Vers une clarification juridique de l’e-sport

Publié le 06/07/2017

La loi pour une République numérique a introduit l’encadrement juridique de l’e-sport en autorisant les compétitions professionnelles de jeux vidéo. Les décrets du 9 mai 2017 ont apporté des précisions quant à cette organisation et aux statuts des joueurs professionnels. Outre ces clarifications, il subsiste toutefois des interrogations sur l’essor de l’e-sport.

L’entrée en vigueur des décrets relatifs à l’organisation des compétitions de jeux vidéo1 et du statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs2 vient parachever le cadre légal de l’e-sport introduit par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique3.

Considérée comme « la première illustration de la démocratie participative »4, issue d’une collaboration entre les institutions politiques et les citoyens, cette loi a posé les jalons d’un encadrement juridique de l’e-sport. Utilisée pour abréger le terme originel « electronic sports », cette dénomination recouvre la notion de compétition de jeux vidéo. Premiers biens culturels vendus en France, les jeux vidéo représentent un marché en pleine expansion allant du simple amateur au « gamer » professionnel. Outre la vente de ce bien matériel ou dématérialisé, l’avènement des réseaux sociaux et l’essor de la jouabilité en ligne de ces jeux ont contribué au développement de compétitions de jeux vidéo.

Dès lors, l’e-sport se trouve à la lisière de la discipline sportive tout en dépassant le cadre initial de l’activité ludique. Ce terme e-sport relève d’une sémantique à géométrie variable. En effet, l’e-sport ne bénéficie d’aucune véritable définition juridique mais uniquement de critères partagés par les amateurs de jeux vidéo et professionnels de cette industrie. Ainsi, l’e-sport consisterait en une pratique régulière sur internet ou en LAN party d’un jeu vidéo obligatoirement multi-joueurs via un ordinateur ou une console. Pour autant, un flou subsiste d’un premier temps quant aux jeux vidéo pouvant se reconnaître de l’e-sport. Faut-il considérer qu’un jeu vidéo a un succès commercial pour obtenir cette reconnaissance ou doit-il répondre à des critères liés au sport et à l’organisation de compétitions ?

La difficulté de l’e-sport réside dans son pluralisme. Si des jeux de sport comme FIFA font l’objet de compétitions organisées et structurées, tout comme les jeux de FPS – jeux de tir à la première personne – tels que Call of Duty ou Battlefield –, il en va différemment des jeux de cartes relevant davantage du hasard que de la véritable performance comme l’illustre le jeu Hearthstone.

Ainsi, au regard de ce contexte, la loi pour une République numérique a introduit un encadrement de la pratique du e-sport précisé par les décrets du 9 mai 2017 (I). Toutefois, des interrogations demeurent quant à un rapprochement du sport réel et du sport virtuel (II).

I – L’e-sport, un encadrement juridique reconnu

Préalablement à la loi pour une République numérique, les compétitions de jeux vidéo étaient assimilées à des jeux d’argent et de hasard, renvoyant à la notion de loterie, prohibée par le Code de la sécurité intérieure5. La loi relative à la consommation, dénommée loi Hamon, a étendu cette notion aux jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur6. Cette caractéristique a été complétée par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) qui a précisé dans son rapport d’activité en date du 22 septembre 2016, incluant l’adresse et l’habileté du joueur7. Dès lors, l’organisation de compétitions de jeux vidéo se déroulait en dehors de tout cadre légal et sans reconnaissance du statut des participants.

Forte de l’ambition de « libérer l’innovation, créer un cadre de confiance et construire une République numérique ouverte et inclusive », la loi pour une République numérique a consacré un volet au e-sport, s’adaptant aux usages de la société et en reconnaissant en tant que pratique professionnelle les compétitions de jeux vidéo. Ce volet s’avérait conforme au rapport parlementaire de mars 2016 relatif à la pratique compétitive du jeu vidéo8. Ainsi, l’article 101 de la loi du 7 octobre 2016 prévoit les conditions d’exercice relatives à l’organisation de compétition de jeux vidéo. Celle-ci n’inclut pas l’organisation d’une prise de paris. La loi définit la compétition de jeux vidéo par la confrontation à partir d’un jeu vidéo entre au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire. Le jeu vidéo relève du II de l’article 220 terdecies du Code général des impôts précisant qu’« est considéré comme un jeu vidéo tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d’images animées, sonorisées ou non ».

Cet article 101 prévoit notamment les conditions d’équilibre financier à respecter par l’organisateur de ces compétitions. Ainsi, le montant total des droits d’inscription ou des autres sacrifices financiers consentis par les joueurs ne doivent pas excéder une certaine fraction, dont le taux doit être fixé par décret en Conseil d’État. Il est précisé également que les frais d’accès à internet et le coût éventuel d’acquisition du jeu vidéo ne peuvent être qualifiés de sacrifices financiers9.

