Pratiques commerciales trompeuses et banque intermédiaire d’assurance
L’article 3, paragraphe 1, de la directive n° 2005/29, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur, doit être interprété en ce sens qu’est susceptible de constituer une « pratique commerciale déloyale », d’après cette disposition, la rédaction, par une entreprise d’assurance, d’un contrat collectif type unit-linked ne permettant pas au consommateur qui adhère à ce contrat collectif sur proposition d’une seconde entreprise, preneuse d’assurance, de comprendre la nature et la structuration du produit d’assurance proposé ainsi que les risques qui y sont liés, et que cette entreprise d’assurance doit être tenue pour responsable de cette pratique commerciale déloyale.
Il en va ainsi sans préjudice de l’éventuelle responsabilité de l’entreprise preneuse d’assurance au titre d’autres pratiques commerciales déloyales en relation directe avec le processus d’adhésion du consommateur au contrat collectif unit-linked, telles que celles qui peuvent consister dans le fait d’avoir omis de fournir un complément d’informations spécifiques, concernant notamment les aspects financiers de l’investissement dans le produit d’assurance et les risques qui y sont liés, que cette entreprise, en sa qualité d’intermédiaire d’assurance, au sens de la directive n° 2002/92, est tenue de transmettre au consommateur, ou dans le fait de ne pas avoir respecté le délai de transmission du contrat collectif type unit-linked au consommateur.
CJUE, 2 févr. 2023, no C‑208/21
1. Le délit de pratiques commerciales trompeuses1 est issu de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dit loi Chatel. Lors de sa création, il n’était cependant pas inconnu de notre droit. Il succédait, en effet, au délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur2 créé, quant à lui, par la loi Royer du 27 septembre 1973, et dont il a repris la plupart des éléments constitutifs.
2. Or, ce délit, qui trouve désormais son siège aux articles L. 121-2 et suivants du Code de la consommation3, a donné lieu à des caractérisations remarquées tant en matière bancaire4 qu’en matière financière5. On peut citer, à titre d’exemple, la condamnation de BNP Paribas par le tribunal correctionnel de Paris en raison de son prêt Helvet Immo6.
3. Rappelons, cependant, que le délit étudié trouve sa véritable source dans un texte de droit européen : la directive n° 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive n° 84/450/CEE du Conseil et les directives nos 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (directive sur les pratiques commerciales déloyales)7. En effet, c’est ce texte qui a été transposé, en droit interne, par la loi Chatel du 3 janvier 2008.
4. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) peut donc être source de précisions utiles concernant le droit applicable au délit de pratiques commerciales trompeuses. Par exemple, c’est elle qui a, la première, fait entrer dans le champ d’application de la directive précitée le recouvrement de créances, estimant qu’il s’agissait d’un produit au sens de l’article 2, c), de la directive n° 2005/29/CE8. La chambre criminelle de la Cour de cassation a alors déduit de cette solution que le fait d’obliger les débiteurs consommateurs à payer des frais supplémentaires lors du recouvrement de leurs dettes constituait une pratique commerciale trompeuse9.
5. Une décision de la CJUE du 2 février 2023, intéressant à la fois les assureurs et les banquiers distribuant des produits d’assurance, attire alors l’attention10. Il s’agit de réponses à plusieurs questions préjudicielles. Elle est riche en enseignements.
6. Cette demande avait été présentée dans le cadre d’un litige, de droit polonais, opposant K. D. à Towarzystwo Ubezpieczeń Ż S.A., une entreprise d’assurance (« TUZ »), au sujet du remboursement de primes d’assurance versées au titre d’un contrat collectif d’assurance-vie à capital variable lié à un fonds de placement (« contrat collectif unit-linked ») auquel K. D. avait adhéré.
7. Plus précisément, les faits étaient les suivants. Par une déclaration prenant effet à compter du 10 janvier 2012, K. D. avait adhéré, en qualité d’assurée, pour une période de 15 ans, au contrat collectif unit-linked conclu entre TUZ, une entreprise d’assurance, et Y, une banque agissant en qualité de preneur d’assurance. Il est à souligner, en effet, que la commercialisation du contrat collectif en question était effectuée et gérée par cet établissement de crédit, qui percevait une commission de la part de TUZ pour son intervention11.
