Laura Témin : l’avocate qui défend ceux et celles que l’on surnomme les « mules »
Le tribunal de Créteil traite des dizaines de dossiers de « mules » par jour. Les « mules », ce sont les personnes suspectées d’avoir transporté de la cocaïne depuis Cayenne. Arrêtées à Orly, elles sont jugées en comparution immédiate à Créteil avant d’être écrouées à Fresnes. Une trajectoire quasi automatique, des peines standardisées, que déplorent les avocats accompagnant ces personnes.
Installée à Vincennes, Me Laura Témin est spécialisée en droit pénal. Quand elle a travaillé sur son premier cas commis d’office, elle est tombée sur un os en défendant en audience de comparution immédiate Julie Suarez, une femme accusée d’avoir transporté de la drogue depuis la Guyane. Depuis, elle se bat pour que les transporteurs de cocaïne entre Cayenne et Paris jugés à Créteil, souvent primo-délinquants, bénéficient comme tous les justiciables de l’individualisation des peines. Car malheureusement, de leur arrestation à Orly à leur incarcération à Fresnes, en passant par leur jugement express à Créteil, les « mules » semblent victimes d’une justice relativement déshumanisante.
« Incarcérées sans même avoir été jugées, le sort des tristement surnommées les “mules” », voici le titre que Me Laura Témin, inscrite au Barreau de Créteil, a choisi pour sa plaidoirie proposée au concours de plaidoirie pour les droits de l’Homme 2021. Dans le cadre solennel du Mémorial de Caen, ses mots ont fendu les cœurs de l’auditoire, à défaut malheureusement de convaincre systématiquement les juges d’application des peines, selon elle sourds au sort des transporteurs, comme elle préfère les appeler. « Les mules, on ne les juge pas, on les dresse, on les domine… ce ne sont pas des humains mais le croisement entre l’âne et la jument », précise-t-elle dans son discours.
Des peines automatiques et disproportionnées
C’est l’histoire de Julie Suarez que la jeune avocate a choisi pour illustrer la situation vécue par les transporteurs, arrêtés à leur arrivée à Paris. Sa cliente, assistante comptable sous le coup d’un mandat d’expulsion, mère de deux enfants et ayant à charge le soin de sa mère malade, se serait vue contrainte d’accepter une mission de transport de cocaïne de Cayenne à Paris. 4 000 euros, c’était la somme qui lui était promise et qui aurait mis sa famille hors de danger. « Elle cherchait du travail depuis des mois, cette somme proposée par les commanditaires, elle l’a considérée comme une bouée de sauvetage », nous dit-elle. Malgré ces faits, qui correspondent à une réalité socio-économique en Guyane (où le taux d’activité des 15-64 est de 54 % contre 72 pour la métropole), l’avocate, rappelant la gravité du délit, s’est étonnée de la peine qui a été énoncée après une audience de 15 minutes seulement. Un an de prison ferme, même si sa cliente était primo-délinquante, elle n’a pas bénéficié de sursis, de bracelet électronique ou d’aménagement de peine étant donné sa situation de soutien de famille. « J’avais pourtant joint tous les justificatifs dans la procédure ».
Depuis ce mois de septembre 2019, l’avocate a défendu de très nombreuses personnes dans le même cas que Julie Suarez. Des personnes qui ont transporté d’un point A à un point B, dans des valises ou leurs systèmes digestifs, de la drogue pour le profit des narcotrafiquants. « La justice traite de façon systématique ces personnes uniquement comme des auteurs d’infractions, les magistrats ont tendance à mettre tout le monde dans le même sac. Les peines ne reflètent pas le fait qu’il y ait eu distinction entre la personne qui agit par appât du gain et celle qui a été la cible des trafiquants, qui parfois a été forcée de transporter la drogue ou qui a agi par désespoir. Avec des situations différentes on ne peut pas avoir les mêmes peines, c’est le droit. Or on se retrouve schématiquement avec des peines forfaitaires correspondant à “un kilo transporté, un an de prison ferme”, alors que les transporteurs ne savent pas combien ils transportent… ces peines n’ont donc aucun sens au niveau du droit pénal ».
