Association Droits d’urgence : « L’impossibilité d’avoir rendez-vous en préfecture peut mener à une dégringolade » !

Publié le 18/01/2023

Association Droits d’urgence : « L’impossibilité d’avoir rendez-vous en préfecture peut mener à une dégringolade » !

Créée en 1995, l’association Droits d’urgence propose un accompagnement juridique généraliste et gratuit. Depuis le mois de septembre, l’association diffuse également une Gazette. On y trouve des récits de vie, des témoignages d’usagers et de bénévoles, qui permettent de montrer de manière concrète et incarnée en quoi consiste l’accès au droit. Pour ce premier numéro, l’association a choisi de mettre en avant les difficultés d’accès aux préfectures pour les étrangers. Gwenaëlle Thomas-Maire, directrice de Droits d’urgence, et Alexandre Moreau, directeur adjoint, nous expliquent ce nouveau projet.

Actu-Juridique : Pouvez-vous nous présenter l’association Droits d’urgence ?

Gwenaëlle Thomas-Maire : À Droits d’urgence, l’accès au droit est pluriel. Nos juristes interviennent sur tous les domaines de droit : le droit des étrangers, du logement, de la famille, le droit pénal, le surendettement, etc. Les juristes de Droits d’urgence, salariés comme bénévoles, sont des juristes « généralistes ». Cela signifie qu’ils prennent en compte la globalité du parcours et des problématiques rencontrées par la personne qu’ils reçoivent, comme le fait un médecin généraliste dans le champ de la santé. Dès lors, quand ils sont saisis d’un problème de droit, ils examinent si d’autres ruptures de droit existent parallèlement. Leur démarche est réparatrice. Par ailleurs, l’association s’est construite, dès 1995, sur une méthodologie consistant à « aller vers » : nous intervenons dans des centres d’insertion, centres d’hébergement, centres d’accueil, hôpitaux, prisons. Dans tous ces lieux, nous travaillons en lien avec les professionnels qui prennent en charge les publics précarisés, voire très précarisés, et apportons une « brique juridique » complémentaire au travail social déjà engagé. Notre conviction est qu’une personne en situation d’exclusion ne peut se réinsérer et exister à nouveau que si elle bénéficie d’un accompagnement juridique. Nous faisons également de la formation un peu partout en France auprès de professionnels dans les associations, structures sociales et institutionnelles (hôpitaux par exemple). Nous avons enfin créé la plateforme « droitsdirects.fr » (https://droitsdirects.fr/#) destinée aux victimes de violences conjugales. Elle leur donne accès à des ressources : fiches d’informations, professionnels spécialisés dans la prise en charge des violences conjugales. Elle a été expérimentée dans le nord de la France et déployée à Paris et la région parisienne.

Actu-Juridique : Pourquoi, en plus de toutes ces activités, avoir lancé cette Gazette ?

Gwenaëlle Thomas-Maire : L’accès au droit est un sujet très abstrait. Quand les Restos du cœur ou la fondation Abbé-Pierre donnent accès à un logement ou un repas, c’est clair pour tout le monde. Quand vous parlez d’accès au droit, c’est beaucoup plus flou, et surtout cela regroupe un champ large d’actions, allant des simples démarches administratives à des procédures contentieuses. L’objectif de La Gazette de Droits d’urgence est d’incarner l’accès au droit en mettant en avant la parole de nos juristes et bénévoles, mais aussi en racontant les histoires des usagers que nous rencontrons au quotidien. Nous avions déjà fait ce travail de récits dans le cadre du rapport d’activité 2020 et nous avons souhaité prolonger ces moments d’échange et d’expression à travers cette gazette. Raconter des histoires permet de donner une réalité à l’accompagnement juridique que l’on met en place. Avec cette gazette, nous allons plus loin en faisant aussi des propositions de lectures ou de podcast pour approfondir le thème traité. La gazette devrait paraître deux fois par an. Elle fait une dizaine de pages et traite d’une thématique par numéro. Nous la diffusons essentiellement à Paris où se trouve l’essentiel de nos actions de terrain, ainsi que sur les réseaux sociaux.

Alexandre Moreau : Une des problématiques majeures de notre époque est que, dans le paysage médiatique et politique, on parle en essentialisant les personnes étrangères et en désincarnant les migrations. Quand on parle d’immigration ou de migrants, cela veut tout dire et rien dire ! On ne distingue plus parmi eux les demandeurs d’asile, les réfugiés, les personnes qui viennent voir leur famille ou travailler. Tous sont englobés indifféremment dans une novlangue qui les efface et les invisibilise. Nous voulons donc réincarner ces problématiques, à travers des portraits. La gazette s’inscrit dans cette démarche. À chaque fois que nous avons fait une campagne de presse, lors de dépôt collectif devant un tribunal administratif pour que les personnes puissent accéder au service public des préfectures, nous avons publié un communiqué de presse accompagné de situations concrètes. Nous avions par exemple raconté l’histoire de Clotilde, infirmière qui perd son droit à renouveler son titre de séjour alors qu’elle a un contrat. En plein Covid, elle ne peut plus intervenir, alors qu’on n’a plus assez de soignants dans les hôpitaux. Nous donnons à voir ceux que nous assistons au quotidien et nous leur donnons la parole.

