007.
  • 47.
    Constitution, 7 nov. 1982 art. 59, al. 3 (alinéa ajouté par L. n° 6214, 17 mars 2011) : « Les décisions des fédérations sportives relatives à l’organisation et à la discipline des activités sportives ne peuvent être contestées que par voie d’arbitrage obligatoire. Les décisions des comités d’arbitrage sont finales et ne peuvent être portées devant aucune autorité judiciaire » (traduction libre de l’anglais de l’auteur).
  • 48.
    V. not. : CEDH, 28 oct. 2010, n° 1643/06, Suda c/ République tchèque, § 49 ; CEDH, 1er mars 2016, n° 41069/12, Tabbane c/ Suisse, § 26 ; TAS, 2 oct. 2018, nos 40575/10 et 67474/10, Mutu et Pechstein c/ Suisse, § 95.
  • 49.
    § 181 de l’arrêt commenté.
  • 50.
    CEDH, 27 août 2013, § 44.
  • 51.
    L. n° 5894, 5 mai 2009, art. 5, § 2, sur la constitution et les fonctions de la Fédération turque de football.
  • 52.
    § 159-160.
  • 53.
    § 154-155.
  • 54.
    § 216.
  • 55.
    § 210-211.
  • 56.
    § 219.
  • 57.
    § 221.
  • 58.
    PE et du Cons., règl. n° 492/2011, 5 avr. 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union : JOUE L 141, 27 mai 2011, p. 1.
  • 59.
    CJUE, 3e ch., 18 déc. 2019, n° C-447/18, UB c/ Generálny riaditel’ Sociálnej poist’ovne Bratislava : Europe 2019, comm. 57, obs. Driguez L. ; JCP S 2020, 1065, note Coursier P.
  • 60.
    CJUE, 3e ch., 18 déc. 2019, n° C-447/18, pt 44.
  • 61.
    CJUE, 3e ch., 18 déc. 2019, n° C-447/18, pt 52.
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