Tribunal de Pontoise : « Donc Madame s’est griffé les joues toute seule ? »

Publié le 27/05/2024 à 15h38

Tribunal de Pontoise, audience juge unique, un homme de 39 ans est prévenu de violences contre sa conjointe qui, après avoir dénoncé les faits, le défend à l’audience.

Tribunal de Pontoise : « Donc Madame s’est griffé les joues toute seule ? »
Une salle d’audience au tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Quand un homme est prévenu de violences sur sa conjointe, comme c’est le cas de Sofiane, 39 ans, et que cet homme et la femme violentée se présentent ensemble et pour ainsi dire main dans la main à l’audience correctionnelle, le juge, en l’occurrence la juge unique du tribunal de Pontoise, comprend d’avance la teneur des réponses qu’elle obtiendra lors de son interrogatoire. Ce mercredi 15 mai, dans cette micro-salle où l’on cuit à l’étouffée, elle demande au prévenu Sofiane (maigre et pâle, survêtement, polo noir sacoche assortie, tout petits yeux noirs et crâne rasé) : « Qu’est-ce que vous nous dites aujourd’hui ?

— Je ne l’ai pas frappée. »

Il le dit avec assurance.

Le 25 mars 2023 à 5 heures du matin, les policiers de Cergy sont requis pour un différend conjugal. « Madame se plaint que vous ayez dégradé la porte d’entrée par un coup de pied », sachant que, précise-t-elle, une patrouille était déjà intervenue pour mettre Sofiane à la porte car Nassira, la compagne requérante, ne voulait plus le voir, ne supportait plus son comportement et son état d’alcoolisation avancé, et que c’était son domicile dans lequel lui se maintenait contre sa volonté à elle. « Comment vous expliquez que vous vous représentiez au domicile en insistant, en défonçant la porte ?

— Il était tard y’avait plus de trains, pas de taxi, j’étais à la rue, il faisait froid, j’ai des affaires chez elle. Et initialement, c’était une simple dispute et ça n’aurait pas dû arriver jusque-là. » Il l’avait décidé ainsi.

Sofiane convient tout de même que ça n’appelait pas de sa part de défoncer la porte à coups de pied. Cela ne justifiait pas non plus de s’en prendre à la porte du domicile de la sœur de Nassira, voisine de palier chez qui elle était réfugiée. Mais Sofiane avait 1,6 gramme dans le sang vers 6 heures du matin et une certaine tendance à être dans l’excès.

« Je griffe pas, j’ai pas d’ongles Madame la juge ! »

Nassira explique aux policiers qui l’auditionnent qu’elle souhaite mettre fin à leur relation car Sofiane se comporte mal (insultes récurrentes, comportement agressif), et que cette fois c’est allé trop loin : il l’aurait frappé au bras et griffé au visage. La juge : « Comment c’est arrivé ?

— Je ne sais pas, un hématome ça ne vient pas directement, peut-être que ça vient d’avant.

— Vous êtes médecin ? Et les griffures ?

— Je ne sais pas.

— Donc madame s’est griffé les joues toute seule ?

— Je ne griffe pas, j’ai pas d’ongles Madame la juge !

Puis, Nassira a changé de ton. Elle ne veut pas voir de médecin pour établir une ITT, dit en seconde audition qu’elle marque facilement, et que s’il lui est déjà arrivé d’être violent par le passé, elle ne souhaitait pas en tenir compte.

« Quand on prend quelqu’un par le bras, ça peut caractériser des violences »

À l’audience, elle est juste à côté de lui debout à la barre, cheveux blonds en chignon décolorés et gilet bleu, et se lève lentement. « Madame, vous souhaitez réagir ?

— J’ai pas porté plainte.

— C’est M. le procureur qui décide d’engager des poursuites, vous avez le droit de vous exprimer. Pourquoi vous appelez les policiers ?

— La première fois, pour qu’il parte, la deuxième fois, c’est pas moi. Qui ? Je ne sais pas, des voisins. Pourquoi ? Parce qu’on s’est disputés, qu’on parlait fort.

— Les policiers, vous leur dites qu’il vous a violentée.

— Il m’a pris par le bras.

— Comment ? (elle approche son bras de lui). Non, on ne va pas faire une reconstitution de la scène. Il vous a tiré le bras, d’accord.

—C’était une simple dispute.

— Non, on ne peut pas dire ça. Ce monsieur est rentré en violant votre domicile et en défonçant votre porte. Quand on prend quelqu’un par le bras, ça peut caractériser des violences. Pourquoi vous avez refusé qu’on prenne votre bras en photo ?

— Je ne voulais pas en arriver là.

— Vous ne vouliez donc pas qu’il y ait des traces de l’hématome dans le dossier ? Parce que vous considérez que ce n’est pas grave ?

— Pour moi, c’est arrivé et puis voilà.

— Vous considérez que ce n’est pas grave ?

— Ça peut être grave.

— Voulez-vous vous constituer partie civile ? » Après qu’on lui eut expliqué que cela lui permettait d’être partie à la procédure parce qu’elle s’estimait victime d’un préjudice, Nassira a décidé que oui.

 

La juge au prévenu : « Vous avez entendu l’explication de l’hématome ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Peut-être que je l’ai saisie par le bras. Mais je ne frappe pas les femmes.

— Depuis que l’interdiction de contact a été levée, vous avez repris la vie commune ?

— J’ai fait une erreur, mais pas deux. » Il prétend ne plus boire.

« Il faut une violence pour provoquer l’hématome »

Le procureur requiert en deux phrases : « Je comprends vos explications mais comme vous pouvez l’imaginez, je n’y adhère pas. Même si des personnes marquent plus que d’autres, il faut tout de même une violence pour provoquer l’hématome », et il demande 3 mois de prison avec sursis.

L’avocate de la défense plaide la relaxe, car elle estime qu’il n’avait pas l’intention de commettre cet acte violent (l’argument est hardi). Après environ 10 secondes de réflexion, la juge délibère sur le siège : 8 mois de prison avec sursis et un stage de sensibilisation aux violences conjugales pour Sofiane, qui repart un peu vexé avec Nassira dans son sillage.

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