Apologie du terrorisme : précisions sur la proposition d’abrogation d’Ugo Bernalicis

Publié le 27/11/2024

Selon le député LFI Ugo Bernalicis, des abus, parmi lesquels la condamnation en avril d’un responsable de la CGT, imposeraient d’abroger le délit d’apologie du terrorisme. Il a déposé une proposition de loi en ce sens le 19 novembre dernier. Emmanuel Derieux, professeur émérite de l’université Paris II Panthéon-Assas et auteur du Manuel de Droit des médias (LGDJ 2023), nous éclaire sur les enjeux de cette proposition. 

Apologie du terrorisme : précisions sur la proposition d'abrogation d'Ugo Bernalicis
L.Bouvier/AdobeStock

La proposition de loi, de M. Ugo Bernalicis et de ses collègues députés de La France insoumise-LFI, « visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du Code pénal » mérite que soient apportées ici quelques précisions : sur le contenu des dispositions en vigueur ; les effets de la loi du 13 novembre 2014, ayant entraîné leur transfert de la loi du 29 juillet 1881 au Code pénal ; et ceux qui découleraient de son adoption.

 Contenu des dispositions en vigueur

 Les dispositions contestées, aujourd’hui en vigueur, sont notamment celles de l’article 421-2-5 du Code pénal. Celui-ci réprime de « cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » le « fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes ».

Tenant compte des risques encourus du fait des facilités d’expression offertes désormais, à tous, par les services de communication au public en ligne, il ajoute que les peines sont alors « portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende ».

De manière complémentaire, il est posé, par l’article 706-23 du Code de procédure pénale, que « l’arrêt d’un service de communication au public en ligne peut être ordonné par le juge des référés pour les faits prévus à l’article 421-2-5 du Code pénal lorsqu’ils constituent un trouble manifestement illicite ».

L’article 6 -IV-A de la loi n° 2004-575, du 21 juin 2004, « pour la confiance dans l’économie numérique » (LCEN) ajoute que « les personnes dont l’activité consiste à fournir des services d’hébergement concourent à la lutte contre la diffusion de contenus constituant les infractions mentionnées », parmi d’autres, aux articles 421-2-5 du Code pénal.

Tandis que l’article 6-1 de la même loi de juin 2004 dispose notamment : que « lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l’apologie de tels actes relevant de l’article 421-2-5 du Code pénal […] le justifient, l’autorité administrative » (l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication) « peut demander à toute personne dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne ou aux fournisseurs de services d’hébergement de retirer les contenus qui contreviennent » à cette disposition ; qu’ « elle en informe simultanément les fournisseurs de services d’accès à internet » ; et que, « en l’absence de retrait de ces contenus dans un délai de vingt-quatre heures, l’autorité administrative peut notifier aux fournisseurs de services d’accès à internet la liste des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant […] Ces personnes doivent alors empêcher sans délai l’accès à ces adresses ».

Effets de la loi du 13 novembre 2014

 C’est par la loi n° 2014-1353, du 13 novembre 2014, « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme », que les dispositions relatives à l’apologie et à la provocation à des actes de terrorisme ont été transférées, de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, « sur la liberté de la presse » et de tous autres formes et moyens de publication, à l’article 421-2-5 du Code pénal.

Contrairement ce qui est prétendu par certains, ce transfert n’a pas eu pour effet de faire de l’apologie et de la provocation à des actes de terrorisme une nouvelle infraction pénale, précédemment réprimée – certes, moins sévèrement – par la loi (pénale) de 1881, mais seulement d’en faire échapper la poursuite et la répression à certaines des particularités de procédure (délai de prescription, initiative de l’action, exigence d’une exacte qualification des faits reprochés, exclusion de la comparution immédiate…), qui, au nom d’une protection renforcée de la liberté d’expression, font obstacle à la répression des abus de cette liberté tels pourtant que définis par la même loi, tandis que s’applique cependant le régime de responsabilité dite « en cascade » faisant remonter celle-ci au directeur de la publication, à titre d’auteur principal.

Effets qui découleraient de l’adoption de la proposition de loi

Selon son intitulé, la présente proposition de loi viserait « à abroger le délit d’apologie du terrorisme du Code pénal », aux fins de renforcer la liberté d’expression et, très immédiatement, sinon principalement, de faire échapper certains des signataires du texte à des menaces de condamnation pour des propos qui leur sont reprochés.