8. Le contrat qui nous occupe avait pour objet la collecte et l’investissement de primes d’assurance versées mensuellement par les assurés, à travers un fonds de placement dont le capital était constitué à partir de ces primes. Après avoir été converti en parts du fonds de placement, le montant correspondant aux primes en question était investi dans des certificats émis par une entreprise d’investissement (« actifs représentatifs du contrat collectif unit-linked »), dont la valeur était calculée sur la base d’un indice. En contrepartie, TUZ s’engageait à verser des prestations en cas de décès ou de survie de l’assuré, au terme de la période d’assurance. Le montant de ces prestations ne devait pas être inférieur à la valeur nominale des primes versées par l’assuré, majorée de toute variation positive de la valeur des parts du fond de placement. En revanche, en cas de résiliation du contrat d’assurance avant le terme de sa durée de validité, TUZ s’engageait à rembourser à l’assuré un montant égal à la valeur actualisée des parts de celui-ci dans le fonds de placement, déduction faite d’une commission de liquidation.
9. Le contrat collectif unit-linked était régi par des conditions générales d’assurance, un tableau des frais et des plafonds de primes et un règlement du fonds de placement, qui constituent des clauses contractuelles types rédigées par TUZ. Or, ces documents ne précisaient pas les règles régissant la conversion des primes mensuelles en parts du fonds de placement et l’évaluation de ces parts, l’évaluation de l’actif net de l’intégralité de ce fonds et l’évaluation des certificats dans lesquels les disponibilités dudit fonds étaient placées, ni la méthode de calcul de la valeur de l’indice sur lequel le paiement de ces certificats était fondé. Le règlement du fonds de placement indiquait simplement que l’investissement était exposé notamment au risque de crédit de l’émetteur des certificats en question ainsi qu’au risque de perte d’une partie des primes versées, en cas de résiliation anticipée dudit contrat.
10. En l’espèce, on soulignera que l’adhésion de K. D. au contrat collectif unit-linked avait été effectuée par l’intermédiaire d’un employé de la banque Y, qui, selon K. D., lui avait présenté le produit d’assurance en cause comme un produit d’investissement offrant un capital garanti au terme de la durée de validité de ce contrat.
11. Or, après avoir pris connaissance du fait que la valeur de ses parts dans le fonds de placement était nettement inférieure au montant des primes d’assurance qu’elle avait versées, K. D. avait, par une lettre du 4 avril 2017, résilié son contrat d’assurance et demandé à TUZ de lui rembourser l’intégralité de ces primes d’assurance. Toutefois, par une lettre du 25 avril 2017, TUZ avait refusé d’accéder à cette demande.
12. K. D. avait alors formé une action en justice devant le tribunal d’arrondissement de Varsovie. Il demandait que TUZ soit condamnée à lui verser un montant correspondant, en substance, à la différence entre la valeur de rachat du contrat d’assurance au jour de la résiliation de celui-ci, s’élevant, déduction faite des frais de liquidation, à environ un tiers des primes d’assurance que K. D. avait versées, et la totalité de ces primes. À l’appui de cette action, K. D. invoquait plusieurs moyens, tirés notamment de la nullité de sa déclaration d’adhésion au contrat collectif unit-linked ainsi que de la mise en œuvre d’une pratique commerciale déloyale par TUZ, consistant dans la vente de produits non adaptés aux besoins du consommateur et dans la fourniture d’informations trompeuses à celui-ci lors de l’adhésion à ce contrat. L’entreprise d’assurance faisait valoir, pour sa part, que les pratiques prétendument déloyales alléguées par K. D. portaient sur le processus de vente du produit d’assurance, qui aurait été réalisé par Y, dans le cadre de son activité économique, pour son propre compte et en son propre nom.
13. C’est dans ce contexte que la juridiction polonaise s’était interrogée sur l’interprétation de plusieurs dispositions de la directive n° 2005/29, sur les pratiques commerciales déloyales, et de la directive n° 93/13, sur les clauses abusives12, afin de résoudre le litige pendant devant elle. Le tribunal d’arrondissement de Varsovie avait alors décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE quatre questions préjudicielles.
