Brevets : vers un droit européen harmonisé
Nouvelle année, nouvel acronyme judiciaire. La JUB, la Juridiction unifiée des brevets, sera pleinement fonctionnelle d’ici l’été prochain. Cette juridiction supranationale, dont le tribunal de première instance est installé à Paris, aura notamment pour principal objectif d’harmoniser le droit des brevets à l’échelle du vieux continent. « Les jugements et ordonnances seront exécutoires dans tous les États membres contractants », expliquent Florence Butin et Camille Lignieres, respectivement présidente du tribunal de première instance de la JUB et juge à la division locale de Paris.
Actu-Juridique : Quel sera le rôle de la Juridiction unifiée du brevet et dans quels cas pourra-t-elle être saisie ?
Florence Butin et Camille Lignieres : La Juridiction unifiée du brevet (JUB ou UPC pour l’acronyme anglais) est une juridiction supranationale commune aux 24 États membres de l’Union européenne qui ont signé l’accord du 19 février 2013. Elle est née du constat que dans le système actuel, les brevets européens délivrés par l’OEB (Office européen des brevets) procurent à leurs titulaires des droits qu’ils doivent faire reconnaître et exécuter au moyen de procédures engagées dans chaque pays dans lequel la protection leur est concédée, ce qui est onéreux pour les parties et surtout peut donner lieu à des divergences de jurisprudence (par exemple, un brevet européen délivré pour les territoires allemand et français peut, dans le cadre d’actions en contrefaçon et en contestation de la validité du titre engagées dans le système actuel, faire l’objet de décisions différentes). Le nouveau dispositif concerne, d’une part, la mise en place d’un brevet unitaire – qui est un titre de propriété industrielle unique couvrant plusieurs pays européens – et, d’autre part, une juridiction unifiée devant laquelle les contentieux se rapportant aux brevets européens – ceux issus du système de délivrance actuel et ceux unitaires – seront portés.
La Juridiction unifiée du brevet aura, sous réserve de la possibilité pour les titulaires de droit de maintenir leurs titres dits « classiques – sans effet unitaire – dans le système juridictionnel actuel par la voie de l’« opt-out » durant une période transitoire de 7 années, une compétence exclusive pour juger notamment les actions en contrefaçon des brevets européens, les actions en déclaration de non-contrefaçon, les demandes de mesures provisoires ou conservatoires, les actions en nullité de brevets et les actions en réparation. Ces demandes peuvent être formées à titre principal ou reconventionnel en tant que moyen de défense.
Actu-Juridique : En quoi la Juridiction unifiée du brevet constitue-t-elle une avancée pour la protection de la propriété industrielle en Europe ?
Florence Butin et Camille Lignieres : La Juridiction unifiée du brevet présente la spécificité de réunir des juges de différents pays de l’Union européenne qui ont tous une longue expérience du contentieux de la propriété industrielle. Les panels siégeant dans chaque division seront constitués de juges de différentes nationalités, ce qui a vocation à faire émerger une jurisprudence commune propre à la JUB qui sera également construite sur la base de règles de procédures spécifiquement adaptées aux litiges en matière de brevet. Cette procédure propre à la JUB est un point d’avancée très important en ce qu’elle combine différents outils empruntés aux droits nationaux. On peut citer comme exemple à cet égard les actions visant à la préservation de preuves – équivalent de la saisie-contrefaçon en France -, les « protective letters » visant à s’opposer par anticipation à une action susceptible d’être engagée, les modes d’administration de la preuve. La JUB présente aussi l’avantage d’être composée de juges qualifiés sur le plan juridique mais également technique, qui pourront être désignés pour compléter les panels par référence au domaine couvert par le brevet objet du litige. Cette contribution connue d’autres systèmes – par exemple allemand et suédois – permet d’avoir une expertise technique tout au long de la procédure lorsqu’il s’agit d’une action en contestation de la validité du titre.
Outre le fait qu’elle a été spécifiquement conçue pour le contentieux des brevets, la JUB permet d’assurer, au moyen d’une seule procédure, l’effectivité du droit conféré par un brevet. Par exemple, une société disposant d’un brevet européen délivré pour les Pays-Bas, l’Italie et la Belgique, pourra faire reconnaître et juger des actes de contrefaçon commis sur ces différents territoires au moyen d’une seule procédure initiée devant la division locale de l’un de ces États.
Actu-Juridique : Concrètement, une décision prise par la Juridiction unifiée du brevet sera applicable directement dans tous les États participants ?
Florence Butin et Camille Lignieres : L’article 82- 1 de l’Accord relatif à la Juridiction unifiée du brevet, qui concerne l’exécution des décisions, prévoit que les jugements et ordonnances seront exécutoires dans tous les États membres contractants. Une formule exécutoire sera en effet attachée à chaque décision. Les procédures d’exécution elles-mêmes restent régies par le droit de l’État membre contractant concerné de sorte qu’une décision de la JUB est exécutée dans les mêmes conditions qu’une décision issue du système national. Les décisions de la JUB peuvent également être assorties d’une astreinte.
Actu-Juridique : Pourquoi tous les pays membres n’ont-ils pas encore adhéré à la Juridiction unifiée du brevet ?
Florence Butin et Camille Lignieres : En l’état actuel, 17 États membres de l’UE – sur les 24 signataires – ont déjà ratifié l’Accord relatif à une Juridiction unifiée du brevet, ce qui représente une adhésion très importante et témoigne d’une confiance dans le système. Cela représente également un engagement significatif en termes de moyens apportés à l’institution. De même que les 7 États n’ayant pas encore ratifié l’accord peuvent le faire à tout moment, les pays non signataires peuvent décider d’accéder au système juridictionnel que représente la JUB.
Actu-Juridique : Quand la Juridiction unifiée du brevet entrera-t-elle en service ?
Florence Butin et Camille Lignieres : La Juridiction unifiée du brevet est d’une certaine façon déjà « en service » et actuellement dans une phase décisive de sa mise en place. Elle a notamment procédé au recrutement des juges légalement et techniquement qualifiés et constitué son Présidium, ses services administratifs, financiers, RH, ses équipes d’informaticiens travaillent depuis de nombreux mois notamment dans le cadre de la période d’application provisoire de l’Accord et le recrutement des greffiers est en cours dans les États membres hébergeant une division. Les activités juridictionnelles proprement dites débuteront le 1er juin 2023, étant précisé que la JUB sera, dans les 3 mois qui précèdent, prête à enregistrer les demandes d’opt-out des titulaires de brevet souhaitant continuer à relever des juridictions nationales et que, depuis le 1er janvier 2023, il est possible d’effectuer des demandes de brevets à effet unitaire auprès de l’Office européen des brevets.
Référence : AJU007m2