Focus sur le rôle du PNF dans la lutte contre la grande délinquance fiscale
La Chancellerie précise le rôle stratégique du Parquet national financier (PNF) en matière de fraude fiscale. Le texte revient sur les priorités d’actions du PNF, sur son articulation avec celle du nouveau Parquet européen et sur le développement des modes alternatifs de règlement des litiges.
Dans le cadre du renforcement de la lutte contre la fraude fiscale et dans la foulée de la révélation de l’affaire des Pandora Papers, la Chancellerie a transmis une circulaire publiée le 8 octobre dernier au Bulletin officiel du ministère de la Justice, destinée aux procureurs généraux et aux procureurs de la Républiques (circ., 4 oct. 2021, relative à la lutte contre la fraude fiscale : v. Y. Broussolle, « Les principales dispositions de la circulaire du 4 octobre 2021 de lutte contre la fraude fiscale »). Cette circulaire fait le point sur le rôle central du Parquet national financier en matière de grande délinquance fiscale.
Un parquet spécialisé et autonome
Créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le Parquet national financier est entré en activité le 1er février 2014. Sa création a répondu à des impératifs de transparence démocratique et de lutte contre les formes de fraudes les plus graves aux finances publiques et les atteintes à la probité. Elle s’est inscrite dans le cadre d’une stratégie politique globale, puisqu’en 2013, ont aussi été créés la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). L’arsenal de la lutte anticorruption a été complété avec la création de l’Agence française anticorruption (AFA), par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. Il s’agit d’un parquet à compétence nationale qui enquête sur des infractions commises sur l’ensemble du territoire français. C’est aussi un parquet spécialisé dont l’action est ciblée sur les enquêtes pénales les plus complexes dans le domaine de la délinquance économique et financière. C’est un parquet autonome dont les procédures sont jugées par la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris.
Le bilan 2020 en chiffres
En 2020, le total des amendes pénales prononcées s’est élevé à 2,1 milliards d’euros. Des confiscations (comptes bancaires, titres financiers, véhicules, immeubles) ont été prononcées à hauteur de 121,9 millions d’euros. Le montant des dommages et intérêts accordés à l’État, lorsque l’administration fiscale se constitue partie civile à l’audience, atteint 18,7 millions d’euros. Cette administration a également recouvré 8,1 millions d’euros au titre des contrôles fiscaux réalisés à l’occasion de procédures achevées par le PNF en 2020. Le montant des sommes prononcées en faveur du Trésor public dans les procédures terminées en 2020 s’élève ainsi à 2,2 milliards d’euros.
57 personnes, dont quatre personnes morales, ont été condamnées en 2020 dont 24 à une peine d’emprisonnement ferme (soit environ 45 % des personnes physiques condamnées). Deux mandats d’arrêt ont été délivrés par le tribunal (six autres mandats d’arrêt ont vu leur force exécutoire conservée ou leurs effets maintenus). 30 personnes ont été soumises à une interdiction professionnelle.
Les priorités de la l’action du PNF
Le Parquet national financier est l’interlocuteur judiciaire naturel des directions nationales de contrôle fiscal de la DGFiP ainsi que des services enquêteurs à compétence nationale intégrant des officiers fiscaux judiciaires (OCLCIFF, SEJF). Il a vocation à connaître, dans son champ de compétence défini par l’article 705 du Code de procédure pénale, des dossiers les plus complexes de fraude fiscale et de blanchiment de ce délit. À ce titre, précise la circulaire du 4 octobre 2021, doit constituer un des axes prioritaires de l’action du PNF le traitement de la fraude fiscale sophistiquée des personnes physiques, consistant en une dissimulation d’actifs ou de patrimoine à l’étranger, particulièrement lorsqu’elle est susceptible de provoquer un fort retentissement national ou international, ou lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre de révélations d’ampleur, type dossiers « leaks » ou « papers », qui nécessitent de mettre en place une réponse harmonisée sur le territoire. Autre axe prioritaire d’intervention du PNF : la poursuite des fraudes de haute technicité et de grande ampleur commises par les personnes morales (problématiques de prix de transfert, d’abus de droit, d’établissement stable). Il en est de même de la mise en cause de la responsabilité pénale des facilitateurs de la fraude fiscale complexe ainsi que de son blanchiment, notamment les intermédiaires institutionnels bancaires et financiers ainsi que les conseils juridiques. En revanche, la circulaire relative à la lutte contre la fraude fiscale publiée par la Chancellerie précise que la compétence du PNF en matière d’escroquerie à la TVA pourra, en revanche, trouver à s’exercer de façon plus résiduelle, en raison du partage de celle-ci avec les JIRS, la JUNALCO et le Parquet européen. À cet égard, le PNF se prépare en liaison avec les procureurs européens délégués (PED) français à mettre en place les meilleures conditions pour créer une synergie entre les deux institutions et une bonne coopération dans les affaires individuelles. Précisons enfin que PNF est rendu destinataire par l’administration fiscale de l’ensemble des plaintes sur présomptions caractérisées de fraude fiscale. Il lui appartient de se dessaisir dans de brefs délais, le cas échéant, au profit de la JIRS territorialement compétente, lorsque les dossiers ne lui apparaissent pas répondre pas aux critères de complexité justifiant qu’il demeure saisi.
