Tribunal de Pontoise : « Je ne veux pas que Madame fasse la une d’un fait divers tragique »
À Pontoise mercredi 4 septembre, l’audience à juge unique juge une ribambelle de dossiers, dont beaucoup de violences conjugales. Le cas de Khelifa, prévenu d’avoir frappé et mordu son épouse, est le plus grave.
Flegmatique, le juge annonce : « Nous avons choisi de renvoyer d’office le dossier n°3 pour cause de surcharge du rôle. » Une avocate accuse le coup : elle s’affaisse sur le dossier du banc de cette petite salle qui accueille la correctionnelle à juge unique, toujours pleine à craquer en début d’audience. « Renvoi au 1er octobre 2025. » Un cri s’échappe. « 1er octobre 2025 ! » L’avocate manque défaillir. « J’en suis désolé, mais vous connaissez l’état de la juridiction ». L’avocate furieuse balance des objets dans son sac et sort en marmonnant des jurons « … c’est une pure blague », parvient-on à entendre. C’est le 3e dossier renvoyé d’office.
Il en reste 9, dont celui de Khelifa, un homme très stressé qui parle suffisamment bien français pour se passer d’un interprète, mais pas assez pour permettre un dialogue fluide avec le juge, et surtout pour s’expliquer avec le détail et les nuances qu’une défense pénale requiert. Pour cet homme de 29 ans arrivé d’Algérie en janvier, il s’agit de violences avec trois jours d’ITT contre celle qui partage sa vie depuis 10 ans.
Le 23 avril, la voisine a appelé le commissariat de Cergy. Elle explique au policier qu’après avoir entendu des coups sur les murs et des cris dans la nuit, elle s’est précipitée sur le palier pour y trouver Nora en pleurs. Son mari, ivre, l’a frappée puis a quitté l’appartement, dit-elle. Elle vomit à cause du choc et de la douleur. Elle lui dit que ce n’est pas la première fois que ça arrive. Elle a des traces de morsures sur l’avant-bras.
« Vous ne pouvez pas mettre des coups comme ça quand on vous insulte Monsieur »
Les policiers se rendent sur place et cueillent Khelifa tout près du domicile ; il est embarqué au commissariat et placé en garde à vue. Il se plaint de griffures sur le cou et admet les morsures, mais pas les coups. Il relate une dispute violente mais réciproque.
La sœur de Nora rapporte l’avoir déjà entendue se plaindre de violences conjugales. Nora explique que son mari avait disparu depuis deux jours, au bout desquels il est rentré ivre. Elle a d’abord refusé de lui ouvrir, avant de céder. C’est là, dit-elle, qu’il se serait mis en colère, lui aurait empoigné le cou et porté plusieurs coups.
Le prévenu s’explique à la barre. « J’ai bu quatre bières. Quand je suis rentré on s’est disputés, elle m’a empêché de partir et j’ai finalement réussi à partir.
— Qui était en tort selon vous ?
— Les deux. Elle s’est énervée et moi aussi parce que j’avais un peu bu.
— Est-ce que vous trouvez que votre réaction a été adaptée ?
— Moi, j’essayais de sortir.
— On est d’accord que vous avez plus de force que Madame.
— Oui.
— Est-ce que c’était proportionné ?
— (…)
— (Avocat) est-ce que c’était la bonne façon de faire ?
— Elle m’a insulté et m’a reproché des trucs.
— Mais vous ne pouvez pas mettre des coups comme ça quand on vous insulte Monsieur !
« Vous la griffez, vous la tapez ? »
La procureure l’interroge à son tour :
« —Est-ce que vous vous disputez souvent avec madame ?
— Jamais
— Pourquoi l’un de vos voisins a-t-il dit qu’il vous entend souvent vous disputer ?
— C’est eux qui se trompent.
— Comment vous expliquez toutes les traces que le médecin constate si vous l’avez seulement repoussée ?
— (…)
— (Président) Regardez Monsieur, le médecin a fait un schéma pour indiquer les endroits où il y a des traces. Y’en a partout. Ce n’est pas juste en la repoussant que ça a pu se faire.
— Elle m’a griffé.
— Vous faites quoi ? Vous la griffez, vous la tapez ?
— Je l’ai tapée.
— Le médecin découvre des blessures anciennes.
— Je ne l’ai jamais frappée avant.
— Donc elles viennent d’où ces traces ?
— Je sais pas. »
« Des femmes qui meurent tous les jours de cette façon »
Nora s’avance à la barre, encline à pardonner mais pas dupe, elle déclare : « C’est l’alcool qui a fait ça. Ça fait six mois qu’il vit chez son cousin. Je lui ai parlé et il m’a dit qu’il avait arrêté.
— Est-ce que ça s’est passé comme vous l’avez expliqué à la police ?
— Oui, ça s’est passé comme ça, je n’ai pas menti.
— Malgré ce qu’il s’est passé, ça ne vous fait pas peur ?
— J’espère que ce sera une leçon pour lui.
— Est-ce que vous voulez qu’on prolonge l’interdiction de contact ?
— Non.
— Votre intention est de reprendre quelque chose avec monsieur ?
— Peut-être.
— Vous avez bien compris que n’importe quelle violence est interdite, et vu ce qu’il s’est passé, si ça se reproduit vous devez absolument appeler la police. Vous avez bien compris que c’est primordial pour votre sécurité d’appeler la police, si ça arrive ? Il ne faut surtout pas hésiter. Ça commence comme ça, mais y’a des femmes qui meurent tous les jours de cette façon. C’est une escalade », professe le juge.
« L’amour peut motiver un tel geste ? »
La procureure est plus directe : « Est-ce que vous pensez que de l’amour peut motiver un tel geste ? » C’est bientôt le moment de requérir. « Ce que vous avez aujourd’hui c’est une scène extrêmement violente. Pour lui, c’est Madame qui provoque, Madame qui le cherche, Madame qui le mérite. Aucun cheminement, aucune remise en question sur ces faits. J’insiste sur la violence des coups portés. Monsieur est violent, que ce soit à cause de l’alcool n’est pas une excuse, et pourtant Monsieur vient se plaindre ; c’est désagréable. » Casier vierge : quelle peine demander ? « Il y a très peu d’éléments rassurants. » Elle requiert 12 mois de prison, dont 6 mois avec sursis probatoire. Interdiction de paraître au domicile de la victime, interdiction de contact. Obligation de soins. « Si personne n’avait entendu les hurlements de Madame, je ne suis pas sûr que Madame serait là aujourd’hui. Je ne veux pas que demain Madame fasse la une d’un fait divers tragique. »
La défense fait profil bas en rappelant que le prévenu regrette, qu’il ne boit plus et que c’est un couple soudé qui s’aime. Sur son banc, la tête baissée, Khelifa transpire beaucoup. Il sera finalement rassuré en entendant le juge le condamner à huit mois de prison, assortis d’un sursis simple, qui lui permettra de réemménager avec Nora aussitôt qu’elle le voudra.
Référence : AJU468077