Tribunal de Pontoise : « Le problème, c’est qu’à un moment, vous allez la tuer »

Publié le 08/10/2024

Pierre, 47 ans, a frappé sa compagne Alicia. Tous les deux étaient ivres. Ce couple fusionnel ne veut pas se séparer et pourtant la femme est en danger. Une situation que les juges connaissent bien et qu’ils s’efforcent de gérer au mieux. 

Tribunal de Pontoise : « Le problème, c’est qu’à un moment, vous allez la tuer »
Tribunal judiciaire de Pontoise, salle des comparutions immédiates (Photo : ©J. Mucchielli)

Alicia appelle le 17 et dit au policier qui décroche : « ils sont complètement bourrés tous les deux, il faut que vous veniez. » Alicia est la fille de Séverine, qui est la compagne de Pierre. Plus tôt, Pierre a appelé Alicia pour lui dire : « Si tu viens pas la chercher, je vais la tuer ». Il parlait de Séverine. Les policiers jugent la situation digne d’une intervention, et sans désemparer procèdent à un déplacement sur les lieux, toquent à l’huis du couple, qui s’ouvre sur le visage tuméfié, constatent-ils, de Séverine. Elle a du sang sur l’arcade sourcilière droite et dit : « il ne faut pas l’interpeller parce qu’il est gentil. »

La juge qui préside l’audience des comparutions immédiates de Pontoise, mardi 17 septembre, décrit un comportement coopératif de la part de Pierre, 47 ans, qui accuse la cuite de l’avant-veille (1,68g par litre de sang) et présente une mine ébouriffée. Hagard dans son box, il écoute la présidente dire : « Vous êtes assis dans le canapé, tout de suite, vous dites que vous avez frappé votre compagne, que vous avez bu de la bière et qu’elle, également ivre, a lancé la bouteille de rosé sur la télé. » Ça a foutu Pierre en rogne : coups sur le corps, dans les jambes, le tout en « se marrant », rapporte Séverine. Puis il l’a portée sur le lit pour qu’elle se remette, et a appelé Alicia. Elle se souvient qu’il l’a tirée par les cheveux.

« C’était une journée arrosée »

Dans sa déposition de Séverine confie : « c’était une journée arrosée, j’étais au rosé et Pierre à la bière. Y’a pas eu un mot d’engueulade, le seul truc que j’ai ressenti, c’est une claque. » Elle ne se souvient pas de grand-chose. Les policiers ont constaté un hématome aux yeux et une coupure qui lui a valu 3 points de sutures, mais elle a refusé d’être examinée à l’unité médico-judiciaire. « La fille de Madame dit que vous avez tous les deux des problèmes d’alcool », Pierre opine depuis son box. « Est-ce que vous reconnaissez les faits ?

— Je reconnais effectivement lui avoir cogné l’oeil. Je me rappelle pas avoir tiré les cheveux, mais peut-être que je l’ai fait. Je me rappelle le coup sur les fesses, mais pas sur l’épaule.

— Comment on fait pour se souvenir du coup sur les fesses et pas à l’épaule ?

— Je ne peux pas vous dire, mais les faits sont là, je ne peux pas nier.

— Et dans l’oeil ?

— Aussi.

— C’est pas la première fois que vous êtes violent à son égard (Tribunal de Saint-Brieuc, 18 mois de prison avec sursis probatoire).

— Non, c’est pas la première fois, effectivement.

— Pourquoi ?

— L’alcool y est pour beaucoup, et je n’ai pas effectué le travail psychologique nécessaire sur moi.

« Vous comptez rester ensemble ? »

«—  Vous aviez une interdiction de contact, pourquoi avoir repris contact ?

— Pour son anniversaire, on s’est revus, et le lendemain elle était là et on a eu un contrôle.

— Et y’a eu une révocation à hauteur de 5 mois ; mais pourquoi alors vous vous revoyez ?

— Parce qu’on a cru qu’on pourrait surmonter ça seuls.

— Comment vous pensez régler ces problèmes ?

— On va vraiment se prendre en main tous les deux.

— Donc vous comptez rester ensemble ?

— Oui. Euh, oui.

— Le problème, c’est que ça fait deux fois, et qu’à un moment, vous allez la tuer »

Séverine a écrit qu’elle n’avait pas pu venir à cause de sa phobie des transports en commun (c’est Pierre qui la conduit en général). La présidente résume : « Elle ne veut pas qu’il fasse de prison, car il doit signer son CDI bientôt et qu’il a un logement. Elle propose de quitter leur logement. »

Ce n’est pas dans le plan de la procureure qui, eu égard à l’état de récidive de Pierre, requiert un an ferme avec mandat de dépôt.

« Pendant 4 ans, vous n’avez pas entendu parler de Monsieur »

Longue plaidoirie en défense ; l’avocate insiste sur la complexité du fonctionnement de ces couples « fusionnels » ballotés par leurs problèmes d’addiction. Elle souligne la bonne volonté de Pierre : « Des efforts ont été faits : pendant 4 ans, vous n’avez pas entendu parler de Monsieur. Il a vu un psychologue, mais n’a pas travaillé la question de l’alcool avec un professionnel, il l’a fait seul, et ça a tenu pendant quatre ans, sans aide ! » Alors il faut s’imaginer avec un suivi professionnel.

Elle ajoute qu’il faut écouter Séverine quand elle dit qu’il est gentil, car elle le pense vraiment. En filigrane, elle demande de ne pas incarcérer son client, mais de protéger Séverine : en clair, de mettre fin à cette relation pour empêcher le renouvellement de violences.

C’est la solution retenue par le tribunal : 18 mois dont 8 mois avec sursis probatoire contre Pierre. Interdiction de contact et de paraître au domicile (c’est donc lui qui déménage). Obligation de soins psychologiques et en addictologie. Rendez-vous devant le juge d’application des peines pour aménager les dix mois de prison ferme.

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