Le parquet européen bientôt en activité
La fraude transfrontalière à la TVA représente, chaque année, un manque à gagner de près de 50 Mds€ pour les États membres de l’Union européenne. C’est pour mieux agir contre ce délit que 22 d’entre eux collaborent en faveur du démarrage du parquet européen. Son entrée en fonction est prévue pour le 1er mars 2021. Quels seront ses pouvoirs ? Comment fonctionnera-t-il ? Réponses et explications de Fabrice Fages, avocat associé au cabinet Latham & Watkins, et expert du think tank juridique français, le Club des juristes.
Les Petites Affiches : De quand date l’idée de la création d’un parquet européen ?
Fabrice Fages : Le processus visant à créer un parquet européen remonte au Traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009 et qui faisait suite à un Livre vert de la Commission publié en 2001. L’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permet la création d’un tel parquet, et notamment dans le cadre d’une coopération renforcée, c’est-à-dire une coopération a minima entre 9 États membres. C’est donc cet article 86 qui a servi de base juridique au règlement adopté par le Conseil de l’Union européenne le 12 octobre 2017. Si le nouveau parquet a été installé au Luxembourg, à proximité de la Cour de justice de l’Union européenne, il y a plusieurs semaines, sa mise en marche effective est envisagée pour le 1er mars prochain.
LPA : Quel sera le rôle de ce nouveau parquet ?
F. F. : Le règlement du parquet prévoit qu’il est compétent à l’égard des infractions commises après sa date d’entrée en vigueur, soit le 20 novembre 2017. Ses compétences seront exclusivement tournées vers les infractions portant atteinte aux finances de l’Union européenne : escroquerie, corruption, abus de confiance, blanchiment, détournement de fonds européens ou fraude à la TVA ainsi que certains délits douaniers. Les États membres et les institutions communautaires estiment le montant total de ces fraudes à 50 Md€ par an pour la fraude à la TVA et à plus de 500 M€ chaque année pour la fraude au budget de l’Union européenne.
Concrètement, le parquet européen sera chargé d’enquêter sur des fraudes portant sur des fonds de l’UE supérieurs à 10 000 € ou d’intérêt particulier, ou sur des cas de fraude transfrontalière à la TVA pour des préjudices supérieurs à 10 M€.
Pour remplir ses missions, le parquet a été structuré en deux niveaux. Le premier, chargé de la stratégie et du choix des enquêtes à diligenter, est purement européen, avec le chef du parquet, Laura Codruta Kövesi, et un collège de 22 procureurs, un par État membre participant. Le deuxième niveau, d’ordre national, reposera sur des procureurs européens délégués – ils seront 140 au total dont 5 en France – qui auront pour mission de superviser les enquêtes et les poursuites menées dans leur pays. Ces magistrats d’un nouveau genre seront installés, par exemple, au sein du parquet national financier à Paris et pourront, à ce titre, y bénéficier de certaines fonctions supports mais ils seront indépendants de leur hiérarchie dans l’exercice de leurs missions et seront donc sous l’autorité exclusive du parquet européen.
LPA : Le parquet a-t-il pour but de remplacer l’Office européen de la lutte antifraude (OLAF) dans ses fonctions ?
F. F. : Non. Il est prévu que les deux institutions coopèrent afin d’éviter de dupliquer les enquêtes administratives de l’OLAF et les enquêtes du parquet. Jusqu’à présent, les États étaient les seuls en charge d’engager des poursuites pénales contre les fraudes touchant aux fonds de l’UE. En France, par exemple, le parquet national financier, créé en 2014, s’occupe, notamment, de la fraude fiscale ou des faits de corruption. Au niveau européen, l’OLAF diligente des enquêtes administratives et émet des recommandations aux États membres mais n’est pas un parquet en soi et ne peut donc pas engager de poursuites, contrairement au parquet européen. De la même manière, l’agence Eurojust a pour mission de faciliter la coopération et la coordination entre les autorités judiciaires des pays, mais ne joue pas le rôle d’un parquet.
Le parquet européen est à cet égard tout à fait novateur. Son indépendance vis-à-vis des États membres et de leurs juridictions lui garantit un réel pouvoir d’action pour les infractions dont il a la charge. Concrètement, un procureur européen délégué en France, exercera les mêmes pouvoirs que ceux réservés à un juge d’instruction et les personnes concernées devront bénéficier des mêmes droits. Il pourra par exemple prononcer une mise en examen ou un placement sous le statut de témoin assisté.
Précisons tout de même que la mise en place du parquet européen ne prévoit pas la création d’un tribunal, ce sont les autorités nationales, selon leur propre droit, qui endosseront cette tâche.
LPA : Le parquet européen représente-t-il, au regard de son champ d’action et de ses pouvoirs, un vrai saut communautaire ?
F. F. : Oui, ce projet marque une vraie étape dans la communautarisation du droit pénal. Selon l’étude d’impact, le parquet européen devrait pouvoir se saisir, en France, d’une centaine d’infractions par an. Si cela peut sembler peu, c’est une première étape vers une justice plus intégrée. C’est d’ailleurs l’une des recommandations du rapport sur lequel j’ai travaillé au sein d’une commission du Club des juristes, et qui se positionne « pour un droit européen de la compliance ». Dans ce rapport, nous appelons à étendre la compétence du parquet européen à l’ensemble des actes de corruption internationale, qu’ils portent atteinte ou non aux intérêts financiers de l’UE. C’est une possibilité prévue, par ailleurs, par les textes européens. Il faudra néanmoins attendre encore plusieurs années avant de voir émerger un tel débat, qu’il s’impose à l’agenda et reçoive l’accord des États membres.
LPA : Pourquoi 22, et non pas 27 des États membres participeront au fonctionnement du parquet ?
F.F. : Aujourd’hui, la Hongrie, le Danemark, l’Irlande, la Pologne et la Suède ne souhaitent pas participer à ce projet judiciaire. Dans un rapport publié en 2020, le Parlement européen séparait en deux groupes les pays ayant refusé de participer au fonctionnement du parquet européen. Dans le premier groupe, composé du Danemark et de l’Irlande, le refus ne serait que le prolongement des régimes dérogatoires dont disposent ces deux États membres en matière de coopération judiciaire. Dans le second groupe, composé de la Hongrie, de la Pologne et de la Suède, des divergences et des raisons de politique intérieure auraient conduit au refus. Ces positions ne sont toutefois pas figées et les textes permettent, par ailleurs, aux non-participants de rejoindre le projet quand ils le souhaiteront, ou de mettre en place des coopérations spécifiques en attendant que ce soit le cas. Des discussions ont débuté avec la Suède. On peut penser que les autres États suivront la marche.