Une incrimination neutralisée : l’importation de médicaments vétérinaires sans autorisation

Publié le 23/04/2018

L’arrêt rendu par la cour d’appel de Pau le 1er mars dernier en matière d’importation de médicaments vétérinaires est un arrêt pionnier : il est un des premiers, sinon le premier, à considérer que la réglementation française est contraire aux exigences du droit de l’Union européenne. Les conséquences théoriques et pratiques de cette solution sont considérables : l’incrimination d’importation de médicaments vétérinaires est neutralisée et les éleveurs poursuivis de ce chef doivent être relaxés.

CA Pau, ch. corr., 1er mars 2018, no 14/00183, D

Le droit pharmaceutique est un droit-carrefour : de multiples intérêts s’y croisent, s’y frôlent, s’y heurtent parfois. À l’intersection du droit de l’Union européenne et des législations nationales, tiraillé entre la logique du marché et la protection de la santé publique, le droit pharmaceutique est en quête permanente d’équilibre1. Les exigences qui le traversent doivent être conciliées, sous peine de remettre en cause la cohérence et la cohésion de ce corps de règles singulier. L’équilibre peut toutefois être rompu, comme l’illustre l’arrêt prononcé par la cour d’appel de Pau le 1er mars 2018 en matière d’importation des médicaments vétérinaires2.

À la suite d’une inspection des services vétérinaires menée en 2008, des médicaments vétérinaires fabriqués en Espagne ont été découverts dans un élevage situé dans le Pays basque français. Il est apparu, au cours de l’enquête préliminaire et de l’information judiciaire subséquente, que plusieurs éleveurs du sud-ouest de la France avaient, sur une période s’étendant d’octobre 2006 à octobre 2009, acquis des médicaments vétérinaires auprès d’une société établie en Espagne.

Le système était plutôt bien conçu : l’éleveur français intéressé téléphonait à un vétérinaire de nationalité espagnole, inscrit à la fois à l’ordre des vétérinaires espagnol et à l’ordre national des vétérinaires français, afin qu’il délivre les ordonnances nécessaires à l’acquisition des médicaments. Ces ordonnances étaient ensuite transmises à la société espagnole commercialisant les médicaments, de manière à ce que l’éleveur puisse les récupérer en même temps que les produits vétérinaires prescrits. L’intérêt de l’opération est économique : le coût des médicaments est moins élevé en Espagne qu’en France.

Ce système présentait pourtant un défaut : les médicaments vétérinaires ainsi obtenus étaient dépourvus de toute autorisation d’importation, au sens de l’article L. 5142-7 du Code de la santé publique. Or, en application de l’article L. 5441-8, 2°, du même code, le fait d’importer des médicaments vétérinaires sans avoir préalablement obtenu d’autorisation est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. C’est précisément sur ce fondement que les éleveurs poursuivis ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Bayonne, par jugement en date du 10 décembre 2013. Quant au vétérinaire et aux associations d’éleveurs ayant permis ou facilité les opérations commerciales litigieuses, ils ont été reconnus coupables de complicité du délit d’importation de médicaments sans autorisation.

Les condamnés ayant interjeté appel, l’affaire a été portée devant la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Pau. Cette dernière a décidé, avant de se prononcer sur le fond, de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, en particulier quant à l’interprétation à donner de la directive n° 2001/82/CE du 6 novembre 2001 instituant un Code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires. La Cour de justice a rendu son arrêt le 27 octobre 20163. Le 1er mars 2018, tirant les conséquences de la décision des juges de Luxembourg, la cour d’appel de Pau a prononcé la relaxe de l’ensemble des prévenus et a débouté les parties civiles (le conseil national de l’ordre des vétérinaires et le syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral) de leurs demandes.

Cet arrêt prononcé par la cour d’appel de Pau mérite la plus grande attention car c’est la première fois, à notre connaissance, qu’une juridiction française estime que la réglementation nationale en matière d’importation de médicaments vétérinaires n’est pas conforme au droit de l’Union européenne (I). De façon tout aussi remarquable, les juges palois en tirent la conséquence sur le plan pénal, en prononçant la relaxe des prévenus (II).

