Tribunal de Meaux : Il reconnaît « des violences comme chez M. et Mme Tout-le-monde »
« Au début, c’étaient des gifles, des coups de poing. Mais plus le temps passait, plus ça devenait difficile. » Ainsi Julia* décrit-elle l’atmosphère au foyer. Stefan, son conjoint, répond de « violences habituelles », qu’il minimise. Il admet juste « des bousculades quand elle me titille », des empoignades « réciproques ». Le président du tribunal émet un doute : « Quand on voit votre gabarit et le sien… »
Stefan fêtera ses 25 ans dimanche. Il en paraît dix de plus. Peut-être à cause de son air renfrogné, de son crâne chauve, de sa barbe de trois jours, de sa carrure. L’anorak noir ouvert sur un torse puissant, il relève ses manches, découvrant des avant-bras musclés dont se dégage une belle vigueur. Le contraste avec sa compagne est saisissant. Debout à sa droite, Julia* semble petite, fragile, on devine sa finesse sous son long manteau. Elle est pâle, et pleurera beaucoup durant sa déposition.
Contre Stefan, le père de son fils de 18 mois, son conjoint depuis cinq ans, elle a déposé plainte le 15 mai. Aux gendarmes, la jeune femme a raconté ce qu’elle a subi ces deux dernières années. « D’abord des gifles, des coups de poing », qu’elle a encaissés « parce que j’espérais qu’il allait changer », précise-t-elle à la barre du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne), ce jeudi 28 novembre, s’excusant presque d’invoquer sa passion pour son colosse. « Il était l’amour de ma vie. »
« Ouais, enfin, elle n’est pas aussi sage qu’elle en a l’air »
Mais, à force de la faire tomber, la soulever de terre, l’insulter, la dénigrer, tenter de l’étrangler, les scènes de ménage sont devenues insupportables. Alors, quand ce soir de mai il a jeté sa chaise sur elle, lui occasionnant des blessures (quatre jours d’ITT), Julia a pris ses jambes à son cou, et son petit sous le bras. Le président Stéphane Léger conclut le rapport : « “J’espère que tu mangeras ta merde !”, lui avez-vous dit. Voilà l’ambiance… »
À peine le juge s’est-il tu que Stefan se défend : « Je ne dis pas que tout est faux mais c’est sorti de son contexte. » Quel serait le « contexte » justifiant de tels emportements ? « Il y a des violences comme chez M. et Mme Tout-le-monde, des pétages de câble et des prises de tête. Je ne l’ai jamais tapée. Il y a des bousculades quand elle dit des choses pour me titiller.
– Des bousculades, monsieur, ce sont des violences. Et quand on voit votre gabarit et le sien…
– Ouais, enfin, c’est pas tout rose, tout rose ! Elle n’est pas aussi sage qu’elle en a l’air.
– Donc, vous estimez que vos rapports sont normaux ?
– Ça dépend de ce qu’on appelle normal. Il y a eu des violences, mais pas celles qu’elle a indiquées !
– Elle parle de tentative d’étranglement…
– Ouais, je ne sais pas », s’agace Stefan.
On a compris, rien n’est de sa faute. Pas même l’agression en état d’ivresse, commise contre un conducteur, qui lui a valu en juillet quatre mois avec sursis : « Il m’a attaqué, j’ai peut-être frappé un peu fort. »
« Vous ne respectez même pas votre contrôle judiciaire ! »
Julia est rappelée à la barre. Il s’écarte à peine, la domine de deux têtes, lui lance un regard noir. Le président : « Éloignez-vous, asseyez-vous ! » Il se ratatine sur le banc de la défense, lève les yeux au ciel. La jeune femme, en larmes, se constitue partie civile, sollicite 2 000 € pour son préjudice moral, assure « ne plus craindre monsieur ».
Mains dans les poches de son jean tâché, il répond maintenant à Émeline Masia, la procureure : « Vous pensez qu’elle s’acharne contre vous ?
– Oui, un peu.
– Elle dit pourtant que vous étiez l’amour de sa vie…
– Ce n’est pas incompatible.
– Mais les jets d’objets, les insultes, le dénigrement, vous l’admettez ?
– Oui, mais des deux côtés ! Elle me dégrade à sa manière, je la dégrade à ma manière. »
Inutile de pousser plus avant. L’homme n’est pas commode, soupire très bruyamment lorsque M. Léger aborde le suivi de son contrôle judiciaire. Il n’a plus le droit de voir Julia et doit se soumettre à une psychothérapie dans un groupe de parole. « Il ne s’y investit pas », indique le rapport, il a honoré trois rendez-vous sur six. Et il a accompagné Julia quelques jours en Normandie.
« Vous ne respectez même pas votre contrôle judiciaire, tonne le président. Vous avez la mainmise sur votre conjointe, y compris financièrement ! En fait, c’est vous le chef ? »
Gros soupir pour toute réponse.
La procureure s’avoue « inquiète » pour Julia « sous emprise », fustige « la position de victimisation du prévenu qui n’en a rien à faire » (de la justice). Mme Masia requiert un an de prison avec sursis probatoire de deux ans – avec exécution provisoire –, l’obligation de se soigner, d’effectuer un stage sur les violences, d’indemniser Julia, et l’interdiction de la contacter.
Stefan n’a pas d’avocat. Il retrousse à nouveau ses manches, fait tourner sa gourmette en or sur son poignet droit, et lance, tonitruant : « Je ne suis pas d’accord ! » Avec quoi, s’enquiert le juge. « L’interdiction de contact ! C’est elle qui entre en contact avec moi, pas l’inverse ! »
La cause est entendue. Et perdue.
Les faits sont requalifiés en « violence sur conjoint », leur durée n’ayant pu être formellement établie. Stefan est condamné à neuf mois avec un sursis probatoire de deux ans. Toutes les autres réquisitions sont suivies.
* Prénom modifié
Référence : AJU486010