Assassinat de Samuel Paty : Portrait des auteurs des vidéos contre l’enseignant

Publié le 09/11/2024

La présentation des accusés au travers des rapports des enquêteurs de personnalité permet de se pencher sur le parcours des intéressés, en mettant de côté le fond du dossier qui sera abordé plus tard. Après les amis du terroriste (notre article), voici le portrait des deux hommes accusés d’avoir diffusé des vidéos mettant en cause Samuel Paty sur les réseaux sociaux (2/3).

 

Assassinat de Samuel Paty : Portrait des auteurs des vidéos contre l’enseignant
Entrée de la salle des grands procès (Photo : ©P. Cabaret)

Brahim Chnina est âgé de 52 ans, mais il en parait 20 de plus lorsqu’il se lève dans le box, mercredi novembre, pour parler de sa vie. C’est le père de la collégienne qui a accusé à tort Samuel Paty. La justice lui reproche d’avoir diffusé sur les réseaux sociaux des informations et des vidéos, avec Abdelhakim Sefrioui, stigmatisant le professeur et le désignant comme une cible, ainsi que d’avoir publié des renseignements précis sur l’identité de celui-ci et son lieu d’exercice du professeur.

Le père de substitution de sa fratrie

En prison depuis un peu plus de quatre ans, il est atteint de multiples pathologies plus fréquentes à 70 ans qu’à son âge. Cheveux gris, barbe grise, chemise parme et pull en V gris, son allure est soignée et il se prête de bonne volonté à l’exercice judiciaire. L’enquêtrice de personnalité, qui l’a rencontré en détention en 2021, décrit un homme « respectueux et prolixe ». Brahim Chnina, né en 1972 à Oran, est le cadet d’une famille de cinq enfants. Il a six ans lorsque sa famille est obligée de quitter en urgence l’Algérie pour le Maroc, pays d’origine de son père, en raison de la crise du Sahara occidental. À 10 ans, sa famille arrive en France et s’installe à Melun.

Il décrit un père travailleur, une mère aimante, musulmans non pratiquants, qui lui ont enseigné une double culture française et marocaine dans le respect de quelques principes, comme la laïcité.  En 1984, c’est le drame, son plus jeune frère est atteint d’une maladie orpheline nécessitant de longues hospitalisations. Brahim Chnina est traumatisé par la situation. Est-ce cela qui le poussera ensuite à travailler pour les personnes ayant des problèmes de santé ? Sa mère repart au Maroc, il reste en France avec son père. Peu à peu, il devient le père de substitution, au détriment de ses études. Bien que bon en maths, il met un terme à sa scolarité à l’âge de 20 ans sans avoir décroché le bac. La suite est une longue série de formations, de périodes de chômage, de congés maladie, entrecoupées de courtes expériences professionnelles. En 2008, il devient l’aidant de son frère handicapé, rémunéré en chèques-service. Mais celui-ci meurt en 2012. Un traumatisme terrible pour Brahim Chnina.  Ce n’est qu’en  2015, qu’il retrouve un travail dans le transport à la personne, puis monte l’association Aide-moi dont il est salarié. Lors de son arrestation, il exerçait dans l’aide à domicile. Jusqu’à son arrestation.

« L’homme l’a séduite en lui promettant le paradis et il l’a emmenée en enfer »

Côté vie privée, il se marie religieusement avec sa femme qui a déjà un fils et avec laquelle il aura six filles. L’épouse a un caractère assez fort, ce qui génère des crises au sein du couple durant lesquelles Brahim, pour épargner un divorce à ses enfants, se réfugie chez sa mère ou ses sœurs. Cela lui a même valu une tentative de suicide, et un internement en psychiatrie lorsqu’il s’est fait battre par un proche de son épouse. Celle-ci lui reproche de s’occuper trop des autres et pas assez de sa famille. Il confie volontiers que c’est sa passion, aider les autres, en particulier les malades. Ça n’a jamais enrichi personne.  Au titre de ses revenus, il déclare le SMIC mais, hébergé à titre gratuit, ses seules dépenses consistent à régler chaque mois 500 euros de frais de nourriture de la famille.