I – La non-conformité de la réglementation française au droit de l’Union européenne

L’importation des médicaments vétérinaires est strictement réglementée en droit français. D’une part, seuls les établissements pharmaceutiques vétérinaires sont autorisés à importer de tels médicaments4. D’autre part, l’importation est subordonnée, en principe, à une autorisation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail5.

Les juges palois ont d’emblée douté de la conformité de ces différentes règles nationales au droit de l’Union européenne. Ils ont donc posé une série de questions préjudicielles au juge européen, lui demandant, en substance, si les dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)6 s’opposent à une réglementation nationale réservant l’accès aux importations parallèles7 de médicaments vétérinaires aux seuls distributeurs en gros titulaires d’une autorisation – ce qui exclut de l’accès à de telles importations les éleveurs désirant importer des médicaments vétérinaires pour les besoins de leurs propres élevages.

Dans sa réponse, la Cour de justice constate d’abord que la réglementation française, en ce qu’elle exige d’un éleveur l’obtention d’une autorisation de distribution en gros afin de bénéficier d’une autorisation d’importation parallèle d’un médicament vétérinaire, « est susceptible d’entraver l’accès au marché national concerné d’un médicament vétérinaire légalement commercialisé dans l’État membre de provenance et constitue, par conséquent, une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, au sens de l’article 34 TFUE »8. Elle poursuit en rappelant qu’une telle mesure d’effet équivalent ne peut être justifiée par des raisons de protection de la santé humaine et animale que si elle est « propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre »9. Or, l’exigence d’une autorisation d’importation répond à cette condition de garantie de l’objectif de protection de la santé humaine et animale10. Cependant, imposer aux éleveurs de disposer du personnel, des locaux et des équipements adéquats, conformes aux exigences relatives à la conservation et à la manipulation des médicaments vétérinaires irait au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l’objectif de protection sanitaire11. La réglementation française qui réserve l’accès aux importations parallèles de médicaments vétérinaires aux seuls distributeurs en gros titulaires d’une autorisation est donc contraire aux articles 34 et 37 du TFUE tels qu’interprétés par la Cour de justice12.

Dans sa décision, la cour d’appel de Pau rapporte fidèlement la réponse du juge européen, mais elle ne se contente pas d’en reproduire la solution. Elle opère à son tour un contrôle de compatibilité de la réglementation nationale au droit de l’Union européenne. En particulier, elle constate que, selon l’article R. 5141-123 du Code de la santé publique, « des éleveurs désireux d’importer des médicaments vétérinaires pour les besoins de leurs propres élevages doivent obtenir une autorisation d’importation parallèle ». Or cette autorisation d’importation parallèle « est réservée aux établissements pharmaceutiques vétérinaires bénéficiant d’une autorisation d’exploitation ».

Au surplus, les juges palois relèvent que la réglementation nationale en la matière « n’a manifestement pas été pensée pour adapter les obligations de pharmacovigilance aux utilisateurs de médicaments vétérinaires que sont les éleveurs ». La cour d’appel parvient donc à la même conclusion que la Cour de justice de l’Union européenne : « Sauf à se transformer en établissements pharmaceutiques vétérinaires et obtenir une autorisation d’exploitation, les éleveurs ne peuvent, en l’état de la réglementation issue du décret du 27 mai 2005, prétendre obtenir une autorisation d’importation parallèle de médicaments vétérinaires pour les besoins de leurs propres élevages ». Partant, « la réglementation française prive les éleveurs de l’accès à la procédure simplifiée qu’impose le droit européen et qui leur permettrait de procéder à ces importations parallèles pour les besoins de leurs exploitations ».

La conclusion est remarquable car c’est, semble-t-il, la première fois qu’une juridiction française considère que les règles nationales d’importation des médicaments vétérinaires sont contraires au droit européen. C’est un arrêt pionnier que la cour d’appel de Pau a prononcé. La tendance habituelle des juridictions françaises est en effet d’appliquer purement et simplement le Code de la santé publique, en écartant tout argument tiré d’une éventuelle contrariété au droit de l’Union. C’est ce qui ressort d’un arrêt prononcé le 1er juin 1999 par la chambre criminelle de la Cour de cassation13, ainsi que de plusieurs décisions récemment rendues par des juridictions du fond14.