Le décret du 9 mai 2017 relatif à l’organisation des compétitions de jeux vidéo détermine les seuils et les rations d’équilibre financier applicables. Par conséquent, il est précisé que l’organisateur doit démontrer qu’il garantit le versement d’une récompense aux participants. L’article R. 321-49 du Code de la sécurité intérieure, codifié par l’article 1er du décret, énonce que « le montant total des gains et des lots mis en jeu, au-delà duquel les organisateurs doivent justifier de l’existence d’un instrument ou mécanisme garantissant leur reversement en totalité, est fixé à 10 000 € ». Le décret indique également les modalités de déclaration de la compétition qui doit être établie auprès du ministère de l’Intérieur un an au plus et, sauf urgence motivée, trente jours au moins avant la date de début de la compétition10. Par ailleurs, le décret prévoit les conditions de participations. Les mineurs doivent avoir une autorisation parentale, conservée par l’organisateur durant un an. Quant aux mineurs de moins de 12 ans, ils se voient interdire de participer à des compétitions offrants des récompenses monétaires.

L’article 102 de la loi pour une République numérique apporte une définition du joueur professionnel salarié et fixe aux entreprises et associations, souhaitant les salarier, une obligation d’obtenir un agrément ministériel.

Le contrat du joueur professionnel salarié revêt la forme d’un CDD dont la durée peut être inférieure à un an. Le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif est défini comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire. Ce contrat de travail a pour objet la création d’une équipe pour concourir sur un jeu nouvellement lancé ; la création d’une équipe pour concourir sur un jeu où aucune autre équipe existante de l’employeur ne dispute de compétitions dans le même circuit de compétition ; la création d’un nouveau poste dans une équipe existante.

Le décret du 9 mai 2017 relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs se concentre sur l’obtention de l’agrément, son renouvellement et son retrait. Cette demande d’agrément doit notamment comporter « la description des conditions d’emploi des joueurs professionnels salariés, en particulier leurs conditions d’entraînement, de formation et d’encadrement physique et mental » ainsi que l’ensemble des activités de l’association ou de la société. L’agrément est valable trois ans et renouvelable. Un encadrement et un suivi physiques, psychologiques et professionnels adaptés aux activités des joueurs devront également être effectués.

Ce choix sémantique de jeux vidéo retenu par la loi pour une République numérique, et non d’e-sport, instaure un régime juridique propre et établit le cadre légal de cette activité numérique. Cependant, il laisse planer le doute sur la notion d’e-sport.

II – L’e-sport, un avenir en plein essor

Au-delà du cadre juridique précisé par le législateur et du contexte numérique de plus en plus prégnant, dont l’épiphénomène Pokémon Go en est l’illustration, l’e-sport soulève de nombreuses problématiques dont la principale résulte de la reconnaissance de l’e-sport en tant que discipline sportive.

En effet, une partie de la doctrine s’est prononcée en ce sens11. Si nous souscrivons à l’importance d’encadrer les compétitions de jeux vidéo comme sont encadrées les manifestations sportives12, voire de soumettre l’e-sport au Code du sport, il n’en demeure pas moins que le jeu vidéo appartient à des éditeurs et développeurs. Dès lors, si ces derniers refusent de poursuivre le développement du jeu ou d’en restreindre l’accès, les joueurs professionnels se retrouvent démunis. De plus, le jeu vidéo peut provoquer une dépendance, un isolement ainsi que des troubles physiques et psychologiques que le sport n’entraîne pas, cette problématique de santé est à concilier avec l’avenir de l’e-sport.

Afin de qualifier l’e-sport de discipline sportive à part entière, il convient de circonscrire cette notion. Le Code du sport, lui-même, n’apporte aucune définition du sport. Il laisse place à celle d’activité physique et sportive en son article L. 100-1 qui dispose que « les activités physiques et sportives constituent un élément important de l’éducation, de la culture, de l’intégration et de la vie sociale. Elles contribuent notamment à la lutte contre l’échec scolaire et à la réduction des inégalités sociales et culturelles, ainsi qu’à la santé. La promotion et le développement des activités physiques et sportives pour tous, notamment pour les personnes handicapées, sont d’intérêt général. L’égal accès des hommes et des femmes aux activités sportives, sous toutes leurs formes, est d’intérêt général ». A contrario, le Conseil de l’Europe s’est efforcé de le définir dans sa charte européenne du sport du 24 septembre 1992, en énonçant qu’il s’agit de « toute forme d’activité physique qui à partir d’une participation occasionnelle ou organisée vise à développer la santé physique et le bien-être mental, à établir des relations sociales ou obtenir des résultats dans des compétitions de différents niveaux ».