14. Les deux premières retiendront notre attention car elles intéressent, notamment, le banquier intermédiaire d’assurance :
1) « Faut-il interpréter l’article 3, § 1, [de la directive n° 2005/29, lu en combinaison avec l’article 2, sous d), de celle-ci,] en ce sens que la notion de pratique commerciale déloyale ne vise que les circonstances entourant la conclusion du contrat et la présentation du produit au consommateur, ou bien le champ d’application de cette directive et, partant, cette notion couvre[-t-elle] également la rédaction, par le professionnel qui a conçu le produit, d’un contrat type trompeur qui sert de base à l’offre commerciale préparée par un autre professionnel et qui n’est donc pas directement liée à la commercialisation du produit ? »
2) « En cas de réponse affirmative à la première question, faut-il tenir pour responsable de la pratique commerciale déloyale au sens de la directive 2005/29 le professionnel qui rédige les clauses contractuelles types trompeuses ou le professionnel qui présente le produit au consommateur en se fondant sur ces clauses contractuelles types et qui commercialise directement le produit, ou bien faut-il considérer que ces deux professionnels sont responsables en vertu de la directive 2005/29 ? »
15. Dit autrement, la juridiction nationale demandait, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive n° 2005/29 doit être interprété en ce sens que constitue une « pratique commerciale déloyale », au sens de cette disposition, la rédaction, par une entreprise d’assurance, d’un contrat collectif type unit-linked ne permettant pas au consommateur qui adhère à ce contrat collectif sur proposition d’une seconde entreprise, preneuse d’assurance, de comprendre la nature et la structuration du produit d’assurance proposé ainsi que les risques qui y sont liés. Dans l’affirmative, la juridiction demande, également, si doivent être tenus pour responsables de cette pratique commerciale déloyale l’entreprise d’assurance, l’établissement de crédit preneur d’assurance ou ces deux professionnels ensemble.
16. Plus concrètement, les magistrats sont amenés à répondre à trois interrogations. Étions-nous en présence d’une pratique commerciale (I) ? Présentait-elle un caractère déloyal (II) ? Enfin, en cas de réponse positive, qui de l’entreprise d’assurance ou l’intermédiaire d’assurance devait voir sa responsabilité retenue (III) ? La CJUE, qui avait déjà été amenée à se prononcer sur ce même type de contrat13, clarifie l’ensemble de ces points. Sa décision se veut très précise.
I – La présence d’une pratique commerciale
17. Concernant la qualification de la rédaction, par une entreprise d’assurance, d’un contrat collectif type unit-linked de « pratique commerciale », au sens de la directive n° 2005/29 du 11 mai 2005, la décision étudiée donne plusieurs précisions.
18. En premier lieu, elle rappelle que la notion de « pratiques commerciales », envisagée par l’article 2 de la directive précitée, est envisagée de façon large. Ainsi, les termes « en relation directe avec la vente d’un produit » couvrent notamment toute mesure prise en relation avec la conclusion d’un contrat. De même, la notion de « produit » vise tout bien ou service. En outre, que la notion de « professionnel » concerne toute personne physique ou morale qui exerce une activité rémunérée, pour autant que la pratique commerciale s’inscrive dans le cadre des activités auxquelles elle se livre à titre professionnel, « y compris lorsque cette pratique est déployée par une autre entreprise, agissant au nom et/ou pour le compte de cette personne »14 (pt 53).
19. En second lieu, la décision se prononce sur l’applicabilité d’une telle notion aux agissements d’une entreprise d’assurance en relation avec l’adhésion de consommateurs à un contrat collectif unit-linked. Elle indique qu’elle a déjà eu l’occasion de dire que le consommateur qui entend adhérer à un contrat collectif unit-linked doit recevoir les informations dont l’article 36, paragraphe 1, de la directive n° 2002/8315 exige la communication en faveur du preneur avant la conclusion du contrat d’assurance (les « informations contractuelles »)16 (pt 55).
20. De façon plus précise, il est indiqué que la Cour a déjà considéré que, dès lors que dans le cas d’un contrat collectif unit-linked le produit d’assurance comporte un élément d’investissement, qui est indissociable de ce produit, ces informations contractuelles doivent notamment comprendre des indications sur les caractéristiques essentielles des actifs représentatifs du contrat collectif unit-linked. Ces indications sont tenues d’inclure une description claire, précise et compréhensible de la nature économique et juridique de ces actifs représentatifs, y compris des principes généraux régissant leur rendement, ainsi que des informations claires, précises et compréhensibles sur les risques structurels liés auxdits actifs représentatifs, à savoir les risques qui sont inhérents à leur nature et qui peuvent directement affecter les droits et les obligations découlant de la relation d’assurance, tels que les risques liés à la dépréciation des parts du fonds de placement auquel ledit contrat est lié ou le risque de crédit de l’émetteur des instruments financiers qui composent les mêmes actifs représentatifs (pt 56)17.