Allant jusqu’au bout de la logique, les juges palois ont alors tiré la conséquence pénale de la non-conformité de la réglementation française au droit de l’Union européenne.

II – La conséquence pénale du constat de non-conformité

Dès lors que les règles nationales d’importation des médicaments vétérinaires sont jugées contraires au droit européen, la conséquence est inéluctable : le juge doit en écarter l’application. Mais il faut aller plus loin dans le raisonnement. Si les textes imposant une autorisation d’importation sont inapplicables, il n’est alors plus possible de sanctionner pénalement leur non-respect. Le constat de la non-conformité du droit français au droit de l’Union européenne entraîne logiquement la neutralisation de l’incrimination d’importation de médicaments vétérinaires sans autorisation.

La cour d’appel de Pau l’exprime dans des termes à la fois solennels et limpides : « Au nom du principe de primauté du droit de l’Union, application de la règle de prééminence des traités sur la loi, définie par l’article 55 de la Constitution, il appartient au juge pénal, comme l’a retenu la Cour de cassation dans plusieurs arrêts, d’écarter l’application d’un texte d’incrimination de droit interne qui méconnaîtrait une disposition de droit communautaire issue des traités ou des textes pris pour leur application ». Les juges n’entrent pas dans le détail des précédents, mais force est de reconnaître que leur assertion est exacte : dans une série d’arrêts, la chambre criminelle de la Cour de cassation a affirmé la prééminence du droit de l’Union européenne sur le droit interne, autorisant du même geste les juges du fond à neutraliser toute incrimination qui contreviendrait aux libertés communautaires15. Une telle solution, respectueuse de la hiérarchie des normes16, avait d’ailleurs été suggérée par la jurisprudence européenne17. Neutralisée, l’incrimination est comme frappée d’inexistence juridique18 : pour la cour d’appel, « on ne peut imputer pénalement aux prévenus éleveurs en cause, une importation sans autorisation, certificat ou enregistrement, alors qu’en infraction avec le droit communautaire, la réglementation nationale leur interdit l’accès à une telle autorisation ». Les éleveurs sont donc relaxés.

Quant aux parties civiles déboutées, elles ont exprimé leur intention de former un pourvoi en cassation. Il est toutefois difficile de penser que la chambre criminelle ne se rangera pas aux arguments développés par la Cour de justice de l’Union européenne et repris par la cour d’appel de Pau.

Si cette position jurisprudentielle se confirme, une réécriture des textes applicables à l’importation des médicaments vétérinaires est indispensable. En effet, il n’est guère concevable de laisser la situation juridique en l’état, c’est-à-dire de permettre une telle importation sans aucune autorisation. La Cour de justice de l’Union européenne l’affirme dans son arrêt du 27 octobre 2016 : « L’article 5, paragraphe 1, de la directive n° 2001/82 exige qu’aucun médicament vétérinaire ne soit mis sur le marché d’un État membre sans qu’une AMM ait été accordée par les autorités compétentes de cet État membre, conformément à cette directive » ; et la Cour d’ajouter qu’« une telle exigence vaut même lorsque le médicament concerné bénéficie déjà d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’autorité compétente d’un autre État membre, étant donné que la directive n° 2001/82 exige qu’une autorisation préalable soit obtenue auprès de l’autorité compétente de chaque État membre dans lequel un tel médicament est mis sur le marché et utilisé »19.

Quelle solution envisager dès lors ? Pour la Cour de Luxembourg, la réglementation nationale ne doit pas réserver les importations parallèles aux distributeurs en gros et exclure les éleveurs souhaitant importer des médicaments vétérinaires pour les besoins de leurs propres élevages. Pourquoi ne pas imaginer un dispositif normatif qui continuerait à imposer une autorisation d’importation, à l’image de l’actuel article L. 5142-7 du Code de la santé publique, mais qui serait assorti d’un régime dérogatoire en faveur des éleveurs ? À cet égard, l’article L. 5143-6 du même code pourrait être une source d’inspiration : il autorise certaines entités collectives (groupements de producteurs, groupements professionnels agricoles, groupements de défense sanitaire) à acheter, détenir et délivrer à leurs membres, sous certaines conditions, des médicaments vétérinaires20. Il ne serait pas absurde, sur ce modèle, de permettre à des groupements d’éleveurs d’importer des médicaments vétérinaires afin de pourvoir aux besoins de leurs élevages. Les intérêts en jeu seraient, dans cette mesure, rééquilibrés.