Le Conseil d’État s’est attelé à déterminer des éléments constitutifs de l’activité physique et sportive. Au travers d’un faisceau d’indices, il a retenu la recherche de la performance physique, l’existence de règle permettant l’organisation d’une compétition, et enfin l’organisation régulière d’une compétition.

Le Conseil d’État s’est intéressé à la notion de discipline sportive et a affiné la définition, considérant qu’une discipline sportive doit rechercher une performance physique mesurée au cours de compétitions organisées régulièrement sur la base de règles bien définies. En l’espèce, l’activité de darts, ou jeu de fléchettes, ne présentait pas cette caractéristique puisqu’elle se pratique essentiellement à titre de loisir13.

Préalablement, le Conseil d’État avait porté la focale sur la nécessité de l’existence d’une règle sportive permettant la compétition. Ainsi, dans son considérant de principe relatif à la reconnaissance du paintball comme discipline sportive, il avait retenu qu’il s’agissait d’une activité de loisir ne s’adressant pas nécessairement à des sportifs qui recherchaient la performance physique au cours de compétitions organisées de manière régulière sur la base de règles bien définies14.

Si le bridge n’a pas été reconnu comme recherchant une activité physique15, contrairement aux échecs16, il s’avère que l’e-sport tend à être mis en valeur par le monde du sport lui-même.En effet, les clubs de football professionnel recrutent des joueurs de jeux vidéo professionnels afin de développer leur marque et d’investir sur cette discipline pas tout à fait sportive, mais qui aspire à le devenir.

Par la sécurisation des compétitions de jeux vidéo, à travers son régime propre qui pourrait davantage se rapprocher de celui des compétitions sportives traditionnelles, cela permettrait de faire émerger des droits d’exploitation télévisuelle et numérique, tout en encadrant les paris en ligne, lutter contre le dopage et l’ambush marketing.

Un constat s’impose. Les médias et une partie de la doctrine considèrent que l’e-sport ne consiste qu’en des jeux vidéo de sports. Or, les jeux sont divers et nécessitent des compétences propres tant pour un jeu de sport, qu’un RPG ou FPS. Si le législateur a reconnu un régime juridique propre à l’e-sport, il demeure incomplet en particulier quant à l’organisation des compétitions, des paris en ligne et des aspects économiques.

Notes de bas de pages

  • 1.
    D. n° 2017-871, 9 mai 2017, relatif à l’organisation des compétitions de jeux vidéo.
  • 2.
    D. n° 2017-872, 9 mai 2017, relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs.
  • 3.
    L. n° 2016-1321, 7 oct. 2016, pour une République numérique.
  • 4.
    Martial-Braz N., « République numérique », RD bancaire et fin. 2016, comm. 204.
  • 5.
    CE, 26 juill. 2006, n° 285529.
  • 6.
    CSI, art. L. 322-2-1 codifié par L. n° 2014-344, 17 mars 2014, relative à la consommation, art. 148.
  • 7.
    ARJEL, Rapport d’activité 2015-2016, 22 sept. 2016, p. 5.
  • 8.
    Salles R., Durain J. et Kirchner A., E-sport la pratique compétitive du jeu vidéo, Rapp. parlementaire, mars 2016.
  • 9.
    Confirmé par l’article R. 321-50 du Code de sécurité intérieure, codifié par l’article 1 du décret n° 2017-871, du 9 mai 2017, relatif à l’organisation des compétitions de jeux vidéo.
  • 10.
    CSI, art. R. 321-40 codifié par D. n° 2017-871, 9 mai 2017, relatif à l’organisation des compétitions de jeux vidéo, art. 1.
  • 11.
    Guillot J.-B. et Molho V., « L’e-sport : véritable discipline sportive ? », JCP E 2016, 1537.
  • 12.
    Tessier E., Le stade en droit public – Recherche sur le régime juridique des enceintes sportives, 2015, L’Harmattan, p. 417 à 548.
  • 13.
    CE, 9 nov. 2011, n° 347382, Fédération française de darts.
  • 14.
    CE, 13 avr. 2005, n° 258190, Fédération de paintball sportif.
  • 15.
    CE, 26 juill. 2006, n° 285529, Fédération française de Bridge : Lebon, p. 1080.
  • 16.
    A., 27 janv. 2005, portant agrément d’associations sportives, NOR : MJSK0570013A.
LPA 06 Juil. 2017, n° 127w0, p.6

Référence : LPA 06 Juil. 2017, n° 127w0, p.6

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