Le rôle du Parquet européen
Le Parquet européen est entré en fonction le 1er juin 2021, une étape dans la création d’un espace commun de justice pénale dans l’Union européenne. La création du Parquet européen a été l’une des grandes priorités politiques de la Commission européenne. Siégeant au Luxembourg, le Parquet européen fonctionne comme un parquet unique aux 22 États membres participants. Sa création correspond à la volonté des 22 pays de l’Union européenne de lutter contre la fraude transnationale. Son montant annuel est estimé à 50 milliards d’euros par année, d’après les institutions européennes. Ajoutons que d’après les calculs des États membres, environ 638 millions d’euros provenant des fonds structurels de l’Union européenne ont été détournés en 2015. Jusqu’ici, les possibilités pour lutter contre la fraude transnationale étaient limitées dans la mesure où les compétences des juridictions nationales pour lutter contre la criminalité financière transfrontière sont limitées à leurs frontières nationales. Et les autres organes de l’Union européenne déjà en activité comme l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) ou l’Unité européenne de coopération judiciaire (Eurojust), ne peuvent procéder à des enquêtes et à des poursuites pénales dans les États membres. Premier parquet indépendant et décentralisé de l’Union européenne, ce nouvel organisme de lutte contre les infractions au budget de l’Union européenne a le pouvoir de rechercher, poursuivre les auteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne (fraude à la TVA, détournement de fonds européens, corruption, blanchiment d’argent). Le Parquet européen a également le pouvoir de les renvoyer en jugement devant les juridictions nationales. Il peut mener des enquêtes et porter l’action publique auprès des juridictions nationales. Le Parquet européen ouvre des enquêtes transfrontalières pour les dossiers de fraude transnationale d’un montant supérieur à 10 000 euros ou en cas de fraude transfrontalière à la TVA ayant entraîné un préjudice de plus de 10 millions d’euros. En application du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, cette nouvelle institution est en effet compétente en matière de fraude à la TVA lorsque les faits « ont un lien avec le territoire de deux États membres ou plus et entraînent un préjudice d’un montant total d’au moins 10 millions d’euros ».
L’essor des modes alternatifs de réponse pénale
La circulaire du 4 octobre 2021 transmise par la Chancellerie encourage le recours aux procédures de comparution préalable sur reconnaissance de culpabilité (CRPC) et de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), notamment pour les dossiers à fort enjeu. Précisons qu’en la matière le bilan de l’année 2020 dressé par le PNF est encourageant. L’année 2020 a, en effet, été marquée par l’essor en matière fiscale de la CRPC. Dix CRPC ont ainsi été conclues par le PNF à l’issue de procédures pénales visant des faits de fraude fiscale et/ou de blanchiment de fraude fiscale. Ce recours accru à une procédure négociée a été rendu possible par une double évolution du cadre législatif : l’ouverture de la procédure de CRPC aux délits de fraude fiscale, jusqu’à présent exclus de son champ, par la loi du 23 octobre 2018 (L. n° 2018-898, 23 oct. 2018), et le rehaussement d’un à trois ans du maximum de la peine d’emprisonnement proposable dans le cadre d’une CRPC par la loi du 23 mars 2019 (L. n° 2019-222, 23 mars 2019). L’accroissement notable du nombre de poursuites exercées par voie de CRPC s’explique par l’entrée dans une phase de poursuites des enquêtes ouvertes ces dernières années par le PNF en matière d’atteintes aux finances publiques ainsi que par l’intérêt grandissant des justiciables et de leurs avocats pour les modes alternatifs de réponse pénale. Le bilan s’avère également positif en matière de CJIP. Le PNF a signé une CJIP très remarquée avec la société Airbus, qui a été validée par le tribunal judiciaire de Paris le 31 janvier 2020. Elle a comporté une amende record de 2,08 milliards d’euros et a permis au PNF d’avoir un rôle de tout premier plan puisqu’il lui est revenu de coordonner la CJIP française avec les deux Deferred Prosecution Agreements anglo-saxons prévus, pour un montant total de 3,6 milliards d’euros.
Référence : AJU002m7