Sur le terrain religieux, il se décrit « pratiquant, classique, modéré » : il lit le Coran en arabe, se rend de temps en temps à la mosquée, ne boit pas d’alcool et pratique le ramadan. Il n’a jamais eu de comportement prosélyte. On souligne même son côté festif, dévoué aux autres, sa générosité. C’est un affectif, un peu naïf, parfois timide.  L’autre drame qui a frappé cette famille, c’est le départ d’une des sœurs, handicapée psychiatrique, en Syrie. Brahim Chnina raconte qu’elle a fait une mauvaise rencontre sur Internet. « L’homme l’a séduite au téléphone en lui promettant le paradis, et puis il l’a envoyée en enfer » confie-t-il. Arrivée sur place, sa sœur appelle au secours, elle veut rentrer. La famille prévient la DGSI et demande du secours. Elle finit par rentrer en France. L’homme qui l’a attirée là-bas a été condamné. Quant à sa sœur,  elle attend son procès en prison.

« Vous êtes décrit comme un « papa poule » mais au collège, on ne vous connait pas…

Brahim Chnina s’estime victime du terrorisme, ce qui fait bondir sur les bancs des parties civiles. Sur une question de la défense, l’enquêteur de personnalité raconte les confidences de l’intéressé lors de leur rencontre : « j’ai vu quelqu’un de très touché, qui a fait un malaise au milieu de l’entretien et avait du mal à tenir sur sa chaise. Il était submergé par l’émotion à l’évocation de l’affaire ». Brahim Chnina confie encore « « J’ai du mal à me concentrer, je suis gentil j’ai toujours fait du bien et je suis là pour une chose tellement grave. J’ai voulu quitter cette vie avec une belle fin, c’est raté ».  Lorsque le président lui pose la traditionnelle question « reconnaissez-vous les faits reprochés ? », il répond « non, pas du tout ».

Un avocat des parties civiles l’interroge pour savoir pourquoi il ne s’est pas marié civilement.

— On reportait à chaque fois.

— C’est la seule raison ?

— Oui ».

Un autre : « Vous êtes décrit comme un papa poule, mais au collège, on ne vous connait pas.  Pourquoi ?

— C’est ma femme qui s’en occupait.

— Donc, avant octobre, vous n’y étiez jamais allé.

Non ».

« Lever cette injustice implacable »

 Il est 16h30 le lendemain jeudi, lorsque débute l’interrogatoire de personnalité  d’Abdelhakim Sefrioui. La justice lui reproche d’avoir élaboré et diffusé des vidéos comportant des informations fausses destinées à déclencher la haine contre Samuel Paty, faisant de lui une cible, et d’avoir publié des renseignements précis sur son lieu d’exercice professionnel. Si l’on n’entend pas d’enquêteur de personnalité avant de l’interroger, c’est qu’il a refusé de se prêter à l’exercice.  Son visiteur note, en 2021 « après avoir décliné son identité, il refuse catégoriquement de répondre à nos questions, estimant que toutes les informations le concernant sont au dossier ».

Cheveux blancs, barbe blanche, lunettes fines en demi-lune et chemise bleue élégante, l’intéressé debout dans le box commence par une déclaration aux victimes « Je tiens à présenter mes condoléances à la famille avec qui je partage la peine. Ça fait 4 ans que j’attends ce moment pour lever cette injustice implacable qui s’est abattue sur moi et, avant tout, pour laver mon honneur de ce crime barbare.  Je fais confiance à la cour pour qu’elle puisse démontrer mon innocence. Je n’ai aucun lien avec ce crime et son environnement ».  Il s’explique ensuite sur son refus de répondre à l’enquêteur « je n’arrivais jamais à croire que j’allais rester en prison, puisque je n’avais rien fait ». Depuis le début du procès, il a entendu témoigner les enquêteurs des autres accusés et convient qu’il a fait une « bêtise » parce que « ça facilite les choses ».