Aux termes de son « exposé des motifs » : « les moyens de la lutte antiterroriste en France ont régulièrement été détournés de leur objet par les Gouvernements en place pour réprimer la liberté d’expression » ; « avec la création de deux délits spécifiques, à savoir la provocation à la commission d’actes terroristes et l’apologie du terrorisme, par la loi du 13 novembre 2014 » (qui ne les a pas véritablement « créés », mais en a seulement transféré la définition, telle qu’elle figurait, jusque-là, dans la loi de 1881, dans le Code pénal, ladite proposition mentionne elle-même que « les propos incriminés […] étaient auparavant traités dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881 ») ; et « cette évolution législative a pour conséquence directe de permettre le recours aux règles de droit commun de la procédure pénale et non à celles qui sont, dans notre République, spécifiques à la répression des abus de la liberté d’expression ».

Y est dénoncé le fait : que, « au nom de l’‘apologie du terrorisme’, les moyens de police, de justice sont détournés pour en faire le lieu de règlement de débats politiques » ; et que « c’est la liberté d’expression qui fait l’objet d’un véritable activisme de surveillance par les autorités de l’État », en raison de « l’instrumentalisation de cette notion d’‘apologie du terrorisme’ ». Il y est encore considéré, prétendus exemples et points de vue à l’appui, que, « s’il est justifié que, au regard des nombreux propos tenus par des personnes glorifiant les crimes et massacres commis ou incitant à en commettre d’autres aient donné lieu à des condamnations […] un certain nombre de procédures déclenchées sont extrêmement inquiétantes et révèlent une attaque sans précédent conte la liberté d’expression dans notre pays ». En conséquence, il est posé que ladite « proposition de loi s’inscrit dans une volonté de préserver la liberté d’expression », et que, à cette fin, elle « clarifie donc le droit pénal en expurgeant le recours à la notion d’apologie du terrorisme, et renvoie donc au droit précédent relevant de la loi du 29 juillet 1881 pour les faits relevant des délits d’apologie de crime, d’apologie de crime de guerre, d’apologie de crime contre l’humanité » (tels que visés, sinon pourtant plus clairement et précisément définis, par les articles 24 et 24 bis de ladite loi du 29 juillet 1881).

En conséquence, l’article 1er de cette proposition de loi dispose que « l’article 421-2-5 du code pénal est abrogé », sans prévoir nullement, contrairement à ce qui est prétendu, la réintégration du délit spécifique d’« apologie du terrorisme » dans la loi du 29 juillet 1881.

Un nécessaire bilan d’application

Les infractions de provocation et d’apologie du terrorisme ne sont-elles pas d’une nature et d’une gravité particulières, justifiant, dans le contexte national et international actuel, contrairement à ce qui serait fait par la présente proposition de loi, de les définir comme telles et de déterminer, à leur égard, des peines spécifiques, dans la loi du 29 juillet 1881 ou dans le Code pénal, dont les dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution (Conseil constitutionnel, 18 mai 2018, n° 2018-706 QPC), confiant aux juges le soin d’en faire, dans des cas d’espèce, une juste application, avec toutes les garanties du respect des règles de procédure, du contradictoire, des droits de la défense et des voies de recours, jusqu’à la possible saisine de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 2 octobre 2008, Leroy c. France, n° 36109/03) ?

Consacrant le principe de liberté de communication, les textes fondamentaux nationaux, européens et internationaux, prévoient cependant : la nécessité de « répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 11) ; ou que l’exercice de cette liberté « comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique » (Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, article 10).

Il est par ailleurs bien étrange de dénoncer, comme le fait l’exposé des motifs de la proposition de loi, de prétendues atteintes à la liberté d’expression, du fait de l’application des dispositions contestées dont est souhaitée l’abrogation, sans attendre les enseignements du rapport qui, aux termes des articles 2 et 3 de la même proposition de loi, il serait demandé au Gouvernement de remettre « sur l’utilisation de l’article 421-2-5 du Code pénal par les institutions judiciaires depuis son inscription dans le Code pénal », comparativement à ce qu’il en était lorsque ladite infraction d’apologie du terrorisme relevait de la loi de 1881.

Ne convient-il pas de faire le bilan de l’application des dispositions en cause, avant d’en envisager l’abrogation ?

 

 

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