Tribunal de Pontoise : « Jamais un tribunal ne m’a écouté »

Publié le 10/10/2024

Kevin, 18 condamnations, comparaît le 17 septembre devant le tribunal de Pontoise pour des violences contre son ex-compagne et sa fille. Les faits sont confus, ses explications aussi. Il s’époumone en vain pour faire admettre sa version.

Tribunal de Pontoise :  « Jamais un tribunal ne m’a écouté »
Tribunal de Pontoise (Photo : ©J. Mucchielli)

Kevin a beaucoup expliqué. Il a agité ses bras, fait rouler ses yeux, noué et dénoué ses mains. S’il avait été libre de ses mouvements, il aurait certainement parcouru toute la salle à grandes enjambées. Kévin désespère de se faire comprendre et, surtout, de se faire entendre.

Mais Kevin, 34 ans et prévenu de violences sur son ex-compagne et sur sa fille mineure, soustraction d’enfant par ascendant des mains de la personne chargée de sa garde, est confus, et ça le désespère.

Sarcelles, le 15 septembre au matin  : Kévin fume une cigarette devant le domicile de sa mère où il réside, au premier étage de l’immeuble. Soudain, il aperçoit la voiture de son ex. Panique : elle ramène les chiens, pense-t-il. Depuis leur séparation, elle les garde en attendant qu’il trouve un logement, car sa mère et la copropriété lui interdisent de les avoir avec lui.

Pourtant, tente-t-il d’expliquer au tribunal, il a essayé de la joindre la veille au soir pour lui dire que, justement, il avait trouvé une solution de garde, chez son frère. Mais qu’il ne fallait surtout pas les amener ici.

« Il tente de crever mes pneus ! »

La présidente n’étant pas beaucoup plus claire sur les faits à ce stade de l’action (qu’elle semble découvrir en même temps que nous), on suppose qu’en fait, elle n’avait pas les chiens, mais ses quatre enfants (dont trois sont aussi ceux de Kévin), car il ne sera plus question de canidés dans la suite du récit. Depuis le siège conducteur, son ex-compagne Ambre* aperçoit Kévin accroupi au niveau du pneu arrière droit, un couteau à la main : « il tente de crever mes pneus ! » Elle essaie de partir et, d’après elle, il ouvre la portière d’où chute la plus petite fille, qui s’était détachée lorsque sa mère s’était garée. Kévin ramasse l’enfant, qui n’a aucun mal. Ambre pense qu’il veut s’emparer de la petite fille et se rue sur lui. Il la frappe et se réfugie dans l’appartement. Cela dure « plus d’une heure », les policiers toquent à sa porte munis d’un taser, prêts à l’assaut. Finalement, le voisin le convainc de se rendre. La petite fille gazouillait tranquillement sur le canapé.

« J’ai jamais violenté mes enfants, jamais ! »

Kévin donne sa version : « Déjà, je n’avais pas de couteau, mais mes clefs, et en fait, je l’ai entendue crier, comme un cri d’alerte, quand je me suis approché, alors j’ai paniqué et j’ai fait ça au niveau de ses pneus. » Le tribunal tente de comprendre en vain la logique de la manœuvre. « Ensuite, on s’est disputés, puis ça s’est calmé. Elle est remontée dans sa voiture pour repartir. Je vois que la portière arrière est entrouverte, je veux la refermer et je vois que la petite, elle tombe. Je vous dis pas la peur que j’ai eue ! Je la ramasse, je vois qu’elle n’a rien, et là Madame sort du véhicule : c’est une bombe. Elle m’envoie des coups de poing au visage. Je lui dis d’arrêter, car j’ai ma fille dans mes bras. Je mets un coup en défense puis je m’enfuie avec la petite, le temps qu’elle se calme. »

La présidente a trois infractions et tente de rationaliser. « Reconnaissez-vous les violences sur la petite ?

— J’ai jamais violenté mes enfants, jamais ! »

— Et sur Madame ?

— Un coup, en me défendant ».

Les trois autres enfants ont témoigné et disent : Papa tente de crever le pneu de maman, papa ouvre la porte et la petite sœur (3 ans) tombe, papa met un coup à maman.

« Madame a déposé de nombreuses mains-courantes »

« Qu’est-ce que vous avez à dire ?

— Je n’ai jamais dit le contraire.

— Ils disent la même chose que leur mère, ce qui n’est pas la même chose que vous.

— Depuis toutes ces années, dès que je parle, j’ai toujours tort. Jamais un tribunal ne m’a écouté, j’ai jamais été entendu.

— Donc pas de violences ?

— Oui, mais pour me défendre. J’ai la petite qui est dans mes mains, elle m’assène de coups (sic), vous voulez que je fasse quoi ? Oui, j’ai mis un coup.

— Pourquoi la remonter chez vous et avoir mis une heure pour la rendre ?

— J’ai pas mis une heure, je l’ai ramenée à la maison pour m’en occuper. Je voulais redescendre et régler l’affaire. Mais la police est arrivée avec un taser, c’est pourquoi j’ai fermé la porte.

— Et l’ouverture de la portière ?

— Jamais de la vie, je le ferais, j’ai fait beaucoup de conneries, de toute façon y’a qu’à voir mon casier, on n’en parle même pas.

— Si, si on va en parler. Madame a déposé de nombreuses mains-courantes.

— Ah oui, y’en a 50 000.

— (Assesseur) J’ai du mal à comprendre comment c’est possible de donner un coup sans faire exprès ? Vous contrôlez votre bras ? »

Kevin mime le coup : un revers de la main droite tandis qu’il tient la fille dans l’autre bras.

Kevin, orphelin (« ma mère est morte en me mettant au monde et mon père est mort de chagrin deux semaines plus tard »), a été adopté par sa tante. Il a 18 mentions à son casier judiciaire. « La dernière fois, c’étaient déjà des violences contre la même femme », fait remarquer la présidente. Elle lui demande combien de peines de prison il a eu, il énumère des peines parfois très longues, la juge fronce les sourcils. « Vous avez fait combien d’années de prison ?

— En tout, je suis à plus de 15 ans de prison. Mes enfants, je les ai faits en UVF (unité de vie familiale, parloir aménagé pour recevoir sa famille, ndlr). »

Avant même le réquisitoire, Kévin sait qu’il repartira en prison. Le procureur a demandé la révocation de deux sursis probatoires, à hauteur de 16 mois au total. L’avocate de la défense écarquille les yeux : elle semble le découvrir. Estimant les faits constitués, la procureure demande un an de plus dans cette affaire.

L’avocate est d’accord pour l’infraction de séquestration, mais conteste les violences. Elle trouve les explications de son client logiques : « quand une porte est mal fermée, on la rouvre et on la claque. » Elle dit aussi que « Madame » n’a pas de trace de coups portés par le prévenu. Elle voudrait une peine sans mandat de dépôt.

Le prévenu également. Son dernier mot est une phrase de cinq minutes qui s’achève par : « Je n’ai jamais été entendu ». « Bien ! », le coupe enfin la présidente.

 Il est finalement relaxé pour les violences contre sa fille, condamné pour le reste à 8 mois de prison avec mandat de dépôt.

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