Actu-Juridique : À qui s’adresse cette Gazette ?

Gwenaëlle Thomas-Maire : On diffusait déjà notre rapport d’activité très largement auprès de nos partenaires. Mais ils nous connaissent. Là, l’idée est vraiment de faire découvrir au grand public ces thématiques, en mettant en avant des sujets peu vulgarisés et peu connus. Les difficultés d’accès aux préfectures ne sont pas bien connues et c’est un sujet qui, de plus, peut être clivant dans le contexte actuel, comme le montrent les débats autour du projet de loi sur l’immigration. On entend parler de droit des étrangers sans que soient évoquées ces réalités de terrain que nous rencontrons au quotidien.

Actu-Juridique : Pourquoi avoir choisi ce thème de l’accès aux préfectures ?

Gwenaëlle Thomas-Maire : L’actualité guide nos choix. Pendant deux ans, nous avons été accaparés par l’accès, ou plutôt le non-accès, aux préfectures pour les étrangers. Nous avons donc choisi de consacrer ce premier numéro à ce sujet. Le prochain numéro, qui sortira au printemps, traitera certainement des violences conjugales, sujet sur lequel Droits d’urgence est mobilisé depuis longtemps, avec un pôle dédié. Nous souhaitons également traiter de la question de l’accès au droit et de la santé mentale.

Alexandre Moreau : Il y a toujours eu des problématiques d’accès aux préfectures, surtout en Île-de-France. Celles-ci se sont encore accrues à l’occasion du premier confinement en mars 2020. L’État avait alors mis longtemps avant de prendre des décrets pour prolonger les titres de séjour des personnes étrangères. Et rien n’avait été fait pour les personnes qui attendaient de pouvoir déposer leur dossier. Au sortir du confinement, en juin 2020, le ministère de l’Intérieur a commencé à déployer la dématérialisation des procédures et la simplification des démarches administratives, qui n’a de simple que le nom. Sous couvert d’une dématérialisation, tous les guichets d’accueil des préfectures ont été fermés. Beaucoup de choses ont été dites sur la dématérialisation, or ce n’était pas le vrai problème. S’il s’était agi d’une difficulté d’accès au numérique, les travailleurs sociaux et les associations comme la nôtre auraient pu mettre en place des relais pour que les personnes accèdent au numérique et scannent les documents à déposer sur les plateformes. Ce qui s’est passé, c’est que pour déposer sa demande de titre en préfecture, il fallait aller sur une plateforme et demander un rendez-vous. Et il n’y avait jamais de créneaux de rendez-vous disponible. Ces personnes ont donc été obligées, pendant des semaines et des mois, de faire chaque jour des captures d’écran montrant qu’il n’y avait pas de plage de rendez-vous, puis d’envoyer un courrier à la préfecture, de saisir le Défenseur des droits et enfin le tribunal administratif compétent pour demander aux juges d’enjoindre le préfet à délivrer une date de rendez-vous.

Actu-Juridique : Une photo dans la Gazette résume cette attente…

Alexandre Moreau : Dans la Gazette, nous avons en effet publié une photo prise il y a quelques années de personnes qui faisaient la queue toute la nuit devant la préfecture, parfois pendant plusieurs jours d’affilée, pour espérer déposer une demande de titre. C’était hallucinant. Des femmes seules avec des enfants en bas âge ne pouvaient pas faire la queue la nuit. Il y avait donc des « relais » qui se mettaient en place. Nous voulons souligner que ces files d’attente n’ont pas disparu. Elles ont simplement été invisibilisées. Elles existent aujourd’hui sur internet. Dans quel autre service public imagine-t-on un tel traitement des usagers ? Imagine-t-on une seule seconde que des parents d’élèves doivent faire la queue des nuits entières devant une école pour inscrire leur enfant ? Et qu’un jour, ces mêmes parents d’élève soient obligés de faire des captures d’écran pendant des semaines, parfois pendant 10 mois, avant de saisir un juge pour enfin pouvoir inscrire leur enfant à l’école ? Cela ne peut se produire que dans une seule catégorie de service public : celle du droit au séjour des étrangers. C’est pour cela que le titre de cette première Gazette est le suivant : « Quand la préfecture maltraite les personnes étrangères ». Pour les personnes en attente d’un renouvellement, les conséquences sont terribles. Elles vivent dans la peur de se voir délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF), sont contraintes au travail illégal, sans les protections auxquelles ont droit les personnes salariées, n’ont plus accès aux soins ou aux études. L’impossibilité d’avoir un rendez-vous en préfecture peut mener à une dégringolade.

Plan