« Nous avions l’interdiction totale d’insulter les gens »

Les informations qui suivent sont donc issues des réponses aux questions posées par le président de la cour sur le fondement des éléments contenus dans le dossier. Abdelhakim Sefrioui est né en avril 1958, au Maroc. Son père tenait un magasin de tissu en gros, sa mère s’occupait de leurs neuf enfants.  De son enfance, il garde de « très bons souvenirs », auprès d’un père très strict sur les valeurs. « Nous avions l’interdiction totale d’insulter les gens et de commettre des injustices ». Il a été scolarisé d’abord à l’école coranique, puis au collège et au lycée. « L’école était une obligation, pas un plaisir, c’était pour moi une perte de temps, car je lisais beaucoup. À la fin de la 3e, il finit quand même par prendre conscience de son intérêt, ce d’autant plus qu’il est brillant, en particulier en mathématiques et en économie. Il obtient le Bac et s’inscrit à la faculté au Maroc mais ambitionne d’étudier en France. En 1982, à l’âge de 23 ans,  il intègre la faculté Jean Moulin de Lyon. A l’époque, il veut devenir expert-comptable, mais renonce et se lance   l’enseignement, profession qu’il exercera environ 13 ans.

« Tout est en lien avec la radicalisation dans le CV »

Puis il se lance dans l’édition et la librairie.  Les livres arabes représentent 70% de sa production, dont beaucoup de poésie, «  les plus grands sont antéislamiques », précise-t-il.  La librairie marchait très bien jusqu’au 11 septembre 200. En 2005,  il vend la librairie parisienne située dans le 11e, mais conserve ses locaux de Montreuil et continue d’écouler ses stocks, ce qui assure sa subsistance. Il lui faut toutefois un nouveau projet. Il pense rentrer au Maroc pour créer un commerce d’huiles essentielles. L’affaire s’avère plus compliquée  que prévu. Après d’autres projets inaboutis, il revient aux livres et lance le projet de librairie La force des mots. En 2020, il arrête et entreprend de faire des travaux pour louer des locaux. Mais la covid a compliqué les choses, puis » le jour malheureux », comprendre le 16 octobre, date de l’assassinat de Samuel Paty.

Interrogé sur la vie privée, il indique qu’il s’est marié en 1985 et a eu trois enfants. Il les a éduqués à domicile. Certains y voient un rejet de l’école républicaine, il répond qu’aux Ulis (Essonne) où il habite alors, le niveau était insuffisant, et le taux de délinquance élevé. Il a appliqué le programme chez lui, comme en témoignent les inspecteurs venus le contrôler et qui ont tous salué la qualité de son enseignement. En 2020, d’Abdelhakim Sefrioui divorce et vit désormais avec une nouvelle compagne. Il a subi quelques condamnations pour travail dissimulé et organisation de manifestation non déclarée en 2014 : 100 euros avec sursis.

Quand vient le moment des questions des parties civiles, « c’est une situation rare où tout est en lien avec la radicalisation dans le CV » observe Me Thibault de Montbrial, avocat d’une association et de Mickaëlle Paty. Tollé sur les bancs de la défense qui proteste contre un début de plaidoirie quand seules sont autorisées les questions à ce stade. L’intéressé a, en effet, de nombreuses activités militantes et il est considéré par les services d’enquête comme appartenant à la mouvance islamiste radicale. Le dossier mentionne aussi qu’il a été imam. Il affirme que tout ceci est mensonger et il a précisé jeudi à la barre, en réponse à une question de ses avocats, qu’il n’avait jamais été imam.

Les deux hommes sont poursuivis pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ils encourent trente ans de réclusion criminelle.

 

 

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