Inceste : la cour criminelle départementale de Bobigny se découvre incompétente à l’audience

Publié le 20/06/2025 à 10h53

Un homme devait être jugé par la cour criminelle de Seine-Saint-Denis pour des viols incestueux sur sa nièce et son neveu. Alors que l’audience avait débuté, la cour a remarqué qu’une partie des faits incriminés avaient été commis alors que l’accusé était mineur. Se pose alors la question de la compétence de la cour criminelle départementale, qui ne juge que des personnes majeures au moment des faits.

Bobigny, instance
Tribunal de Bobigny

Le 15 septembre 2021, Meriem* pousse la porte du commissariat d’Épinay-sur-Seine afin de dénoncer les viols et agressions sexuelles subis par ses deux enfants, Laura*, née en 2008 et Mahmoud*, né en 2012, commis par leur oncle paternel, Vural K. Après une longue procédure et une période d’attente, un procès pour viols incestueux sur mineurs, agressions sexuelles incestueuses sur mineurs et corruption de mineurs a débuté le 19 juin 2025 devant la cour criminelle départementale de Seine-Saint-Denis.

Près de quatre ans après le début de la procédure, le directeur d’enquête de la brigade des mineurs est venu relater son enquête à la cour. La révélation, comme souvent en matière d’inceste, intervient suite à l’initiative d’un élément extérieur à la famille, qui fait éclater la bulle de silence qui nimbe la plupart des histoires d’inceste.

Une amie de Meriem est hébergée avec ses deux enfants chez les parents de l’oncle Vural où ce dernier réside encore avec sa femme. Un soir, le fils de cette femme se rend aux toilettes et tombe face à Vural K., qui lui demande de baisser son pantalon pour qu’il se frotte à lui. L’enfant regarde l’adulte et lui dit : « non ». Vural répond : « c’était une blague », mais le fils répète la scène à sa mère et à sa sœur. Ayant appris cela, Mahmoud se confie à cette femme, qui le rapporte à la mère. C’est à ce moment-là que la grande sœur de Mahmoud décide de parler à son tour.

« Je suis une mauvaise personne »

Suite à ces révélations, le père des deux enfants confronte son frère, qui lui aurait répondu en pleurant : « je suis une mauvaise personne ». Malgré cette forme d’aveu, le père ne porte pas plainte. « Ça reste mon frère », dit-il. Les parents de Vural K., dont la mère est présente à l’audience, le soutiennent également.

Personne n’a jamais pris au sérieux cet homme handicapé, souffrant d’un retard mental et d’une pathologie nécessitant une injection mensuelle (qu’il ne fait pas). L’ « idiot » de la famille, marié à sa cousine elle-même déficiente, est considéré comme vulnérable. Mais quand Laura et Mahmoud décident de parler à leur mère, beaucoup de souvenirs lui reviennent. Les cauchemars de sa fille qu’elle fait remonter à ses trois ans, son changement de comportement. Laura se rappelle que l’oncle venait la chercher à l’école maternelle. Sur le chemin du retour, il s’enfermait avec elle aux toilettes. Jusqu’en juin 2021, des faits d’agression sexuelle et de viol (fellation) se seraient produits plusieurs fois.

Mahmoud, lui, décrit des pénétrations, des tentatives de pénétrations, des frottements, des films phonographiques que l’oncle lui montrait, lui demandant de reproduire des actes. Le président de la cour départementale demande au policier, 26 ans d’expérience en brigade des mineurs : « Ils vous paraissent comment les enfants quand ils déposent ?

Touchés, et en même temps soulagés. Ils voulaient que ça s’arrête. Ils disent les faits avec des mots d’enfant et beaucoup de détails. ‘Il allume un briquet : tu vois la flamme ? Si tu dis quelque chose, c’est ton père’ (que je brûle, ndlr), aurait menacé Vural K. Ça ne s’invente pas », estime le policier.

Pendant que l’enquêteur rapporte sa déposition, Mahmoud pose sa tête sur l’épaule de sa mère. La jeune Laura, 16 ans aujourd’hui, ferme les yeux en affichant un léger sourire, tandis qu’une femme lui caresse le dos, pour la réconforter.

Les détails crus et répétés avec constance laissent peu de doute à l’enquêteur et au juge d’instruction sur l’existence de charges suffisantes pour renvoyer Vural K. devant la cour criminelle départementale de Bobigny. S’il nie une partie des faits, l’accusé, 30 ans, a fini par concéder des agressions sexuelles. Il a passé les deux heures de la déposition du policier à faire des mouvements exaspérés de la tête, et s’apprête à être interrogé sur sa personnalité. « Nous allons faire une suspension de cinq minutes », annonce le président.

« Ce renvoi… ce serait en termes d’années »

Cinquante-cinq minutes plus tard, la cour fait son apparition et une annonce : « Nous sommes saisis de faits, dont une partie auraient été commis alors que l’accusé était mineur. » Le juge fait référence à un unique fait, l’agression de Laura dans les toilettes du café. « Deux options s’offrent à nous : renvoyer, ce que je trouverais absurde, ou faire débuter la période d’accusation au 7 août 1992 », date de l’entrée en majorité de l’accusé. Partie civile et avocat général sont partants : une cour criminelle départementale ne peut juger un mineur, compétence de la cour d’assises des mineurs. Il vaut mieux abandonner une petite partie des charges et que justice soit rendue. « Au regard des délais d’audiencement, je sais que ce renvoi… ce serait en termes d’années », note l’avocat général.

Après tout ce temps, ni les enquêteurs, ni le juge d’instruction, ni le parquet, ni l’avocat du mis en cause n’avaient remarqué qu’une partie des faits devait faire l’objet d’un traitement par la justice des mineurs, ce qui laisse pantois, puisque la date de naissance du mis en cause et celle des actes reprochés sont partout dans le dossier. Les agressions de 2011 sont dénoncées dès le début de la procédure, et une disjonction aurait dû être établie à l’origine.

L’avocat de la défense saisit l’occasion pour demander un temps de réflexion, puis, après avoir fait ses recherches, rédige des conclusions aux fins d’incompétence de la cour criminelle. Il se fonde en droit sur l’article L. 231-9 du code de la justice pénale des mineurs, qui dispose que la cour d’assises des mineurs est compétente pour connaître de faits commis en tant que majeur, s’ils sont indivisibles des faits commis par le même individu mineur. Pour lui, c’est le cas en l’espèce.

Une bourde grossière

L’avocat général et la partie civile proposent une lecture différente de cet article. Ils estiment qu’il est possible de scinder les deux périodes et de juger Vural K. sur le champ. Comment assumer que tous que ces efforts, l’espoir d’une justice rendue pour des enfants victimes de violences sexuelles incestueuses, soient anéantis en raison d’une bourde aussi grossière ?

Après une très courte réflexion, il faisait peu de doute que, dura lex, sed lex, la procédure pénale n’ayant pas été respectée, la cour départementale ne pouvait que constater son incompétence. À charge pour le parquet de mieux se pourvoir, et de réorganiser une audience. Sur le visage de Vural K., l’incompréhension totale mâtinée d’inquiétude. « Venez dehors, je vais vous expliquer », lui lance son avocat, tandis que par l’autre porte, la jeune Laura, déjà, s’enfuit en pleurant. Sur le parvis du tribunal de Bobigny, sous le regard triste d’une mère, un petit frère fait un câlin à sa sœur en larmes.

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