Tribunal de Pontoise : « Est-il accessible à une sanction pénale ? »

Publié le 19/11/2024

Un jeune homme au comportement étrange a frappé sa mère avec un manche à balai (violence sur ascendant) et a résisté à son interpellation (violence sur personne dépositaire de l’autorité publique), le 9 novembre. Il est jugé le 14 novembre en comparution immédiate, par le tribunal de Pontoise, en état de récidive légale.

Tribunal de Pontoise : « Est-il accessible à une sanction pénale ? »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Léon*, 22 ans, est arrivé dans le box : t-shirt blanc moulant, tresses plaquées en arrière, énorme carrure. Il s’exprime d’une voix pâteuse et avec une certaine lenteur. Sa mère et sa sœur sont dans la salle, au 3ᵉ rang, deux femmes immobiles qui observent en silence la présidente résumer les faits vite, très vite.

Elle fait état d’un Léon rentrant ivre vers 3 heures du matin, chez sa mère où il vit. « Vous avez demandé à votre mère ses clefs, elle ne vous les a pas données, et c’est là que vous l’avez frappée avec un balai, à deux reprises », dont une fois sur la tête, ce qui lui occasionnera une plaie et trois jours d’ITT. « Elle dit que vous êtes parti chercher un couteau ?

— Non.

— Votre mère vous a vu tenir un couteau le long du corps et les policiers ont trouvé le couteau dans un buisson.

— Ok, j’avais le couteau.

— Vous aviez bu ? Combien ?

— Deux, trois verres de rhum.

— C’est tout ? Bon, c’est fort le rhum. Vous ne buvez jamais d’habitude ?

— Si, mais pas autant.

— Tout le monde ne réagit pas comme ça. Vous vouliez faire quoi avec le couteau ?

— Rien.

— Pourquoi vous prenez un couteau alors ? Votre mère a eu tellement peur qu’elle s’est réfugiée chez sa voisine.

— Je … suis .. désolé, répond Léon, soudain abattu.

— Vous allez revenir vivre chez votre mère ?

— Je vais aller chez ma sœur. »

« Bouffée délirante aiguë »

La mère de Léon a pu se réfugier chez sa voisine, d’où elle a appelé la police. Ils se sont mis à quatre fonctionnaires pour le menotter, dans la cour de l’immeuble. Le psychiatre qui l’a examiné a déclaré son état incompatible avec la garde à vue pour cause de « bouffée délirante aiguë », et il a été hospitalisé d’office. Puis il a été déclaré apte, son discernement étant considéré comme altéré, mais pas aboli ; il a fini sa garde à vue, avant d’être déféré.

Ayant trois mentions à son casier pour des faits liés aux stupéfiants, la présidente demande s’il en consomme. « Oui, j’étais un gros consommateur », répond le prévenu, d’une voix assez peu audible. Il semble hébété, docile voire apathique ; son regard est fixe, il ne regarde jamais sa mère.

« L’expert dit que vous avez besoin de soins, vous êtes d’accord avec ça ?

— Non, j’ai juste besoin d’arrêter.

— Mais il y a peut-être quelque chose à creuser ? »

« Il y a peut-être un problème psychiatrique »

Par l’intermédiaire de l’avocate, la mère, gravement malade, a fait savoir qu’elle souhaitait que son fils reste avec elle, car il l’aide énormément au quotidien et l’accompagne à toutes ses chimiothérapies.

Le procureur semble choqué. « J’avoue que ce dossier est véritablement ahurissant. Elle dort et ‘boum’ elle se reçoit deux coups de manche à balai. Il a fallu trois paires de menottes pour réussir à le maitriser. Il y a peut-être un problème d’alcoolémie et peut-être aussi un problème psychiatrique », pense-t-il. « C’est la raison pour laquelle je vous propose 12 mois de prison avec sursis probatoire, avec obligation de travail et de soins incluant un suivi psychiatrique. » Et aussi 105 heures de travail d’intérêt général.

Il a finalement fallu attendre la plaidoirie de la défense pour connaitre le véritable déroulé des faits, qui diffère franchement de la très rapide synthèse faite par la présidente, et qui découle du témoignage de la mère – que personne n’a cru bon d’interroger à l’audience. Aux policiers, elle a déclaré : « Il est rentré à minuit et avait un comportement bizarre, mais pas agressif. J’ai bien regardé ses yeux. Quand il boit ou prend de la drogue, ça se voit dans ses yeux. Là, ils étaient normaux. » Son test d’alcoolémie relevé quelques heures plus tard à l’hôpital est revenu négatif. « Vers 3 h du matin, il m’a demandé les clefs pour sortir, j’ai refusé. Il est revenu avec un balai, m’a demandé de nouveau et m’a frappée. »

L’avocate s’adresse à la présidente : « Je pense que ses réponses ont été induites par vos questions, et qu’il n’avait pas consommé d’alcool. D’ailleurs, les policiers n’ont pas relevé qu’il sentait l’alcool. » La mère de Léon a précisé aux policiers que son père a souffert de problèmes psychiatriques, et sur le procès-verbal de comportement en garde à vue, les policiers ont mentionné qu’il avait l’air étrange.

Enfin, l’avocate s’étonne qu’après cinq jours d’hospitalisation d’office, aucun compte rendu médical n’ait été fourni. « Est-il accessible à une sanction pénale ? Je n’en suis pas certaine. Devez-vous entrer en voie de condamnation, ou refaire une expertise ? »

Alors que tout le monde s’accorde à dire qu’il a besoin de soins et, qu’à l’évidence, il présente les symptômes d’une schizophrénie, Léon aura été jugé sans avoir été expertisé, déclaré coupable et condamné à la peine requise.

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