21. Le cas de l’entreprise preneuse d’assurance, dans notre cas la banque Y, est ensuite spécifiquement abordé. Ainsi, agissant en tant qu’intermédiaire d’assurance, elle doit, pour sa part, « transmettre ces informations contractuelles à tout consommateur avant l’adhésion de celui-ci à ce contrat, assorties de toute autre précision qui s’avérerait nécessaire compte tenu des exigences et des besoins de ce consommateur ». Ces précisions doivent d’ailleurs être modulées en fonction de la complexité du contrat et formulées avec clarté et exactitude18 (pt 57).
22. Il est encore précisé ici que la communication des informations contractuelles au consommateur, qui entend adhérer à un contrat collectif unit-linked, peut se faire au moyen d’un contrat type rédigé par l’entreprise d’assurance, « pour autant qu’il soit remis à ce consommateur par l’entreprise preneuse d’assurance préalablement à son adhésion, en temps utile pour lui permettre de faire, en connaissance de cause, un choix éclairé »19 (pt 58).
23. Après tous ces rappels, la CJUE indique que, à la vue des considérations résumées ici aux points 53 à 58, elle a pu juger dans un arrêt du 24 février 202220 que la communication des informations contractuelles avant l’adhésion d’un consommateur à un contrat collectif unit-linked, d’une part, émane de l’entreprise d’assurance et de l’entreprise preneuse d’assurance agissant en tant qu’intermédiaire d’assurance et s’inscrit dans le cadre des activités auxquelles ces entreprises se livrent à titre professionnel et, d’autre part, est en relation directe avec la conclusion, par ce consommateur, d’un contrat d’assurance, au sens de la directive n° 2002/83, si bien que cette communication constitue une « pratique commerciale », au sens de la directive n° 2005/29 (pt 59).
II – Une pratique commerciale présentant un caractère déloyal
24. Concernant le caractère déloyal d’une pratique commerciale consistant à ce qu’une entreprise d’assurance rédige un contrat collectif type unit-linked de façon peu claire et imprécise, ce qui ne permet pas au consommateur qui y adhère (sur proposition d’une entreprise preneuse de ce contrat collectif) de comprendre la nature et la structuration du produit d’assurance proposé ainsi que les risques qui y sont liés, il est rappelé par la CJUE qu’il résulte de l’article 7, paragraphe 1, de la directive n° 2005/29 qu’une pratique commerciale est réputée trompeuse et constitue ainsi une pratique commerciale déloyale (au sens de l’article 5, paragraphe 4, de celle-ci) si deux conditions sont remplies (pt 61).
25. D’une part, cette pratique doit omettre une information substantielle dont le consommateur moyen a besoin, compte tenu du contexte, pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause. D’autre part, la pratique commerciale en question doit amener ou être susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement21 (pt 61).
26. En outre, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de la directive, pour autant que la seconde condition énoncée au point précédent soit remplie, une pratique commerciale est également considérée comme une omission trompeuse lorsqu’un professionnel dissimule une telle information substantielle ou la fournit de façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps22 (pt 62).
27. Or, la CJUE a déjà eu l’occasion de dire que les informations contractuelles mentionnées précédemment au point 56 de l’arrêt23 constituent des informations substantielles, au sens de l’article 7 de la directive n° 2005/2924 (pt 63). Elle a également considéré que l’omission de communiquer ces informations, leur dissimulation ou leur communication d’une façon peu claire, inintelligible, ambiguë ou à contretemps apparaissait comme étant susceptible d’amener le consommateur à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement25 (pt 64).
28. En conséquence, une telle omission dans notre cas est susceptible de constituer une pratique commerciale déloyale, au sens de l’article 5, paragraphe 4, de la directive n° 2005/29, et, plus particulièrement, d’être qualifiée d’« omission trompeuse » au sens de l’article 7 de cette directive26 (pt 65).
29. Dit plus clairement, la rédaction, par une entreprise d’assurance, d’un contrat collectif type unit-linked ne permettant pas au consommateur de comprendre la nature et la structuration du produit d’assurance proposé ainsi que les risques qui y sont liés est susceptible de constituer une « pratique commerciale déloyale », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive n° 2005/29 (pt 67).
