Tribunal de Bobigny : « Madame a agi sous l’empire d’une force à laquelle elle ne pouvait se soustraire »

Publié le 06/02/2025 à 11h03

Une femme de 31 ans est poursuivie pour des violences volontaires sur conjoint, avec arme, ayant engendré une ITT supérieure à huit jours, en récidive légale. Il apparaît rapidement que la prévenue souffre d’une lourde pathologie psychiatrique, qu’elle était dans un état psychotique au moment des faits, et que la question de sa responsabilité pénale se pose.

Bobigny, instance
Tribunal de Bobigny (©DR)

Entre dans le box une trentenaire enveloppée dans un large blouson violet matelassé assorti au pantalon, à mi-chemin entre le survêtement et la combinaison de ski. Rajah rajuste une mèche et attend les mains jointes. La juge assesseure chausse ses grandes lunettes rouges et commence son rapport.

Le 29 novembre 2024, à 5 h 28 du matin, les urgences sont alertées par un homme affirmant avoir reçu une dizaine de coups de couteau. Les secours et les policiers se rendent sur les lieux et constatent la présence de Paul, 79 ans, affalé dans un lit imbibé de son sang. Dans leur procès-verbal, les policiers notent que l’homme « est très peu loquace », tandis que les médecins écrivent dans leur compte rendu : pronostic vital engagé.

Dans l’escalier de l’immeuble, se trouve une jeune femme assise sur les marches, recroquevillée sur elle-même et ne semblant pas « jouir de toutes ses capacités psychiques ». Elle est interpellée et placée en garde à vue. Rajah est connue de leurs services car elle est mentionnée dans des mains courantes de voisins pour du tapage, insultes, menaces. Ceux qui sont interrogés par les enquêteurs disent entretenir des « rapports peu cordiaux » avec elle. Un jour, elle aurait menacé une voisine de l’égorger.

« Je l’ai vu dans ses yeux »

Grâce aux auditions de Paul, revenu d’entre les morts (15 jours d’ITT), de Rajah et des voisins, la soirée est reconstituée. Le tapage a débuté dans la soirée du 28 novembre, alors que l’ex-petit ami de la jeune femme tente de la convaincre de revenir avec lui. Ils sortent d’une relation houleuse qu’elle souhaite laisser derrière elle, et Paul la soutient. Qui est Paul ? Un vieil homme animé par la compassion, venu à la rescousse d’une femme à la dérive, ballotée par la vie. Il l’a extraite d’un taudis où elle était malmenée par des personnes sans scrupules, rapporte-t-il, pour la placer dans un appartement qu’il a acheté pour elle. Paul a le béguin pour cette brune aux grands yeux en amandes, et vit « en colocation » avec elle. Lui jetant des regards remplis d’attention depuis le premier rang de la 18ᵉ chambre du tribunal correctionnel de Bobigny, il précise qu’il ne se constitue pas partie civile. La juge lui demande : « vous pensiez qu’elle n’était pas dans son état normal ?

— Oui, je l’ai vu dans ses yeux.

— Je voudrais m’excuser auprès de Paul, déclare Rajah.

— T’es pardonnée, t’es pardonnée », lance-t-il, théâtral.

« Je serai jugée, je paierai pour toutes mes fautes »

L’ex-petit ami avait été expulsé depuis longtemps et Paul était allé se coucher. Rajah avait continué à fumer du cannabis, qu’elle avait mélangé à des médicaments, puis, peu après 5h du matin, elle a ouvert la porte de la chambre de Paul et s’est ruée sur lui ; juchée sur son corps, elle l’a frappé à plusieurs reprises en criant « je serai jugée, je paierai pour toutes mes fautes » ; la lame ne sera pas retrouvée.

Elle ne se souvient pas de la scène. À l’audience, elle déclare : « c’est comme si je m’étais réveillée au moment où je mettais les coups ». Rajah est psychotique. On lui a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde. Ce soir-là, elle était vraisemblablement en pleine crise. Malgré cela, le psychiatre qui l’examine estime que son état est compatible avec la mesure de garde à vue. Mais, depuis sa cellule, les policiers entendent des « déclarations délirantes » et appellent un autre psychiatre qui conclut à la nécessité de l’hospitaliser. À l’issue d’un séjour de quelques jours qui ne sera pas renouvelé (malgré les demandes de la patiente qui estimait avoir besoin de ce traitement), la garde à vue reprend. Une expertise cette fois-ci conclut à l’abolition de son discernement au sens de l’article 122-1 du Code pénal, alors qu’une autre estime que tout va bien. Rajah n’est plus suivie par un psychiatre, est en rupture de son traitement neuroleptique et fume des quantités affolantes de cannabis. Le parquet décide de demander une nouvelle expertise pour trancher. L’infraction est, selon cet expert, en lien avec le trouble dont elle souffre : « Madame a agi sous l’empire d’une force à laquelle elle ne pouvait se soustraire », écrit-il. Pour lui, elle n’est pas accessible à une sanction pénale.

« Le tribunal dit qu’il faut vous hospitaliser d’office »

Le parquet a choisi de la déférer en comparution immédiate. À l’audience, le procureur estime qu’il faut la déclarer « coupable »*, mais constater l’abolition de son discernement et, en conséquence, son irresponsabilité pénale. En défense, l’avocat appuie cette position. Rajah dans son box semble s’excuser d’être là. Elle sait ce qui l’attend. Cela lui est expliqué après cinq minutes à peine de suspension qui ont suffi à délibérer : « Le tribunal dit qu’il faut vous hospitaliser d’office, annonce la juge aux lunettes rouges. Mais, poursuit-elle, c’est le préfet qui doit le décider. Vous allez retourner en maison d’arrêt pour récupérer vos effets, et ensuite une ambulance viendra vous chercher pour vous emmener à l’hôpital.

— D’accord ». Rajah opine poliment en inclinant la tête. Le blouson violet disparaît au milieu des uniformes bleu marine, tandis que le vieux Paul, revenu au 3ᵉ rang avec ses amis, tend le cou pour apercevoir une dernière fois Rajah tandis qu’elle s’engouffre avec son escorte dans le couloir étroit et obscur.

 

*Le terme « coupable est réservé à la culpabilité pénale et ne peut être employé dans ce cas. Selon l’article 706-133 du Code de procédure pénale : « S’il estime que les dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal sont applicables, le tribunal correctionnel rend un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par lequel :
1° Il déclare que la personne a commis les faits qui lui étaient reprochés ;
2° Il déclare la personne irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ; »
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