Tribunal de Meaux : En défense, une avocate humilie l’ex-femme de son client
Dire qu’un arc électrique a parcouru le milieu, pourtant isolant, de la 3e chambre correctionnelle du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) relève de la litote. Pour défendre le prévenu, une avocate a rudement malmené la plaignante et violé la confidentialité de ses échanges avec sa consœur. Les enquêteurs et la procureure n’ont guère été plus épargnés.

Considérant que Sofiane, un routier de 27 ans, était injustement poursuivi par la juridiction meldoise, son avocate a transformé le prétoire en champ de bataille. Si la parole est libre à l’audience, que les arguties y sont légion quand il s’agit de sauver le client, s’imposent tout de même des limites. La première étant de ne pas humilier de façon outrancière la partie civile ; la deuxième de ne pas dévoiler les conversations entre confrères, adversaires au cours des débats mais dont les rapports en salle des pas perdus restent généralement courtois. Enfin, s’il est logique de contester l’accusation, les invectives contre un représentant du parquet, qui n’est pas forcément celui à l’origine des poursuites, sont inopportunes.
Est-ce d’avoir dû patienter cinq heures avant que son dossier soit examiné qui a provoqué les écarts de l’avocate arrivée en début d’après-midi du Xe arrondissement parisien ? Pas certain, tant ses regards lancés à Valérie*, la jeune femme qui a déposé plainte contre son ex-mari Sofiane, ont fini par terrifier celle-ci. Au point que l’on s’est plusieurs fois inquiété qu’elle fasse un malaise.
« J’ai juste dit “nique ta mère” quand elle m’a insulté »
Au prévenu, il est reproché des « menaces de mort avec ordre de remplir une condition », soit la contrainte à un certain comportement si la victime veut éviter de subir les faits promis, avec deux circonstances aggravantes : par ex-conjoint et en récidive. Le couple, qui s’est séparé il y a trois ans, se dispute constamment, à propos de leurs jeunes enfants ou à cause du dépit qui les mine. Sofiane reste furieux d’avoir été condamné en 2021 à six mois de prison avec sursis probatoire de deux ans pour violences conjugales. Il justifie ainsi sa colère : « Elle a menti. Je ne l’ai jamais tapée. Et, à l’époque, je n’avais pas d’avocat. » Et ces « menaces de crime contre des personnes dépositaires de l’autorité publique » qui lui ont valu une sanction ? Et ces trois autres mentions sur son casier judiciaire ? « C’est fini, j’étais jeune », répond l’homme qui fêtera ses 28 ans fin juillet.
« Vous avez tout de même la menace facile », objecte le président Léger. Il révèle que Sofiane portait un bracelet électronique lorsqu’il aurait agressé verbalement son ex-conjointe, ce 7 mai, et n’a pas apprécié d’être arrêté : « J’ai eu peur quand j’ai vu les gendarmes ! Je sais comment ils sont, avec moi. Mais je conteste les faits ! J’ai juste dit “nique ta mère” quand elle m’a insulté.
– Vous n’auriez donc pas prononcé ces mots : “Si je te vois avec ton vieux mec, je vais piétiner vos gueules, je vais le défigurer et tu ne le reconnaîtras plus” ?
– Non. Elle invente par vengeance. Elle me harcèle tout le temps. »
« Elle lui parle de “sa pute” » et « vient parader à l’audience »
Saisie de secousses régulières, la jambe droite de Valérie s’agite désormais de manière convulsive ; son corps se contracte, son visage est exsangue. À la barre, elle demande à « vivre tranquille », à « ne plus subir. J’en ai marre de lui, ma mère aussi ». L’avocate de Sofiane attaque : « Votre numéro est bien le 06… ? Il est intégralement dévoilé au public.
– Oui.
– Le 7 avril, vous l’appelez 8 fois. Le 8 : 7 fois… »
La jeune femme se liquéfie : « Il voulait remettre le couvercle (sic) et moi je pensais que monsieur avait changé.
– Et ce courrier dans lequel vous l’appelez “chéri” ? »
Il n’est pas daté ; qu’importe. Le pilonnage produit l’effet désiré, il sème le doute.
« C’est elle qui lui dit de venir sur son lieu de travail [où l’altercation aurait eu lieu] pour lui parler de “sa pute”. Elle est jalouse, elle n’est là que pour se montrer. Elle vient parader à l’audience », assène la défenseure, mimant outrageusement Valérie. « D’ailleurs, nous avons dû passer les cinq heures d’attente dans le hall [du palais de justice] car elle cherchait sans cesse son regard. »
« Ma cliente ne veut rien d’autre que la tranquillité »
Me Lucile Levet, au soutien de Valérie, l’interrompt. Et c’est alors que son contradicteur dévoile le contenu d’une conversation téléphonique qu’elles ont eue. Me Levet s’en émeut, s’indigne. Sa consœur se moque, s’en prend aux enquêteurs, à la procureure, « qui n’ont pas fait leur travail ». Puis de nouveau à la plaignante « qui se vante d’être bientôt propriétaire alors que quand monsieur l’a connue, elle vivait dans un garage ! » Vexation inutile et cuisante. Sofiane en rajoute : « Je lui ai tout offert, à commencer par une maison. »
« Ma cliente ne veut rien d’autre que la tranquillité, elle ne demande rien, surtout pas d’argent », insiste la partie civile. Ce que confirme Zoé Debuse, substitut du procureur : « Elle n’a aucune raison de mentir ! » Est requise une interdiction de contact pendant trois ans, ainsi que de paraître dans la commune où Valérie travaille et habite.
La défense raille maintenant « les tremblements » de cette dernière : « Oh ! Ne vous y trompez pas, ce n’est que de l’énervement. » En cet instant, plus que ses mots, c’est le large sourire de l’avocate qui provoque une sensation de gêne.
Le tribunal en a assez entendu. Considérant que les menaces de mort n’ont pas été assez caractérisées, Sofiane est relaxé. Mais sévèrement tancé.
Son avocate menace Valérie d’une plainte pour dénonciation calomnieuse, contre l’avis de l’ex-mari qui a répété trois fois « ne pas vouloir poursuivre la mère de [ses] enfants ». L’embarras est à son comble.
Enfin éloignée des curieux, la jeune femme fond en larmes.
* Prénom modifié

Référence : AJU450740