III – Le professionnel responsable
30. S’agissant de l’attribution de la responsabilité d’une telle pratique commerciale déloyale à l’entreprise d’assurance, à l’entreprise preneuse d’assurance (ici la banque Y) ou à ces deux professionnels, la CJUE a déjà jugé que, au regard de la définition de la notion de « professionnel », figurant à l’article 2, sous b), de la directive n° 2005/29, cette directive peut trouver à s’appliquer dans une situation où les pratiques commerciales d’un opérateur sont déployées par une autre entreprise, agissant au nom et/ou pour le compte de cet opérateur, de sorte que les dispositions de la directive peuvent parfaitement, dans certaines situations, être opposables tant à l’opérateur qu’à cette entreprise, lorsque ces derniers répondent tous deux à la définition de « professionnel »27 (pt 68).
31. Mais qu’en était-il en l’occurrence ? Pour la Cour de Luxembourg, il résultait du contexte du processus d’adhésion des consommateurs à un contrat collectif unit-linked que tant l’entreprise d’assurance que l’entreprise preneuse d’assurance répondaient à la définition de « professionnel » au sens de la directive n° 2005/29.
32. Une limite est cependant apportée ici. Certes, la décision indique que ces professionnels sont tous deux individuellement responsables de la bonne exécution de l’obligation d’information précontractuelle visée à l’article 36, paragraphe 1, de la directive n 2002/83 du 5 novembre 2002, concernant l’assurance directe sur la vie28, en faveur du consommateur qui adhère à ce contrat collectif unit-linked. Cependant, ce n’est que « pour la partie de cette obligation qu’il leur appartient d’accomplir » (pt 69).
33. Ainsi, lorsque la pratique commerciale déloyale consiste dans le fait, pour l’entreprise d’assurance, d’avoir rédigé de manière trompeuse le contrat collectif type unit-linked, transmis au consommateur en temps utile avant l’adhésion de celui-ci à ce contrat collectif, cette entreprise doit, en principe, être tenue pour responsable d’une telle pratique (pt 70).
34. Mais qu’en est-il du banquier simplement intermédiaire d’assurance ? La suite de la décision nous l’indique. La responsabilité de l’entreprise preneuse d’assurance peut être retenue au titre d’autres pratiques commerciales déloyales en relation directe avec le processus d’adhésion du consommateur au contrat collectif unit-linked. Deux situations sont alors expressément citées : d’abord, le fait d’avoir « omis de fournir un complément d’informations spécifiques » (visé à arrêt, pt 5729), « concernant notamment les aspects financiers de l’investissement dans le produit d’assurance et les risques qui y sont liés, que cette entreprise, en sa qualité d’intermédiaire d’assurance, au sens de la directive 2002/92, est tenue de transmettre au consommateur » ; ensuite, le fait de ne pas avoir respecté le délai de transmission du contrat collectif type unit-linked au consommateur (situation visée à arrêt, pt 5830) (pt 71).
35. Ce passage retiendra notre attention. Il en découle que l’entreprise d’assurance a bien plus de risques de se voir reprocher une pratique commerciale déloyale que l’entreprise preneuse d’assurance. Les cas intéressant cette dernière sont bien plus résiduels.
36. Il résulte alors de cette solution que la banque, jouant ainsi le rôle d’un intermédiaire d’assurance, devrait pouvoir échapper plus facilement aux éventuelles poursuites pénales, devant le juge national, sur le fondement du délit de pratiques commerciales trompeuses.
Notes de bas de pages
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1.
Sur ce délit, JCl. Pénal des affaires, fasc. 20, Pratiques commerciales trompeuses, 2016, S. Fournier ; JCl. Communication, fasc. 3480, Pratiques commerciales trompeuses, 2023, N. Éréséo.
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2.
J. Lasserre Capdeville, « La notion moderne de publicité fausse ou de nature à induire en erreur », RRJ 2005, p. 1537.
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3.
Pour les sanctions applicables, C. consom., art. L. 132-1 à L. 132-9.
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4.
Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-88136 : Banque et droit 2016, n° 166, p. 88, obs. J. Lasserre Capdeville ; GPL 8 mars 2016, n° GPL259k8, obs. M. Roussille. La condamnation n’est cependant pas une fatalité. Pour un cas de prescription, Cass. crim., 3 déc. 2019, n° 18-86317 : Banque et droit 2020, n° 189, p. 70, obs. J. Lasserre Capdeville. Sur cette question, M. Lassalle, « Banque et pratiques commerciales trompeuses », in Le banquier face au risque pénal, 2023, LexisNexis, p. 37.