  

Notes de bas de pages

  • 1.
    Leca A. et Lami A., Droit pharmaceutique, 9e éd., 2017, LEH éd., p. 76.
  • 2.
    CA Pau, ch. corr., 1er mars 2018, n° 14/00183, D. Nous remercions sincèrement notre collègue P.-Y. Ardoy pour son rôle décisif dans la diffusion de cet arrêt.
  • 3.
    CJUE, 27 oct. 2016, n° C-114/15, Association des utilisateurs et distributeurs de l’agrochimie européenne (Audace) et a. : RD rur. 2017, comm. 129, Petit Y.
  • 4.
    CSP, art. L. 5142-1.
  • 5.
    CSP, art. L. 5142-7 ; CSP, art. R. 5141-123 et s.
  • 6.
    TFUE, art. 34 et 36.
  • 7.
    Une importation parallèle consiste « en l’importation sur le territoire d’un État membre de l’UE, dans lequel le prix d’un médicament est élevé, du même médicament, préparé ou acheté dans un autre État membre, dans lequel le prix d’achat est plus bas » (Mascret C., « Importation parallèle de médicaments au sein de l’Union européenne et droit des marques », RDSS 2007, p. 725).
  • 8.
    CJUE, 27 oct. 2016, n° C-114/15, § 67.
  • 9.
    CJUE, 27 oct. 2016, n° C-114/15, § 69.
  • 10.
    CJUE, 27 oct. 2016, n° C-114/15, § 72.
  • 11.
    CJUE, 27 oct. 2016, n° C-114/15, § 73.
  • 12.
    CJUE, 27 oct. 2016, n° C-114/15, § 75.
  • 13.
    Cass. crim., 1er juin 1999, n° 98-84504 : Bull. crim., n° 117.
  • 14.
    Dans leur communiqué de presse du 8 mars 2018, le conseil national de l’ordre des vétérinaires et le syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral font ainsi valoir que la décision de relaxe rendue par la cour d’appel de Pau « est en contradiction avec celles rendues le 19 décembre 2017 par la cour d’appel de Bordeaux, le 21 décembre par le tribunal correctionnel de Vannes et le 16 janvier 2017 par le tribunal correctionnel de Lorient qui […] ont condamné des éleveurs des Deux-Sèvres et de Bretagne pour des faits similaires, commis durant la même période ».
  • 15.
    Cass. crim., 21 févr. 1994, n° 92-81421 : Bull. crim., n° 74 – Cass. crim., 14 mars 1996, n° 95-81137 : Bull. crim., n° 115 – Cass. crim., 18 sept. 1997, n° 93-80109 : Bull. crim., n° 305.
  • 16.
    Fourgoux J.-C., « L’influence du droit communautaire sur l’existence des infractions en droit pénal économique », in Le champ pénal – Mélanges en l’honneur du professeur Reynald Ottenhof, 2006, Dalloz, p. 423.
  • 17.
    CJCE, 9 mars 1978, n° 106/77, Simmenthal : Rec. CJCE, p. 629 – CJCE, 25 févr. 1988, n° C-299/86, Drexl : Rev. sc. crim. 1988, p. 591, obs. Bonichot J.-C.
  • 18.
    Huet A. et Koering-Joulin R., Droit pénal international, 3e éd., 2005, PUF, Thémis, p. 66. V. aussi Bouloc B., « L’influence du droit communautaire sur le droit pénal interne », in Mélanges offerts à Georges Levasseur, 1992, Litec, p. 110.
  • 19.
    CJUE, 27 oct. 2016, n° C-114/15, § 49.
  • 20.
    JCl. Lois pénales spéciales, V° « Animaux – Pharmacie vétérinaire », Bareït N., fasc. 30, n° 89-92.
LPA 23 Avr. 2018, n° 135f1, p.15

Référence : LPA 23 Avr. 2018, n° 135f1, p.15

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