Selon l’avocate, qui a interrogé de nombreux confrères ayant défendu des transporteurs dans des circonstances similaires, cette règle tacite est une violation du Code de procédure pénale. Elle y voit également les conséquences d’une politique du chiffre et d’une volonté politique (qui se justifie par ailleurs) de lutter efficacement contre le trafic, en punissant de manière sévère les prévenus arrêtés en nombre dans les aéroports franciliens. Une politique qui se retrouve noir sur blanc dans les recommandations formulées par le rapport du Sénat : « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l’urgence d’une réponse plus ambitieuse », datant de septembre 2020. Celui-ci recommandait un renforcement de la politique répressive à l’encontre des transporteurs. « Pourtant, personnaliser les peines cela ne veut absolument pas dire que l’on minimise la gravité du trafic de stupéfiant », soutient l’avocate qui reconnait que ce type de dossiers encombre un tribunal déjà sous pression. Dans ce rapport, on trouve un chiffre : « en 2019 à Créteil, entre 11 et 32 % des comparutions immédiates étaient liées au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane ». Il faut noter qu’en Guyane, un autre dispositif a été adopté : le recours à l’incarcération systématique est de plus en plus abandonné au profit de convocations, et une politique de prévention ambitieuse contre la récidive est en train d’être mise en place.
L’article 8 de la Convention des droits de l’Homme foulé du pied
Mais la situation des « mules » ne s’arrête pas à ce constat sur la forfaitisation des peines encourues pour transport de drogues entre Cayenne et Orly. Sitôt les peines prononcées, les prévenus sont acheminés vers le centre pénitenciaire de Fresnes, le point noir des lieux de privation de libertés en Île-de-France. Une prison déjà en situation de surpopulation carcérale citée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt daté du 30 janvier 2020. « À Fresnes, dans le quartier des femmes, quasiment 70 % des détenues ont été jugées pour transport de cocaïne depuis la Guyane », établit l’avocate qui décrit un enfer pour ses clients et clientes (selon le rapport du Sénat, il y a un tout petit peu plus de femmes que d’hommes visées par les trafiquants pour le transport). Le juge d’application des peines, Pierre Jourdin, interrogé par des confrères, a indiqué le chiffre de 60 %.
Laura Témin voit dans ce fonctionnement une violation de l’article 8 de la Convention des droits de l’Homme qui rappelle que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». En effet, aucun lien familial ne peut être maintenu entre les détenues et leurs familles, qu’un océan et plusieurs fuseaux horaires séparent. De plus, la prison ne dispose d’aucun traducteur en portugais, langues créoles et amérindiennes qui pourrait aider certaines d’entre elles à trouver leurs marques dans l’enceinte carcérale. Cette mission est souvent à la charge d’une codétenue. Quant à l’accompagnement pour la réinsertion, il est plus que minimal : seules deux conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation sont mises à leur disposition et aucune formation ne leur serait proposée (modules surchargés).
« Ces femmes quittent leurs familles pour quelques jours, et tout s’arrête : les enfants se retrouvent sans mère, et sans parloir il y a une rupture absolue de lien entre les familles. Et l’enfer ne s’arrête pas à Fresnes : quand elles rentrent, elles doivent payer une dette aux trafiquants, et une amende douanière basée sur le prix de vente au gramme de la marchandise (pouvant donc atteindre plus de 100 000 euros) », s’attriste l’avocate.
Écoeurée par ce système dans le système, l’avocate et ses confrères ont décidé de ne pas abandonner le combat pour que les transporteurs bénéficient d’une justice équitable, après leur arrestation à Orly. Elle espère aussi que les efforts de police seront entrepris pour que les petites mains ne soient pas les seules à finir dans des menottes.
Référence : AJU001x6