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5.
CA Lyon, 18 sept. 2013, n° 13/00651 : Banque et droit 2013, n° 152, p. 50, J. Lasserre Capdeville – T. corr. Saint-Etienne, 13 déc. 2012, n° 09000003063 : BJB avr. 2013, n° 68, p. 176, note J. Lasserre Capdeville ; D. Meynard, « Doubl’ô : une caisse d’épargne condamnée », Les Échos, 14 déc. 2012, p. 29.
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6.
T. corr. Paris, 26 févr. 2020, n° 12290076010 : GPL 2 juin 2020, n° GPL378j0, note J. Lasserre Capdeville. Le procès en appel est prévu, devant la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris, en juin 2023.
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7.
JOUE L 149, 11 juin 2005, p. 22.
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8.
CJUE, 20 juill. 2017, n° C-357/16, Gelvora UAB : D. 2017, AJ, p. 1604 ; D. 2018, p. 583, obs. H. Aubrey, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; Europe 2017, comm. 378, obs. S. Cazet ; Contrats, conc. consom. 2023, comm. 70, obs. S. Bernheim-Desvaux.
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9.
Cass. crim., 19 mars 2019, n° 17-87534 : Dalloz actualité, 11 avr. 2019, obs. L. Priou-Alibert ; AJ pénal 2019, p. 331, obs. J. Lasserre Capdeville ; Contrats, conc. consom. 2019, comm. 94, obs. S. Bernheim-Desvaux ; JCP G 2019, n° 5, 398, obs. J.-M. Brigant ; LEDC mai 2019, n° DCO112g4, obs. G. Cattalano ; RTD com. 2019, p. 512, obs. B. Bouloc ; D. 2019, p. 1208, note H. Aubry.
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10.
CJUE, 2 févr. 2023, n° C-208/21, Sąd Rejonowy dla Warszawy-Woli w Warszawie : D. 2023, p. 292 ; Dalloz actualité, 7 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; Dalloz actualité, 15 févr. 2023, obs. D. Bazin-Beust ; Europe 2023, comm. 141, obs. V. Bassani-Winckler ; Resp. civ. et assur. 2023, comm. 116, obs. P. Pierre ; JCP N 2023, n° 07-08, act. 320, obs. D. Berlin ; LEDC mars 2023, n° DCO201k3, obs. C.-M. Péglion-Zika.
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11.
Bien que n’ayant pas participé à la conception du produit d’assurance, qui avait été entièrement conçu par TUZ, Y avait formé ses employés chargés de proposer ce produit et a élaboré du matériel de formation à cet effet, validé par TUZ.
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12.
JOUE L 95, 21 avr. 1993, p. 29.
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13.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20 : Europe 2022, comm. 114, obs. V. Bassani-Winckler ; RGDA juill. 2022, n° RGA200x6, note G. Parléani ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 117, obs. P. Pierre.
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14.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 129.
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15.
PE et Cons. UE, dir. n° 2002/83, 5 nov. 2002, concernant l’assurance directe sur la vie : JOUE L 345, 19 déc. 2002, p. 1.
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16.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 82.
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17.
La suite de la décision envisage des limites : les indications en question ne doivent ainsi pas nécessairement inclure une description détaillée et exhaustive de la nature et de l’ampleur de tous les risques d’investissement liés aux actifs représentatifs du contrat collectif unit-linked, « tels que ceux découlant des spécificités des différents instruments financiers qui les composent ou des modalités techniques de calcul de la valeur de l’indice sur lequel le paiement de ces instruments financiers est fondé ».
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18.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pts 89 à 91.
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19.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 118.
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20.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 130
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21.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 131.
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22.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 132.
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23.
V. n° 20.
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24.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 133.
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25.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 134.
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26.
CJUE, 24 févr. 2022, nos C-143/20 et C-213/20, pt 135.
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27.
CJUE, 17 oct. 2013, n° C-391/12, pt 38.
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28.
Ce paragraphe 1, renvoie, concernant ces informations précontractuelles, à l’énumération de l’annexe III, point A, de la directive.
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29.
V. n° 21.
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30.
V. n° 22.
Référence : AJU008t0